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Il sent bien que cet affrontement ira jusqu’au bout. Les Girondins le désirent, comme les Montagnards.

« Celui qui n’est pas pour le peuple, celui qui a des culottes dorées est l’ennemi-né de tous les sans-culottes ! dit Robespierre à la tribune des Jacobins. Il n’existe que deux partis, celui des hommes corrompus et celui des hommes vertueux. »

Et à ses yeux, comme à ceux de Camille Desmoulins, les Girondins sont corrompus, ont choisi de vivre dans l’opulence.

Desmoulins ajoute même dans un pamphlet publié le 19 mai 1793, et intitulé Fragment de l’histoire secrète de la Révolution ou Histoire des brissotins, que les Girondins sont au service des agents de Pitt, du duc d’Orléans, et de la Prusse.

Brissot serait l’âme de ce complot anglo-prussien.

Il faut donc épurer la Convention de ces reptiles, de ces esclaves, de ces intrigants, de ces tartuffes, de ces brigands, de ces corrompus, et de ce « pauvre Roland, combien le calice du cocuage semble amer au vieillard ! ».

Desmoulins ne fournit aucune preuve de ce qu’il avance, mais il attise la haine, et Le Patriote français, le journal de Brissot, relève le gant.

« Depuis trop longtemps, le républicanisme et l’anarchie sont en présence et n’ont fait pour ainsi dire qu’escarmoucher. Cet état pénible ne peut plus se prolonger : on nous présente un combat à mort, eh bien acceptons-le ! »

Les Montagnards, les Enragés souhaitent et préparent cet affrontement.

Il faut, disent-ils, « purger », « épurer », « organiser » le vomissement des brissotins hors de la Convention.

Le Montagnard Carrier, ancien procureur à Aurillac sous l’Ancien Régime, élu député à la Convention, ajoute : « Il faut que Brissot tâte de la guillotine. Il faut qu’il la danse. » La menace est explicite.

Et les Girondins se défendent.

S’ils réussissent à juguler les quelques milliers de sans-culottes parisiens, le pays les suivra, pensent-ils, et rejettera les Marat, les Robespierre, les Hébert, les Danton.

Guadet, l’élu de Bordeaux au talent d’orateur éblouissant, voltairien sarcastique, se moque de Maximilien qui invoque l’Être suprême, la Providence :

« J’avoue, dit Guadet, que ne voyant aucun sens à cette idée de Providence je n’aurais jamais pensé qu’un homme qui a travaillé avec tant de courage, pendant trois ans, à tirer le peuple de l’esclavage du despotisme peut concourir à le remettre ensuite dans l’esclavage de la superstition… »

Et Buzot, figure marquante du groupe des Girondins, n’hésite pas à proposer la fermeture du club des Jacobins :

« Voyez cette société, jadis célèbre, il n’y reste pas trente de ses vrais fondateurs. On n’y trouve que des hommes perdus de crimes et dettes. Lisez ses journaux, et voyez si tant qu’existera cet abominable repaire vous pouvez rester ici. »

Robespierre et les Jacobins n’oublieront pas ces attaques.

Il faut trancher. Le 12 avril, les Girondins accusent Marat d’appeler les citoyens à s’en prendre aux députés qu’il appelle « infidèles ».

Marat ?

C’est un « vil scélérat qui prêche le despotisme », lance Pétion.

Et quand Marat tente de répondre, les députés crient, tournés vers lui : « Taisez-vous, scélérat ! » Les Montagnards eux-mêmes le défendent sans aucune vigueur.

Seul Danton comprend qu’en décrétant Marat d’accusation, les Girondins commencent la bataille. S’ils l’emportent dans ce premier assaut, ils poursuivront demain tous les Montagnards. Or Marat, après un vote par appel nominal, est décrété d’accusation par 226 voix contre 92 et 46 abstentions !

Une forte majorité de la Convention suit donc la Gironde…

Marat, entouré de sans-culottes qui l’attendent à la sortie de la salle du Manège, échappe à l’arrestation, choisit la clandestinité, s’enfonçant dans « ses souterrains », tenant des assemblées ici et là, fustigeant les « perfides, les traîtres qui mènent la Convention ».

« Un peu de patience encore, ils succomberont sous le poids de l’exécration publique », assure-t-il.

Et il convainc.

Enfin Robespierre prend la parole en sa faveur :

« Ce n’est pas contre Marat seul qu’on veut porter le décret d’accusation, dit-il. C’est contre vous, vrais républicains, c’est contre vous qui avez déplu par la chaleur de vos âmes, c’est contre moi-même peut-être, malgré que je me sois constamment attaché à n’aigrir personne, à n’offenser personne. »

En quelques jours, la situation change.

Marat, jusqu’alors tenu à l’écart, devient le persécuté, le héros des sans-culottes, rassemblant autour de son nom les Montagnards, les Enragés, les membres de la Commune, les citoyens pauvres.

Lorsque, le mardi 23 avril, dans l’après-midi, Marat se présente à la prison de l’Abbaye, se constitue prisonnier, il sait qu’il ne risque plus rien. Il est accueilli par des officiers municipaux, des administrateurs de la Commune qui l’entourent, soupent avec lui, célèbrent son courage, le protègent d’éventuels assassins.

Et Marat pérore :

« Peuple, lance-t-il, c’est demain que ton incorruptible défenseur se présente au Tribunal révolutionnaire. Son innocence brillera. Tes ennemis seront confondus. Il sortira de cette lutte plus digne que toi. »

Le lendemain il va mener les débats devant le Tribunal, envahi par une petite foule de partisans, soutenu par l’accusateur public, Fouquier-Tinville, qui lui est favorable et qui laisse Marat prendre la parole, sans même se soucier de l’avis du président du Tribunal.

L’audience se transforme en assemblée sans-culotte.

« Citoyens, dit Marat, ce n’est pas un coupable qui paraît devant vous : c’est l’Ami du peuple, l’apôtre et le martyr de la liberté depuis si longtemps persécuté par les implacables ennemis de la patrie et poursuivi aujourd’hui par l’infâme faction des hommes d’État. »

Le procès de Marat devient un acte d’accusation contre les Girondins. Les jurés l’acquittent et l’honorent. On le coiffe d’une couronne ornée de rubans. Un cortège se forme pour le raccompagner à la Convention. On l’a fait asseoir sur un fauteuil qu’on soulève et que plusieurs personnes portent sur leurs épaules.

Combien sont-ils, ceux qui le suivent ? « Sept à huit cents pillards et brigands », écrit le journaliste girondin, député à la Convention, Gorsas. Ou bien cent mille, selon Marat ?

Tout au long du parcours, on l’acclame, on crie : « Vive la République ! Vive la liberté ! Vive Marat ! »

On force les portes de l’Assemblée. On s’installe sur les sièges des députés cependant que Marat, « couronné », prend place.

On scande « Vive l’Ami du peuple ! » et « À la guillotine les Girondins ! ».

Marat est entouré, embrassé par les femmes qui, entrées dans la salle de la Convention, se sont précipitées vers lui.

Il prend la parole :

« Je vous présente dans ce moment-ci un citoyen qui avait été inculpé, et qui vient d’être complètement justifié. Il vous offre un cœur pur. Il continuera de défendre avec toute l’énergie dont il est capable les droits de l’homme, la liberté, les droits du peuple. »

Les Girondins sont défaits.

Le Tribunal révolutionnaire, les officiers de la Commune, la garde nationale dont on a vu les bataillons escorter Marat, et ne pas interdire à la foule de submerger la Convention : tout leur échappe.

Le peuple des faubourgs, les pauvres, ne font aucune confiance à la Convention, là où les Girondins peuvent encore réunir une majorité, faire voter la constitution d’une Commission des Douze qui enquêtera sur les actes de la Commune.