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Seuls les royalistes plus ou moins déclarés, les modérés qui espéraient une restauration monarchique s’indignent, crient leur mépris, et même leur haine contre ce général Vendémiaire : Mallet du Pan écrit à la cour de Vienne, dont il est le correspondant, et sa missive sera diffusée auprès de tous les souverains d’Europe :

« Ce Bonaparte, ce petit bamboche à cheveux éparpillés, ce bâtard de Mandrin que les rhéteurs appellent jeune héros et vainqueur d’Italie, expiera promptement sa gloire de tréteaux. » Et les monarques et les princes croient à cette prophétie hargneuse et méprisante au moment même où Bonaparte établit à Milan une administration générale de la Lombardie, composée de patriotes italiens venus de toutes les régions de la péninsule, et que se dessinent ainsi les contours d’une République lombarde et même italienne.

Le patriote et Jacobin italien Buonarroti, enfermé avec Babeuf et les babouvistes, se réjouit de cette initiative. Il avait invité tous les patriotes italiens à aider l’armée de Bonaparte, républicain. Et Buonarroti voudrait rejoindre Milan.

Mais la Haute Cour qui doit le juger, à Vendôme, le laissera-t-elle en vie, ou bien l’enverra-t-elle à la guillotine ?

En ce mois de septembre 1796 (fructidor an IV), les babouvistes emprisonnés craignent la sévérité de la Haute Cour.

Les Directeurs et les juges veulent montrer qu’ils sont impitoyables contre les « anarchistes ».

Or, l’homme de Varennes, Drouet, arrêté avec Babeuf, s’est évadé. Et l’on soupçonne Barras, ou Fouché d’avoir favorisé la fuite du maître de poste qui a permis l’arrestation de Louis XVI.

Il y a plus grave encore.

Une bande se réclamant de Babeuf, des Égaux, et rassemblant entre deux cents et sept cents hommes – comment savoir avec précision ? – vient d’attaquer le camp militaire de Grenelle. Les assaillants sont persuadés d’y être attendus par des soldats prêts à rejoindre la cause de l’Égalité.

Traquenard ! Piège tendu par Carnot. Les babouvistes qui se sont élancés aux cris de « Vive la Constitution de 1793 ! », « À bas les Conseils et les nouveaux tyrans ! » ont été chargés par la cavalerie et sabrés.

Une vingtaine d’entre eux ont été tués, et le chef d’escadron Malo, qui menait la charge, a pu ramener au camp cent trente-deux prisonniers.

On affirme que « Carnot était d’accord pour laisser les anarchistes faire une échauffourée alors qu’il était aisé de les prévenir et d’arrêter leurs projets puisqu’ils étaient bien connus ». Mais Carnot veut une répression exemplaire, et la décapitation de ce « serpent anarchiste ».

Il y a parmi les prisonniers d’anciens conventionnels, qui devraient, puisqu’ils sont civils, échapper aux commissions militaires qui sont pourtant chargées de les juger.

Mais l’illégalité n’arrête pas les juges.

En six séances, les commissions militaires, implacables, prononcent trente-deux condamnations à mort et des peines de prison et de déportation. Les jugements sont sans appel.

Les pelotons d’exécution sont déjà alignés dans la plaine de Grenelle, et les condamnés à mort sont exécutés aussitôt le verdict rendu, leurs corps criblés de balles tombant les uns sur les autres.

Le bruit des détonations étouffant les voix qui crient : « La Constitution de 93 ou la mort ! »

C’est la mort qui l’emporte, laissant les Directeurs divisés sur les conséquences politiques de cette machination réussie.

Carnot s’en félicite.

Barras et Reubell craignent qu’en détruisant la faction « anarchiste » on n’ait renforcé la royaliste.

« Où sont les terroristes ? s’exclame même le général Hoche. Je vois des chouans partout. »

Il a pris acte de l’abandon par les chefs chouans de la lutte armée. L’un des derniers insurgés, Cadoudal, vient lui aussi de déposer les armes.

Mais aucun de ces chouans ou de ces Vendéens n’a renoncé à rétablir la monarchie.

Ils condamnent et méprisent la politique du Directoire.

Ils la jugent complice des Jacobins.

Ils partagent l’avis de Mallet du Pan qui écrit :

« Un jour l’autorité destitue un Jacobin en place, tantôt elle en place un autre pire que le précédent. »

Et les royalistes n’oublient pas que les Directeurs sont des régicides, des ennemis du Trône et de l’Autel.

Alors ils mêlent leurs voix à celle du peuple, qui, tous les observateurs de police le confirment, « continue de vomir mille imprécations contre le gouvernement ».

26.

En cet automne de l’an IV, les Directeurs entendent ces propos hostiles que ne font cesser ni les exécutions des assaillants « anarchistes » du camp de Grenelle, ni les concessions faites aux royalistes.

Il semble au contraire qu’en frappant les deux factions extrêmes, le Directoire s’affaiblisse.

Sa seule force, ce sont les armées. Mais la plus glorieuse, celle dont on chante les exploits, l’armée d’Italie, lui échappe.

Napoléon Bonaparte expédie à Paris œuvres d’art, caisses remplies de lingots, trésors de toutes sortes, mais il mène « sa » politique, ignorant les ordres du Directoire, menaçant à nouveau de démissionner quand on lui envoie le général Clarke pour le surveiller, et gardant tout le pouvoir sur ses troupes comme il avait déjà réussi à le faire quand Carnot lui avait demandé de laisser la place au général Kellermann.

Les Directeurs s’affolent devant les initiatives diplomatiques et politiques de ce général que l’opinion célèbre.

Bonaparte écrit sur un ton de commandement à Sa Majesté l’empereur d’Autriche :

« L’Europe veut la paix, cette guerre désastreuse dure depuis trop longtemps… »

Et Bonaparte menace de combler le port de Trieste, et de « ruiner tous les établissements de Votre Majesté sur l’Adriatique »…

Il réunit à Bologne, puis à Reggio d’Émilie, un congrès de patriotes italiens qui l’acclament comme le libérateur et le fédérateur de l’Italie, et proclament la République cispadane, qui adopte, à l’image de la France, un drapeau tricolore, vert, blanc, rouge.

Et en même temps il doit affronter des armées autrichiennes, aux effectifs deux fois plus nombreux que ceux dont il dispose. Il demande au Directoire des armes, des approvisionnements, des renforts.

« Je vous prie de me faire passer au plus tôt des fusils, vous n’avez pas idée de la consommation qu’en font nos gens… Il est évident qu’il faut des secours ici… Je fais mon devoir, l’armée fait le sien. Mon âme est déchirée mais ma conscience est en repos. Des secours ! Des secours ! »

Mais il est seul, en avant de ses troupes, quand il marche les 15 et 17 novembre 1796 (25 et 27 brumaire an V) dans les marais d’Arcole, qu’il s’élance sur le pont criblé par la mitraille, que son aide de camp, Muiron, se place devant lui pour le protéger d’une décharge, et se fait tuer, Bonaparte tombant dans la rivière, menacé d’être pris par des cavaliers croates.

Au terme de combats acharnés c’est la victoire, la légende du pont d’Arcole, les journaux qui exaltent le général Bonaparte, et la rue Chantereine, où habite Joséphine de Beauharnais, rebaptisée « rue de la Victoire ».

Et dans la nuit du 14 janvier 1797 (25 nivôse an V), Bonaparte écrase les Autrichiens sur le plateau de Rivoli, faisant vingt-deux mille prisonniers.

La place forte de Mantoue capitule, Napoléon Bonaparte est le maître de l’Italie du Nord.

Il va traiter avec les envoyés du pape Pie VI, obtenir de Sa Sainteté la cession d’Avignon et du Comtat Venaissin à la France, sans compter les caisses remplies de pièces d’or et d’argent, de lingots, et les centaines de tableaux et de statues.