Выбрать главу

Les Directeurs décident de cesser d’émettre cette monnaie sans valeur. Et le 19 février 1796 (30 pluviôse an IV), ils brûlent place Vendôme les planches servant à leur fabrication.

Les trente-neuf milliards d’assignats en circulation seront retirés, remplacés par des « mandats territoriaux ». Mais pourquoi les citoyens feraient-ils confiance à cette nouvelle monnaie-papier ?

Pourquoi souscriraient-ils l’emprunt de six cents millions que lance le Directoire ?

Le libraire Ruault, observateur toujours lucide, ne s’étonne pas de cet insuccès.

« Le Directoire répand de temps en temps, écrit-il, des homélies très civiques pour réchauffer les cœurs et leur redonner du ton en patriotisme, mais c’est la voix qui crie dans le désert. Elles n’ont pas plus de succès que l’emprunt de six cents millions en numéraire. Le Directoire ne dissimule son embarras ni aux jeunes [le Conseil des Cinq-Cents] ni aux vieux [Conseil des Anciens] ni à personne au monde !

« La machine des finances crèvera dans les mains de ses directeurs avec un fracas épouvantable. On ne voit point de remède à ce mal. »

Et plein d’une amertume désespérée, Ruault conclut :

« La France n’est qu’une plaie, pas un endroit sain dans tout le corps politique, ses gouverneurs marchent à tâtons comme dans une cave et n’ont de lumière que derrière eux. »

En fait, les Directeurs à l’exception de l’austère et rigoureux Carnot, sauvé le 9 Thermidor de l’arrestation parce qu’il a été reconnu comme l’organisateur de la victoire, et de son « double » Letourneur, se soucient d’abord d’eux-mêmes.

Lorsqu’ils apparaissent en grand costume de satin, avec leurs dentelles, leurs écharpes, leurs glaives, leurs bas de soie, les souliers à bouffettes et le chapeau rouge à panache, ils suscitent les moqueries, car personne n’est dupe de cette « mascarade luxembourgeoise », comme on dit dès le premier jour.

Personne ne les respecte.

Barras, roi de la République, est un noble corrompu, régicide et terroriste enrichi. Il place ses maîtresses, Joséphine de Beauharnais, Thérésa Tallien – l’une dans le lit de Bonaparte, l’autre dans celui de l’agioteur munitionnaire Ouvrard. Ainsi, il accroît son influence.

Barras est un cynique « flibustier », qu’attirent encore les Jacobins, comme si le régicide qu’il est ne voulait pas couper tout lien avec la Révolution, car il craint toujours une restauration monarchique qui ferait pendre haut et court les régicides.

Mais en dehors de cette inquiétude – et peut-être a-t-il sollicité de Louis XVIII une absolution –, chacun sait que « Barras jetterait par la fenêtre la République dès demain si elle n’entretenait ses chiens, ses chevaux, ses maîtresses, sa table, sa salle de jeu ».

Les autres Directeurs sont des inconnus.

Reubell, avocat alsacien colérique, est l’un des artisans de l’annexion de la Belgique et de la rive gauche du Rhin. Il parle avec arrogance, jure qu’il faudrait « mettre les députés contre-révolutionnaires dans un sac et les jeter à la rivière ».

La Révellière-Lépeaux, ancien Girondin, s’occupe des questions religieuses. Il veut fonder une « religion naturelle ». Il voudrait détruire la papauté tout en étant hostile à l’unification de l’Italie.

Ces Directeurs ont en commun de vouloir combattre les « factions extrêmes », à la réserve près qu’étant tous régicides, ils sont de « farouches républicains ». Ils l’affirment dans la Proclamation au Peuple français datée du 14 brumaire an IV (5 novembre 1795).

« Le Directoire, écrivent-ils, a la ferme volonté de livrer une guerre active au royalisme, de raviver le patriotisme, de réprimer toutes les factions, d’éteindre tout esprit de parti, d’anéantir tout désir de vengeance, de faire régner la concorde, de ramener la paix, de régénérer les mœurs, de rouvrir les sources de la production, de ranimer l’industrie et le commerce, d’étouffer l’agiotage, de donner une nouvelle vie aux arts et aux sciences, de rétablir l’abondance et le crédit public, de remettre de l’ordre social à la place du chaos inséparable des révolutions, de procurer enfin à la République française le bonheur et la gloire qu’elle attend. »

Les Directeurs désirent en finir avec la Révolution et ses désordres.

Ils veulent être les arbitres au-dessus des factions.

« Il y a trois partis bien prononcés, écrit l’un des commissaires du Directoire, les royalistes avec les fanatiques, les anarchistes et les vrais républicains. Le troisième a combattu et contenu alternativement les doux autres. »

Les Directeurs sont… ces républicains du « centre »… du « Ventre », comme on disait sous la Convention.

Ils frappent les royalistes qu’ils ont écrasés le 13 vendémiaire grâce aux canons de Bonaparte.

Stofflet, le chef vendéen, est arrêté, fusillé, comme le sera quelques semaines plus tard Charette, capturé blessé.

Mais la guerre gagnée, Hoche proclame l’« édit de Nantes de la Vendée », autorisant partout la célébration du culte. Le Directoire se sent si fort qu’il envisage même un débarquement en Irlande, préparé par Hoche et Wolfe Tone, chef des Irlandais unis.

On rêve à une insurrection des Irlandais contre l’Angleterre.

On ne craint pas d’échanger la fille de Louis XVI, Marie-Thérèse, contre des prisonniers français détenus par les Autrichiens.

Et parmi eux, Drouet, l’ancien maître de poste de Sainte-Menehould qui avait permis l’arrestation de Louis XVI en juin 1791.

Drouet est aussitôt admis au Conseil des Cinq-Cents, et participe à la célébration, le 21 janvier 1796 (1er pluviôse an IV), de l’anniversaire de la décapitation du roi place de la Révolution, devenue place de la Concorde !

Ce jour-là « fut la juste punition du dernier roi des Français » et Reubell ajoute : « Que les bons citoyens se rassurent. »

Ceux qui ne sont que citoyens continuent d’avoir faim. Car les prix des denrées, qu’on imaginait avoir atteint leurs sommets, ont encore augmenté.

« On voit par les rues, lit-on dans un rapport de police, un grand nombre de malheureux sans souliers, sans vêtements, ramassant dans les tas d’ordures de la terre et autres saloperies afin de satisfaire la faim qu’ils éprouvent. »

Mais on est las. On hait les Directeurs, les membres des Conseils, les riches, qui affichent leur insolente et récente fortune.

« À quoi sert d’avoir détruit les rois, les nobles et les aristocrates, dit-on, puisque les députés, les fermiers, les marchands, les remplacent présentement ? »

Et La Gazette constate, le 25 brumaire an IV (16 novembre 1795) :

« Les événements ont desséché les cœurs ! Conseil des Anciens, Conseil des Cinq-Cents, Directoire, c’est vers vous que se tournent les regards de ces malheureux qui foulent de leurs pieds demi-nus la terre humide. Adoucissez d’abord nos maux, donnez-nous des mœurs ! »

Mais comment espérer encore ? Croire en la République ? Et mourir pour la patrie ?

On déserte les armées :

« Aller nous faire tuer pour des bougres qui nous volent et nous affament ? »

On s’y refuse. On ne fête plus les victoires. On veut du pain et la paix.

Mais les Directeurs souhaitent que la guerre continue.

Car on peut dans les pays conquis piller les œuvres d’art et les caisses remplies d’or des royaumes, des principautés et des villes.

« On serait perdu si on faisait la paix », explique Sieyès.

Le Directoire a besoin d’argent.

Ne fût-ce que pour maintenir, en dépit de la chute de l’assignat, les indemnités des députés.

« Et l’on travaille à loger les Cinq-Cents au Palais-Bourbon que l’on veut rendre magnifique. »

Et passant devant le Palais, les soldats va-nu-pieds, affamés comme les plus pauvres des citoyens, murmurent :