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« Nous avons été sous les armes depuis dix heures jusqu’à ce moment, sept heures du soir, et nous ne savons autre chose de ce grand mouvement sinon qu’on visite partout pour découvrir les émigrés et des armes cachées dans les maisons suspectes.

« En effet, des commissaires accompagnés de nombreuses patrouilles se sont portés dans les maisons et sont encore occupés, dans le moment que nous écrivons, aux visites domiciliaires qui doivent cesser avec le jour.

« Les barrières sont fermées et les rues barricadées. On ne laisse passer aucun citoyen qui ne soit muni de sa carte.

« Ces extrêmes précautions suggérées sans doute par la nécessité ont paru rigoureuses et ne peuvent être justifiées que par le danger de la chose publique. Salus populi suprema lux esto. Soit. Mais combien d’honnêtes artisans, d’utiles commerçants, et nos femmes timides souffrent de ces grands mouvements révolutionnaires et désirent une Constitution qui en arrête le cours rapide et destructeur. »

Le Bulletin national, en publiant cet article le 29 mars 1793, exprime les sentiments de ceux qui, gardes nationaux, répondant à l’appel aux armes de leur section, sont des modérés qui veulent sauvegarder les propriétés, souhaitent un retour à l’ordre, non pas celui, ancien, de la monarchie, mais celui d’une République apaisée, où la loi l’emporte sur le désordre révolutionnaire.

Mais dans les sections, et à la Convention ou aux Jacobins, ces hommes-là n’osent pas prendre la parole, craignant d’être aussitôt suspects. Et, en ces jours où la République est prise dans l’étau des armées de la coalition et des insurgés vendéens, ces « modérés » se rapprochent des Montagnards, car ils veulent sauver la République.

Ils soutiennent la constitution, le 6 avril, du Comité de salut public, dont les premiers membres sont en majorité issus des bancs de la Plaine, et des hommes qui ne se sont ralliés à aucun camp. Les seuls Montagnards avérés sont Danton et Delacroix, et encore ce dernier n’est-il que depuis peu montagnard.

Mais les députés de la Plaine (Barère, Cambon) membres du Comité de salut public veulent eux aussi, comme les Montagnards, défendre la Révolution.

Lorsque Barère reçoit la lettre que lui adresse, à la fin du mois de mars, le député Jean Bon Saint-André, pasteur, élu du Lot, et qui vient de parcourir comme représentant en mission plusieurs départements, il en fait part aux autres membres du Comité de salut public, et tous partagent les remarques de Jean Bon Saint-André :

« Partout l’on est fatigué de la Révolution, écrit le député. Les riches la détestent, les pauvres manquent de pain et on les persuade que c’est à nous qu’ils doivent s’en prendre… Nous faisons bien tous nos efforts pour redonner aux âmes un peu de ressort, mais nous parlons à des cadavres… Le pauvre n’a pas de pain et les grains ne manquent pas mais ils sont resserrés. Il faut très impérieusement faire vivre le pauvre si vous voulez qu’il vous aide à achever la Révolution… Les troubles de la Vendée et des départements voisins sont inquiétants sans doute mais ils ne sont dangereux que parce que le saint enthousiasme de la liberté est étouffé dans tous les cœurs. »

3.

Mais, en ce printemps 1793, peut-on ressusciter ce « saint enthousiasme de la liberté, étouffé dans tous les cœurs », quand ceux qui, en 1789, se dressaient unis contre les manœuvres de la Cour, sont désormais des ennemis chaque jour plus déterminés ?

Ainsi, en avril, la rumeur court selon laquelle les Enragés, les sans-culottes qui les suivent et la Commune de Paris préparent une « journée révolutionnaire », contre la Convention, pour les fêtes de Pâques.

Au club des Jacobins, Robespierre le jeune – Augustin Robespierre –, après Marat, après son frère Maximilien, déclare : « La Convention n’est pas capable de gouverner. Il faut attaquer les meneurs de la Convention. Citoyens, ne venez point offrir vos bras et votre vie, mais demandez que le sang des scélérats coule ! Il faut que tous les bons citoyens se réunissent dans leurs sections… viennent à la barre de la Convention nous forcer de mettre en état d’arrestation des députés infidèles… »

Il s’agit des Girondins.

Et à la Convention, les menaces, les injures fusent :

« Nous saurons mourir mais nous ne mourrons pas seuls », crient les députés girondins.

Ils répondent de cette manière aux sans-culottes qui viennent de déposer une pétition à la barre de la Convention.

Et ces pétitionnaires, sous les acclamations des citoyens des tribunes, ont lancé aux députés :

« Entendez-nous ! Entendez-nous pour la première fois. La nation est lasse d’être continuellement en butte à des trahisons… Elle est lasse de voir parmi vous d’infidèles mandataires… Qui méritait plus l’échafaud que Roland ? »

Les mots tombent comme des couperets : « majorité corrompue », « ligue qui veut nous vendre à nos tyrans et qui embrasse toute la France ».

Les pétitionnaires en appellent aux Montagnards :

« Montagne de la Convention, c’est à vous que nous nous adressons. Il faut que la France soit anéantie ou que la République triomphe. »

Or, la République, assaillie, est en péril.

Les « Blancs » de la « grande armée catholique et royale », commandés par d’Elbée, avancent vers Fontenay, dispersent les « Bleus », et même si l’armée échoue à conquérir un port qui lui permettrait de recevoir l’aide de l’Angleterre, elle est une grave menace.

Ces paysans royalistes et catholiques défient la République, humilient les « volontaires », les libèrent après les avoir tondus, gardent certains d’entre eux en otages. Et n’hésitent pas à fusiller.

Dans le Sud, à Lyon, à Bordeaux, à Marseille, les « modérés » s’organisent, exécutent les sans-culottes radicaux, expulsent les représentants en mission.

À Rouen, le pain manque, provoquant des émeutes qu’il faut durement réprimer.

Et même à Paris, aux Champs-Élysées, des promeneurs s’attroupent, crient « Marat à la guillotine ! ».

Les citoyens aisés s’inquiètent pour leurs propriétés, quand ils entendent Camille Desmoulins déclarer :

« On vous a parlé de deux classes de citoyens, des messieurs et des sans-culottes ; prenez la bourse des premiers et armez les autres ! »

Et ces « autres », précisément, réclament et obtiennent la fixation d’un maximum pour les prix des denrées et d’abord du blé.

Dans une adresse à la Convention, l’assemblée générale des maires et des officiers municipaux de Paris et des communes de la banlieue déclare :

« Qu’on n’objecte pas le droit de propriété ! Le droit de propriété ne peut être le droit d’affamer ses concitoyens. Les fruits de la terre comme l’air appartiennent à tous les hommes… »

Les Girondins s’insurgent, tentent de rassembler les propriétaires.

Pétion, l’ancien maire de Paris, s’adresse aux Parisiens :

« Vos propriétés sont menacées, dit-il, Parisiens sortez enfin de votre léthargie et faites rentrer ces insectes vénéneux dans leurs repaires ! »

« Vous êtes des scélérats ! » crie Danton aux députés girondins.

« Nous avons des enfants qui vengeront notre mort, lui répond-on. À bas le dictateur ! »

Guadet, avocat à Bordeaux, député à la Législative puis à la Convention, l’un des chefs girondins, interpelle les Montagnards :

« Votre opinion est comme le croassement de quelques corbeaux… »

« Vil oiseau, tais-toi ! » lui lance Marat.

Violences verbales, propositions si tranchées que plus rien ne semble pouvoir rapprocher la Montagne de la Gironde.

« Cet esprit d’opposition dégénère en deux partis permanents, fougueux, haineux, qui se déclarent une guerre à mort, au moment où la patrie est attaquée au-dehors et déchirée au-dedans, c’est là ce qui désespère les vrais républicains », écrit le libraire Ruault.