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Avec l’écrivain Sylvain Maréchal, Darthé – ancien accusateur public du tribunal révolutionnaire d’Arras –, Buonarroti, et le membre du Conseil des Cinq-Cents, l’homme de Varennes, Drouet, ils constituent un « Directoire de salut public ».

Les « babouvistes » cherchent à pénétrer l’armée. Le capitaine Grisel est chargé de recruter des affidés dans le camp militaire de Grenelle. D’autres s’occupent de la légion de police.

Des alliances sont conclues entre babouvistes et anciens Montagnards. Mais cette « conspiration des Égaux » est constamment surveillée par la police du Directoire. Et peut-être même favorisée par Barras, ou Fouché qui est lié à Babeuf. Ils peuvent l’utiliser comme force de manœuvre, épouvantail, ou bouc émissaire.

À la fin avril et au début du mois de mai 1796 (floréal an IV), les Directeurs se décident à agir.

Carnot, en effet, hostile aux babouvistes a reçu le capitaine Grisel qui a trahi ses compagnons.

Ils sont arrêtés le 10 mai, et sont promis à la Haute Cour de justice qui siégera à Vendôme.

Et toute la France, par ce procès devant la plus haute juridiction du régime, saura que le Directoire frappe – après les royalistes – la faction anarchiste : ce qui rassurera les « bons citoyens », en montrant que les Directeurs, régicides et anciens terroristes, sont les défenseurs des propriétés et de l’ordre contre ceux qui veulent « réveiller Robespierre ».

Cette preuve d’autorité est nécessaire car les succès et l’attitude de Bonaparte commencent à préoccuper les Directeurs.

Bonaparte a fait une entrée triomphale à Milan, le 15 mai 1796 (26 floréal an IV).

« Viva Buonaparte il liberatore dell’Italia ! » crie la foule. Les patriotes italiens ont constitué un Club jacobin, créé une garde nationale, Bonaparte écrit au Directoire : « Si vous me continuez votre confiance, l’Italie est à vous. »

Et il ajoute : « Je mets à la disposition du Directoire deux millions de bijoux et d’argent en lingots, plus quatre-vingts tableaux, chefs-d’œuvre de maîtres italiens. Et les Directeurs peuvent compter sur une dizaine de millions de plus. »

Or, il reçoit des Directeurs l’ordre de se diriger vers l’Italie du centre et du sud, Livourne, Florence, Rome, Naples cependant que le général Kellermann, commandant l’armée des Alpes, le remplacera à Milan et en Lombardie.

Bonaparte refuse.

« Persuadé que votre confiance reposait sur moi, répond-il aux Directeurs, ma marche a été aussi prompte que ma pensée. Chacun a sa manière de faire la guerre. Le général Kellermann a plus d’expérience et la fera mieux que moi ; mais tous les deux ensemble nous la ferons fort mal. Je crois qu’un mauvais général vaut mieux que deux bons. »

Et il offre sa démission.

Murat, qui s’est illustré le 13 vendémiaire et qui a suivi Bonaparte à l’armée d’Italie, l’interroge :

« On assure que vous êtes si ambitieux que vous voudriez vous mettre à la place de Dieu le Père. »

Napoléon Bonaparte le toise :

« Dieu le Père ? Jamais, c’est un cul-de-sac ! » répond-il.

Comment les citoyens Directeurs, ces messieurs du palais du Luxembourg, pourraient-ils accepter la démission d’un homme tel que lui ?

25.

Face aux prétentions de Bonaparte, les cinq Directeurs, en ce mois de mai 1796, hésitent à se renier.

Ils ont une stratégie.

Bonaparte doit marcher vers le centre et le sud, et Kellermann le remplacer au Piémont et en Lombardie.

Il y a d’autres généraux que ce Bonaparte, tonne Reubell. Jourdan et Moreau, l’un à la tête de l’armée de Sambre-et-Meuse, l’autre de l’armée de Rhin-et-Moselle, ont reçu l’ordre de traverser le Rhin, de marcher sur Vienne, et de prendre ainsi à revers, par le nord, les troupes autrichiennes qui sont encore puissantes en Lombardie.

Oui, mais c’est le nom de Bonaparte qu’on acclame à Paris !

Des officiers de l’armée d’Italie porteurs des drapeaux pris à l’ennemi viennent d’arriver dans la capitale.

Les journaux célèbrent les exploits de ce général dont les troupes sont entrées à Venise, Vérone, Brescia, Bologne, Ferrare, qui mate avec une extrême dureté une révolte antifrançaise à Pavie, qui signe un armistice avec le royaume de Naples, puis avec le pape.

Et les journaux détaillent le « butin ».

Le pape devra verser vingt et un millions, cent objets d’art, cinq cents manuscrits. Il livrera la place d’Ancône et laissera le libre passage à l’armée française sur ses États. Il fermera ses ports aux navires anglais.

Les troupes de Bonaparte occupent Livourne, et leur contrôle de ce grand port va contraindre les Anglais, qui se sont installés en Corse, à quitter l’île.

Bonaparte est bien le général qui apporte les victoires et la paix, la gloire et l’or.

Et l’on voudrait que Kellermann prenne sa place ? Et faire confiance aux généraux Jourdan et Moreau, qui essuient déjà de premières défaites, font retraite, alors que Bonaparte bat le général Wurmser, oblige les Autrichiens à s’enfermer dans la place forte de Mantoue.

L’opinion s’embrase : « Vive Bonaparte ! »

Les journaux tressent ses couronnes, reprennent le texte de ses proclamations habiles, écrites, non pour relater la vérité, mais bâtir sa légende.

En outre, chacun des cinq Directeurs, et aussi les commissaires du Directoire ou le général Clarke, chef du bureau topographique du Directoire qui établit les plans de campagne, sont bombardés de lettres de Saliceti, de Berthier, faisant l’éloge du « Petit Caporal » si populaire parmi ses soldats.

Napoléon Bonaparte, lui, écrit à Barras, en fait le confident de ses malheurs conjugaux, renforce ainsi leur complicité.

« Je suis au désespoir, dit Bonaparte, ma femme ne vient pas ! Elle a quelque amant qui la retient à Paris. Je maudis toutes les femmes mais j’embrasse mes bons amis… »

Les pressions sont si fortes que le Directoire va proclamer que l’armée d’Italie a « bien mérité de la Patrie », et déclarer en son honneur une « fête de la Victoire » qui doit être célébrée à la fin du mois de mai (floréal an IV) dans toutes les armées et dans tout le pays.

La majorité des cinq Directeurs (Barras, Carnot, Le Tourneur) conclue qu’il faut annuler la décision de nommer Kellermann à la place de Bonaparte. Et refuser la démission de ce dernier.

Ils ont cédé et aussitôt, ils sentent la poigne de Bonaparte.

« Il faut, leur écrit-il, une unité de pensée militaire, diplomatique et financière. La diplomatie est véritablement, dans ce moment-ci, toute militaire en Italie. »

Il ajoute qu’« aucune de nos lois ne règle la manière dont doivent être gouvernés les pays conquis ».

Autrement dit, Bonaparte veut les mains libres pour agir à sa guise.

Et ceux qui le rencontrent rapportent aux Directeurs ses propos, décrivant son regard où brillent l’intelligence, l’ambition et la détermination.

Le représentant de la République en Toscane, Miot de Melito, fasciné, l’écoute :

« Il ne ressemble pas aux autres généraux, note-t-il. Il est l’homme le plus éloigné des formes et des idées républicaines que j’aie rencontré. »

Mais il est déjà bien tard, pour retenir Bonaparte.

Il construit sa légende. L’imagination populaire s’empare de ses proclamations, de son Adresse à la Patrie et à ses « frères d’armes ».

« Soldats ! Vous vous êtes précipités comme un torrent du haut de l’Apennin, vous avez culbuté, dispersé, éparpillé tout ce qui s’opposait à votre marche… Que les peuples soient sans inquiétude, nous sommes amis de tous les peuples !… Le peuple français libre, respecté du monde entier, donnera à l’Europe une paix glorieuse qui l’indemnisera des sacrifices de toute espèce qu’il a faits depuis six ans. Vous rentrerez alors dans vos foyers, et vos concitoyens diront en vous montrant : il était de l’armée d’Italie. »