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« Les députés devraient être dans un bois et qu’on y mît le feu. »

Les Directeurs s’inquiètent.

Barras et Reubell ont favorisé l’ouverture du club du Panthéon, où se retrouvent autour de Babeuf les « terroristes » que la défaite des royalistes le 13 vendémiaire a confortés.

Babeuf y est le principal orateur. Il prêche l’égalité, le partage de la terre, le « communisme », et il développe ses idées dans le journal qu’il anime, Le Tribun du peuple.

« Le parti se grossit considérablement, dit une note de police, les ouvriers surtout l’embrassent avec avidité. »

Carnot est le plus déterminé à lutter contre ces « anarchistes ». Il souligne que les « babouvistes » ne se contentent pas de prêcher pour le « bonheur commun », mais qu’ils s’infiltrent dans la légion de police chargée d’assurer l’ordre à Paris.

Le 5 décembre 1795 (14 frimaire an IV), il obtient que Babeuf soit décrété d’arrestation.

Mais Babeuf, bénéficiant peut-être de la protection de Barras, disparaît dans l’ombre de la clandestinité.

Le club du Panthéon continue de se réunir autour du Jacobin italien Buonarroti.

Il discourt, écrit, anime les journaux Le Tribun du peuple et L’Égalitaire, et publie une Analyse de la doctrine de Babeuf et du Manifeste des Égaux.

« L’Analyse, rapporte la police, dès qu’elle est affichée est applaudie par la plupart de ceux qui la lisent, notamment les ouvriers. »

Et Buonarroti réunit à chacune de ses conférences deux mille personnes.

Il faut briser cette « faction anarchiste », et le 8 ventôse an IV (27 février 1796) les Directeurs ordonnent la fermeture du club du Panthéon.

Napoléon Bonaparte, général en chef de l’armée de l’intérieur, est chargé d’exécuter cette décision.

Bonaparte n’hésite pas. Il connaît Buonarroti.

Ils se sont rencontrés à Oneglia, sur la côte ligure, quand le Jacobin italien y résidait comme commissaire, et que Bonaparte, à la réputation de robespierriste, commandait l’artillerie de l’armée d’Italie.

Mais Robespierre est mort. Et Bonaparte est devenu le général Vendémiaire, commandant l’armée de l’intérieur.

Il a un état-major, uniforme de bonne laine, revenus.

Il a distribué les places et l’argent à tous les membres de sa famille.

« La famille ne manque de rien, je lui ai fait passer argent et assignats », écrit-il à son frère Joseph.

Il est souvent reçu dans le petit hôtel qu’occupe dans le quartier de la Chaussée-d’Antin Joséphine de Beauharnais. Elle est la preuve charnelle que l’avenir désormais lui appartient.

Il la désire avec la même fougue qu’il veut un commandement en chef, non plus d’une armée de l’intérieur, qui n’est qu’une force de police, mais d’une armée qu’il mènera à la victoire, par des conquêtes fulgurantes.

Et de plus, le programme politique du Directoire, cette façon d’être au-dessus des factions, de frapper royalistes et anarchistes, lui convient.

Chaque jour il voit Barras, Carnot, les autres Directeurs. Il leur soumet le plan de campagne qu’il a élaboré pour l’armée d’Italie, ce pays où les trésors s’accumulent dans les palais. On peut y rafler des millions indispensables au Directoire.

Il sent que les Directeurs hésitent, que les députés proches des royalistes détestent et craignent en lui le général Vendémiaire.

« J’ai peine à croire que vous fassiez la faute de le nommer à la tête de l’armée d’Italie, écrit, à Reubell, Dupont de Nemours, membre du Conseil des Anciens.

« Ne savez-vous pas ce que c’est que ces Corses ? Ils ont tous leur fortune à faire. »

Mais Bonaparte a donné des gages, le 13 vendémiaire, puis en agissant avec célérité pour fermer le club du Panthéon.

Et il y a cette relation avec Joséphine, qui rassure Barras, cet amour naïf, cette vraie passion même que voue à la créole rouée ce Corse maigre et résolu.

Le 12 ventôse an IV (2 mars 1796), il est nommé général en chef de l’armée d’Italie, avec Alexandre Berthier comme chef d’état-major.

Le 19 mars (29 ventôse an IV), à dix heures du soir, avec un retard de près d’une heure tant il a été pris par ses tâches militaires, la préparation de son départ, Bonaparte épouse à la mairie de la rue d’Antin Joséphine de Beauharnais, mère de deux enfants – Eugène et Hortense. Tallien et Barras sont leurs témoins.

Il sait qu’on murmure qu’il a accepté ce mariage pour débarrasser Barras d’une vieille maîtresse, et obtenir en contrepartie le commandement de l’armée d’Italie.

Mais il suffit de voir Bonaparte regarder l’élégante créole, pour savoir que ce n’est là que calomnie.

Bonaparte est follement épris. Bonaparte désire follement ce commandement.

Le 11 mars 1796 (21 ventôse an IV), il quitte Paris pour Nice.

Dans la voiture de poste, Bonaparte relit les instructions que le Directoire lui a fait remettre.

Elles sont brutales et claires.

« Faire subsister l’armée d’Italie dans et par les pays ennemis… lever de fortes contributions… »

En somme, prendre tout ce que l’on peut aux Italiens, arracher par la force tout ce que l’on veut, et avec le butin nourrir, payer, armer les soldats, et remplir les caisses du Directoire !

Soit. Telle est la guerre. Tel est le pouvoir des armes.

C’est désormais cela, la guerre révolutionnaire. Elle brise les Constitutions et elle pille.

Il va le dire à ces soldats qu’il rassemble dès son arrivée à Nice et qu’il découvre dépenaillés, indisciplinés, affamés.

« Soldats, lance-t-il, vous êtes nus, mal nourris, le gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner… Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir. Vous y trouverez honneur, gloire et richesse. »

Il adresse aussi une proclamation aux patriotes italiens :

« Le peuple français a pris les armes pour la liberté. Le peuple français chérit et estime les nations libres. La Hollande est libre et la Hollande fut conquise… »

La campagne d’Italie peut commencer, ce 2 avril 1796 (13 germinal an IV).

« Hannibal a passé les Alpes, dit Bonaparte. Nous allons les contourner. »

C’est parole de conquérant.

24.

Bonaparte conquérant de l’Italie ?

Les Directeurs s’en félicitent. Ils sont étonnés par les succès de ce général d’à peine vingt-sept ans qui s’est imposé à ces « vieux généraux », une dizaine d’années de plus que lui, et qui sont déjà couturés de batailles, et dont les noms – Masséna, Augereau – ont été illuminés par la gloire.

Mais il a suffi de dix jours et trois batailles – Montenotte, Millesimo, Mondovi – pour que Bonaparte, franchissant les cols des montagnes alpines qui séparent la côte méditerranéenne du Piémont, s’ouvre la route de Turin.

Les Directeurs lisent les rapports du commissaire à l’armée d’Italie, Saliceti, que Bonaparte connaît bien. Ce Saliceti qui l’a fait arrêter comme robespierriste, après le 9 Thermidor, mais Bonaparte ne veut pas se souvenir de cet épisode. Et Saliceti ne tarit pas d’éloges sur ce général qui a su reprendre en main vingt-cinq mille hommes indisciplinés.

« Le général en chef, a dicté Bonaparte à Berthier, son chef d’état-major, voit avec horreur le pillage affreux auquel se livrent des hommes pervers… On arrachera l’uniforme de ces hommes. Ils seront flétris dans l’opinion de leurs concitoyens comme des lâches. »

Et il s’est montré d’un courage exemplaire en s’élançant sous la mitraille, sur le pont de Lodi, entraînant ses hommes qui l’ont acclamé, ont dit de lui qu’il avait le courage d’un « petit caporal »…