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Le roi de Prusse fait pression sur le duc de Brunswick, afin que celui-ci « conseille » à Louis XVIII de quitter le duché, de demander refuge en Courlande, à Mitau, sous la protection du tsar, loin, loin, de la France.

Tout est bien.

Il n’existe plus aucun journal pour écrire que le peuple méprise les députés, aussi bien pour avoir accepté le coup d’État, que pour l’avoir perpétré !

Mais qu’importe l’avis du peuple.

Les trois cents salles de bal ne désemplissent pas. Les trente théâtres affichent complet.

On s’interroge gravement : l’« éventail queue-de-serin à paillette » va-t-il être adopté par les élégantes ?

Elles ont bien du souci pour laisser apparaître leur soulier en maroquin vert.

« Il faut que le tiers du bras droit passe sous les plis de la robe pour la tenir retroussée à la hauteur du mollet. »

Et la foule autour du palais du Luxembourg s’écarte pour laisser passer le carrosse rouge de Thérésa, ci-devant épouse Tallien, et désormais favorite de Barras.

Elle règne, souvent accompagnée de la générale Bonaparte.

Le mari de Joséphine, Napoléon Bonaparte, glorieux, est devenu, en même temps que général en chef de l’armée d’Italie, chef de l’armée des Alpes après que Kellermann a été privé de son commandement.

Hoche est mort de tuberculose et le général Augereau commande toutes les armées situées à l’est et regroupées sous le nom d’armée d’Allemagne.

Augereau, l’homme « prêté » par Bonaparte au Directoire.

Donc, le général en chef de l’armée d’Italie contrôle en fait toutes les armées de la République.

NEUVIÈME PARTIE

Fructidor an V – Floréal an VI

Septembre 1797 – Mai 1798

« Voilà donc une paix à la Bonaparte »

 

« Voilà donc une paix à la Bonaparte.

Le Directoire est content, le public enchanté.

Tout est au mieux. On aura peut-être quelques criailleries d’italiens ;

mais c’est égal. Adieu, général pacificateur ! Adieu, amitié,

admiration, respect, reconnaissance :

on ne sait où s’arrêter dans rémunération. »

Lettre de Talleyrand à Bonaparte

brumaire an VI (novembre 1797)

« Je ne sais plus obéir.

Ces avocats de Paris qu’on a mis au Directoire n’entendent rien

au gouvernement, ce sont de petits esprits…

Je doute fort que nous puissions nous entendre

et rester longtemps d’accord… Mon parti est pris, si je ne puis

être le maître, je quitterai la France, je ne veux pas avoir fait tant

de choses pour la donner à des avocats. »

BONAPARTE à Miot de Mélito, ambassadeur de France à Turin

27 brumaire an VI (17 novembre 1797)

31.

C’est l’automne de l’an VI.

Le vent et la pluie, et même de brusques et violentes bourrasques, balaient toute la France. Et durant ces mois de fructidor, de vendémiaire, de brumaire – septembre, octobre, novembre 1797 –, une terreur masquée s’étend sur le pays.

Les vainqueurs du coup d’État du 18 fructidor traquent les suspects de royalisme, les émigrés, les prêtres réfractaires que des lois avaient absous, et que de nouvelles dispositions permettent d’arrêter, de fusiller, de proscrire sans jugement.

« Les patriotes n’avaient marché jusqu’alors que sur des ronces », écrit Joseph Fouché.

L’ancien terroriste de l’an II hante maintenant les couloirs du Directoire. On se croise lors des réceptions que donne Barras au palais du Luxembourg.

Fouché avait fait tirer à la mitraille sur les royalistes lyonnais en 1793.

Il poursuit :

« Il était temps que l’ombre de la liberté portât des fruits plus doux pour qui devait les cueillir et les savourer. »

On a nommé, pour remplacer Carnot et Barthélémy dans leurs fonctions de Directeurs, Merlin de Douai et François de Neufchâteau, l’un chargé de la Justice et l’autre de l’intérieur. Ce sont des républicains déterminés.

Le public enchanté. Tout est au mieux. On aura peut-être quelques criailleries d’italiens ; mais c’est égal. Adieu, général pacificateur ! Adieu, amitié, admiration, respect, reconnaissance : on ne sait où s’arrêter dans l’énumération… »

« Ils m’envient, je le sais, bien qu’ils m’encensent », murmure Napoléon Bonaparte.

Et quand son aide de camp, La Valette, lui dit : « À Paris, ce sera pour vous un triomphe. On se pressera dans les rues que vous emprunterez »,

Bonaparte hausse les épaules : « Bah, le peuple se porterait avec autant d’empressement sur mon passage, si j’allais à l’échafaud. »

Ce réalisme, ce cynisme, sont partagés par une grande partie des Français.

Trop d’événements depuis près d’une décennie ! Trop d’illusions qui se sont dissipées comme des mirages.

Et cela touche toutes les catégories de la population, et chacune d’elles réagit à sa manière, en fonction de ses conditions de vie.

Les citoyens des faubourgs sont affamés, misérables. Ils entrent dans l’hiver sans bois de chauffage, sans vêtements chauds. Amers, désespérés, ils crachent quand passent les voitures des « ventres dorés », des « ventres pourris », des « nouveaux riches », des « fripons », ces députés, ces Directeurs, ces financiers, tous charognards qui se nourrissent de la guerre.

Et les rentiers eux-mêmes sont ruinés – ou dépossédés – par la décision du Directoire de liquider les « deux tiers de la dette publique ». Le « tiers » est consolidé, mais les deux tiers sont en fait perdus, parce que remboursés en monnaie sans valeur. C’est une banqueroute des deux tiers, « même si elle assainit les finances ».

Et naturellement elle n’affecte pas les « enrichis », les « corrompus », ceux qui se vautrent dans le luxe et la débauche.

Ceux-là dansent à Bagatelle, à l’Élysée-Bourbon, à Tivoli. Puis ils soupent dans les restaurants du Palais-Royal.

« Le cœur des Parisiens opulents s’est métamorphosé en gésier. On fréquente les théâtres. Tout y respire l’aisance et la gaieté, le plaisir et la joie. »

« On admire les femmes “sans chemises”, les bras et la gorge nus avec jupe de gaze sur un pantalon de couleur chair, les jambes et les cuisses enlacées par des cercles endiamantés. »

On va de l’un à l’autre, Thérésa ci-devant Tallien impose toujours sa « dictature de la beauté ».

On divorce. Le nombre des « enfants trouvés » s’élève à près de cinquante mille en France dont quatre mille à Paris… Un citoyen réclame le droit d’épouser la mère de ses deux femmes successives…

Ce spectacle que les élites donnent au peuple désespère les citoyens. Toutes les initiatives du pouvoir sont accueillies avec scepticisme.

Ainsi, comment pourrait-on croire en cette religion d’État que le Directeur La Révellière-Lépeaux s’emploie à mettre en scène, organisant le 1er vendémiaire an VI (22 septembre 1797), au Champ-de-Mars, « une prière à l’auteur de la nature » ?

Et les citoyens se souviennent de la fête de l’Être suprême, triomphe de Robespierre quelques mois avant sa chute !

On ne croit donc plus aux religions nouvelles.

On se tourne vers la religion catholique, et les proscriptions qui frappent les prêtres – près de mille cinq cents en une seule année – achèvent de la réhabiliter.

On cache les prêtres poursuivis. On se détourne de l’Église constitutionnelle, d’ailleurs combattue par les Directeurs et les anciens Jacobins avec autant de force que l’est l’Église réfractaire.

En fait, tout ce qui vient du pouvoir est suspect.