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Et les insurgés sont surpris quand tombent sur les faubourgs les premiers obus.

Mais le 3 prairial, troisième journée insurrectionnelle, les sans-culottes réussissent à étriller, à chasser des faubourgs une troupe de muscadins qui s’y est aventurée, imaginant vaincre facilement.

Et la panique est grande dans leurs rangs.

« Mes amis, crie un député, tout est perdu ! Les factieux ont le dessus. La Convention n’existe plus. Songez donc à votre sûreté. Partez donc si vous ne voulez pas tomber sous les coups des scélérats. »

Il a vu, dit-il, la Convention menacée par les canons commandés par un Noir de Saint-Domingue, Delorme, grosse figure, embonpoint considérable, haï par les muscadins qui le qualifient de « monstre vomi par la plage africaine », de débauché, entouré d’un « sérail ».

Delorme a voulu ouvrir le feu sur la Convention, allumant la mèche d’un canon, mais un sans-culotte s’est précipité pour éteindre la flamme.

Le lendemain, à l’aube du 4 prairial an III (23 mai 1795), le martèlement des sabots des chevaux sur les pavés, les voix des officiers lançant des commandements, le grincement des roues des canons réveillent les citoyens du faubourg Saint-Antoine. Ils découvrent ces masses compactes de soldats qui cernent leur quartier.

Les généraux Menou et Montchoisi caracolent, devant leurs hommes. Les femmes du faubourg se rassemblent, marchent vers les soldats, les interpellent, tentent de les convaincre de quitter les rangs, de les rejoindre comme cela s’est toujours produit, depuis ces journées de juillet 1789, quand les gardes françaises pointaient leurs canons sur la Bastille et se mêlaient aux émeutiers. Et il en était allé ainsi à chacune des journées révolutionnaires.

Et les femmes crient d’une voix aiguë comme on appelle au secours.

Mais les dragons les repoussent, obéissent aux ordres, et l’un des soldats lance à ces femmes qui gesticulent :

« Quand je suis de service je ne parle qu’avec mon sabre. »

C’est l’affolement, la fuite, le désespoir.

On dresse des barricades. Au faîte de l’une d’elles se tient le Noir Delorme, que les soldats invitent à se rendre. Il refuse.

Le général Menou s’avance, l’interroge :

« Es-tu républicain, citoyen ? »

« Je le suis. »

« Rends ton sabre aux armées de la République. »

Delorme hésite, bégaie. Il s’y prend à plusieurs fois pour dire :

« As-tu du pain à me donner ? »

Menou s’approche encore sans répondre, et Delorme tend son sabre.

Puis le faubourg tout entier capitule.

À quelques pas de ces barricades que les citoyens entourés de soldats démantèlent se dressait la Bastille.

Les citoyens et les gardes françaises l’avaient conquise, ouvrant la route à la Révolution.

C’était il y a bientôt six ans.

Mais en ce début de prairial an III, pour la première fois, les soldats ont refusé de pactiser avec les insurgés.

L’armée de la République a brisé une insurrection populaire, la dernière émeute sans-culotte.

SIXIÈME PARTIE

4 prairial an III -13 vendémiaire an IV

23 mai 1795 – 5 octobre 1795

« Cette Vendée s’étend partout

et devient chaque jour plus effrayante »

 

« Nous devons être gouvernés par les meilleurs,

c’est-à-dire par ceux qui possèdent une propriété…

« Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social,

celui où les non-propriétaires gouvernent

est dans l’état de nature, c’est-à-dire dans la barbarie. »

Boissy d’ANGLAS

5 messidor an III (23 juin 1795)

« La garde nationale ne sera plus composée que de gens sûrs

ayant quelque chose à perdre dans un bouleversement,

au lieu que ceux qui en formaient une partie

jusqu’ici avaient tout à y gagner. »

Benjamin CONSTANT

10 prairial an III (29 mai 1795)

20.

Cent vingt mille soldats qui le 4 prairial an III (23 mai 1795) ont encerclé puis occupé le faubourg Saint-Antoine campent plusieurs jours durant dans le quartier.

Les patrouilles parcourent les rues, entrent dans les locaux des sections, les fouillent, jettent sur le pavé les piques, les sabres, les fusils, surveillent les assemblées générales au cours desquelles les « honnêtes citoyens » désignent ces « tyrans », ces « révoltés », ces sans-culottes qui les ont fait trembler depuis plus de deux ans, les ont contraints au silence, les ont insultés, battus, chassés des sections et souvent arrêtés, les ont « terrorisés ».

Maintenant ce sont eux que, dès les 24 et 25 mai, on entraîne, on enferme.

Les soldats les houspillent, les poussent à coups de crosse, les menacent de leurs baïonnettes, les forcent à se mettre en rang et les dirigent vers les prisons.

Ils sont ainsi près de dix mille sans-culottes à être arrêtés.

On recherche les gendarmes et les soldats qui le 1er et le 2 prairial, quand l’insurrection paraissait près de l’emporter, ont pactisé avec les insurgés.

On les licencie, on les incarcère. Et on chasse de la garde nationale les ouvriers, les artisans, les manouvriers.

« Cette classe utile de citoyens qui ne vivent que du travail de leurs bras ne doit pas être distraite de son labeur quotidien », dit-on.

D’ailleurs cette « classe » n’a pas l’argent nécessaire pour payer son équipement. Place aux bourgeois qui s’armeront et s’équiperont à leurs frais, et seront cavaliers, canonniers, piquiers de la garde nationale.

Et le Suisse Benjamin Constant qui vient d’arriver à Paris, en compagnie de sa maîtresse, Germaine Necker – la fille de l’ancien ministre de Louis XVI – devenue Madame de Staël, écrit :

« La garde nationale ne sera plus composée que de gens sûrs ayant quelque chose à perdre dans un bouleversement, au lieu que ceux qui en formaient une partie jusqu’ici avaient tout à y gagner. »

Et Benjamin Constant commence à rédiger une brochure, qui fait l’éloge des vainqueurs de prairial et qu’il intitule De la force du gouvernement actuel et de la nécessité de s’y rallier.

C’est ce que pense ce général de brigade de vingt-six ans, Napoléon Bonaparte, sans affectation depuis qu’on lui a retiré son commandement à l’armée d’Italie.

On le voit hâve, maigre dans son costume élimé, mal taillé, hanter les bureaux du ministère de la Guerre, expliquer qu’il est un général d’artillerie, qu’il ne peut accepter de commander dans l’Ouest une unité d’infanterie comme on le lui propose.

Et d’ailleurs que faire là-bas, puisque le général Hoche a réuni à La Prévalaye, près de Rennes, cent vingt et un chefs royalistes – Cadoudal, Frotté, d’Andigné – et une vingtaine de ces chefs des chouans ont signé avec lui un accord de paix.

On rétorque à Bonaparte que les espions de la République à Londres sont persuadés que les émigrés, transportés par des navires anglais, vont effectuer un débarquement en masse dans la presqu’île de Quiberon.

Mais Bonaparte s’obstine, refuse sa nomination, devine qu’on le suspecte d’être toujours un robespierriste. Ne l’a-t-on pas arrêté à la chute du tyran ? Et les vainqueurs de prairial veulent que ces journées achèvent ce qui a commencé le 9 thermidor. Ils veulent faire place nette.

Ils ont eu peur en ce mois de mai 1795. Ils partagent l’analyse de Mallet du Pan :

« Si les Jacobins eussent eu des chefs de quelque habileté et si au lieu de tuer un député, ce malheureux Féraud, ils en eussent tué dix, la Convention disparaissait pour toujours. »