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On entonne : « Ne faisons qu’une hécatombe de ces cannibales affreux. »

Et en bande, on se rend sous les fenêtres de la maison d’un des onze membres de la Commission, l’ancien Girondin Louvet, homme modéré, qui a voté lors du procès du roi en faveur de l’appel au peuple.

Il s’indigne :

« Où sommes-nous ? Un citoyen paisible troublé dans l’asile de sa demeure ! Un représentant du peuple abreuvé d’outrage et violemment menacé ! Où sommes-nous ? Les chouans ont-ils vaincu ? Les cohortes anglaises sont-elles dans nos murs ?… Faut-il pour ne pas être un terroriste se réunir par bandes, aller effrayer dans leurs maisons et dans les rues les citoyens paisibles, arracher les affiches de nos frères des armées, et menacer de mort quiconque oserait chanter une chanson qui ne serait pas la sienne ? Je ne me sens pas, je l’avoue, la force de porter à ce point l’amour de la paix et de la tranquillité publique. »

Mais Louvet, comme les autres conventionnels modérés, ne veut pas se laisser égorger par les « royalistes » de retour. Et tous les républicains, même ceux qui ont été victimes de Tallien et de Fréron, de Barras et de Legendre, lors des journées de prairial sont prêts à se réunir, à oublier leur haine, pour faire front aux royalistes.

« Pour moi, écrit le libraire Ruault, je crois qu’il n’y a point assez de troupes près de Paris et dans Paris ; les voleurs, les chouans peuvent en approcher de si près que nous serions dans la plus fâcheuse situation s’il n’y avait pas assez de forces accoutumées à vaincre pour les repousser. Cette Vendée s’étend partout et devient de jour en jour plus effrayante… » Et Louvet s’écrie à l’adresse de ces jeunes gens que les Thermidoriens ont utilisés contre les sans-culottes mais qui leur paraissent aujourd’hui menaçants, avec leurs refrains royalistes : « Misérables, réfléchissez. Cent mille républicains peuvent être facilement distraits des armées. Que le sentiment de notre existence vous rende sages. Obéissez aux lois ou craignez que la Convention nationale parle, et vous n’êtes plus… »

Mais la Jeunesse dorée continue de manifester, de crier que la Convention contient encore dans son sein des « égorgeurs », des « buveurs de sang ».

Et le conventionnel Merlin de Thionville, qui a voté la mort du roi, combattu contre les Vendéens, s’est enrichi, a aux côtés du général Pichegru pris la tête des bandes de la Jeunesse dorée, le 1er germinal, pour faire rentrer dans leurs faubourgs les émeutiers, écrit :

« Soyez persuadés que si vous souffriez à Paris le retour d’un roi, tous les soldats dont je connais l’esprit et les intentions se disputeraient l’honneur de venir vous anéantir, vous et votre roi. »

Ce roi, ce n’est plus Louis XVII.

Le fils de Louis Capet est mort le 20 prairial an III (8 juin 1795). Tous ceux qui l’avaient vu au cours des mois précédents avaient été effrayés par son corps difforme qui n’était plus qu’une plaie.

Barras – le « roi de la République ! » – avait été frappé par « son visage tout bouffi et tout pâle », ses genoux, ses chevilles, ses mains enflées, son regard innocent d’enfant de dix ans, exprimant souffrance et désespoir. Barras avait demandé que l’on nettoie la chambre où Louis XVII était maintenu, qu’on le fît promener, qu’on le soignât.

Mais aucun des Thermidoriens ne doutait de la prochaine issue fatale.

Et cependant, à l’annonce de la mort de Louis XVII, ils laissèrent courir la rumeur – et sans doute la favorisèrent-ils -d’une évasion de Louis XVII.

C’était manière pour ces régicides, craignant une restauration, de gêner l’oncle de Louis XVII, ce comte de Provence qui, installé à Vérone, régent du royaume, se proclama, dès qu’il apprit la nouvelle de la mort de Louis XVII, Louis XVIII, mais décidant que tant qu’il serait contraint de vivre en exil, il se ferait appeler « comte de Lille », du nom d’une seigneurie qu’il possédait à proximité de Toulouse et qui se nommait l’« Isle Jourdain »…

Le comte d’Artois devient « Monsieur », frère du roi, rêvant déjà de succéder un jour à son aîné. Mais le comte d’Artois applaudit la Proclamation de Vérone, que rend publique Louis XVIII.

Elle annonce un retour complet de l’Ancien Régime.

Louis XVIII veut « le rétablissement de la religion catholique et de notre ancienne Constitution. Ma maxime est tolérance pour les personnes, intolérance pour les principes. »

Les trois ordres (clergé, noblesse, tiers état) doivent être rétablis comme les parlements, ainsi que tous les symboles -le drapeau blanc à fleurs de lys naturellement – de l’autorité royale, le souverain étant de droit divin.

Et Louis XVIII promet le châtiment des régicides, coupables d’un crime qui est aussi un sacrilège.

Les « royalistes de l’intérieur sont au désespoir », écrit Mallet du Pan. Ils comprennent que les régicides, se jugeant « impardonnables », vont être plus que jamais des adversaires d’un retour des Bourbons.

Tallien le répète. Il ne veut pas être pendu par le roi restauré. L’avènement de Louis XVIII et sa proclamation de Vérone « achèvent, continue Mallet du Pan, de déterminer la balance en faveur du gouvernement républicain ».

Tallien, Barras, Fréron, la Convention décident de renforcer encore les troupes qui stationnent dans les environs de Paris.

On les rapproche de la capitale. Elles s’installent aux Sablons, derrière Chaillot, non loin du bois de Boulogne.

Et les protestations des sections où les « royalistes » et la Jeunesse dorée sont majoritaires, confirment aux yeux des « républicains » la réalité du danger d’une restauration.

Ordre est donné à la police de « surveiller avec attention plusieurs quidams habitués du café de Valois et du jardin Égalité que l’uniformité et la singularité de leur costume font regarder comme suspects ».

Les jeunes gens « dorés » qui avaient servi les Thermidoriens sont désormais leurs ennemis.

Et les sans-culottes s’en réjouissent.

Un lieutenant de Gracchus Babeuf, le « partageux », l’apôtre « communiste » du Manifeste des Égaux, écrit ainsi à son correspondant parisien :

« Tu ne manqueras pas de donner encore des nouvelles. Oh, celles que tu m’as données et que j’ai reçues ce matin m’ont mis en goût. Et j’en éprouve le plus dévorant appétit. Donne-m’en toujours, je suis insatiable… Deux cents muscadins arrêtés m’annonces-tu ? Ainsi soit-il.

« Vous en tâterez donc aussi, messieurs, et vos cafés, vos habits carrés, vos chapeaux à la Cobourg, vos chats verts ne vous en garantiront point ! Quelle mine allongée et livide ils devaient avoir ! Ah, vous pensiez que tout vous était permis, messieurs de la Jeunesse dorée ! Allons, point de quartiers, qu’on les plie à l’égalité. Nul n’a le droit de dépasser le niveau. »

Et Fréron fait l’éloge de Rouget de l’Isle et de La Marseillaise.

Et le journal Le Moniteur écrit :

« La royauté, l’exécrable royauté, croyez-vous donc qu’on puisse la rétablir si facilement ? Est-ce pour nous donner un roi que nous avons abattu Robespierre ? Prétexte insensé qui couvre peut-être des intentions qu’il sera facile de dévoiler. »

Et l’on dénonce « une poignée de factieux, de royalistes, d’émigrés ».

La police constate qu’un émigré, le comte d’Antraigues, met à la disposition de Louis XVIII les réseaux royalistes qu’il a constitués dès l’été 1789 et qui avaient œuvré pour l’Angleterre, l’Autriche, l’Espagne, la Russie.

Des « agences » royalistes, l’une dite de Souabe, l’autre La Manufacture, ont infiltré leurs espions dans tous les Comités, les rouages gouvernementaux, et renseignent d’Antraigues.