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Les généraux Sebastiani et Murat savent qu’ils doivent, à l’aube du 18 brumaire, amener place de la Concorde, puisque le Conseil des Cinq-Cents siège au Palais-Bourbon et le Conseil des Anciens aux Tuileries, l’un ses dragons, l’autre ses chasseurs.

Bonaparte lit les affiches, les proclamations, les libelles qui annonceront à la population le changement de gouvernement.

Demain, 18 brumaire an VIII, il joue sa vie.

Et le destin de la nation.

37.

Ce jour, 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), est celui du premier acte.

Place de la Concorde, face au Palais-Bourbon et aux Tuileries, les dragons du général Sebastiani et les chasseurs du général Murat ont pris position dans l’aube glacée.

Des pièces d’artillerie sont en batterie. Les servants battent la semelle, tentent de se réchauffer.

Les fenêtres des Tuileries sont éclairées depuis quelques heures déjà. Les députés des Anciens ont été convoqués au milieu de la nuit.

Ils ont vu les troupes, cette masse noire enveloppée par l’haleine des chevaux, et fendue, par moments, ici et là, par l’éclat des baïonnettes. Un des inspecteurs du Directoire leur a lu un rapport effrayant : on menace la République. Une journée sanglante se prépare. Les observateurs de police signalent des conciliabules, des rassemblements.

« L’embrasement va devenir général. La République aura existé et son squelette sera dans la main des vautours. »

Tout est imprécis. Mais les Anciens se souviennent des journées révolutionnaires, des têtes brandies au bout des piques.

Il faut sauver le pays des vautours et protéger leur vie.

On vote par acclamation un décret en cinq parties. Le Corps législatif sera transféré à Saint-Cloud. Bonaparte est nommé commandant de la 17e division.

« Il prendra toutes les mesures nécessaires pour la sûreté de la représentation nationale. Il devra se présenter devant le Conseil des Anciens pour prêter serment. »

Bonaparte attend ce décret, rue de la Victoire, chez lui, pâle, vêtu d’un uniforme sans parement.

Les officiers, les généraux qu’il a convoqués se pressent dans les jardins et les salons, bottés, en culotte blanche, avec leur bicorne à plumet tricolore.

Bonaparte convainc les hésitants, ainsi le général Lefebvre qui commande les troupes de la région de Paris et la garde nationale du Directoire, et qu’il doit remplacer.

Aux uns et aux autres, il dénonce ces « gens qui avocassent du matin au soir », qui ont conduit la nation au bord du gouffre. Vers huit heures, deux inspecteurs questeurs du Conseil des Anciens, accompagnés d’un « messager d’État » en tenue d’apparat, fendent la foule des officiers, viennent présenter le texte du décret voté par les Anciens.

Bonaparte le signe, le brandit, en donne lecture aux généraux et officiers : il est légalement le chef de toutes les troupes.

Les militaires tirent leurs épées, et l’acclament.

À cheval !

Plus de soixante généraux, suivis de leurs officiers, chevauchent vers les Tuileries. Les dragons de Murat les entourent.

On les acclame depuis les fenêtres. On court derrière eux jusqu’à la place de la Concorde, où une foule déjà s’est rassemblée.

On crie : « Vive le Libérateur ! », quand on voit Bonaparte entrer dans les Tuileries suivi de quelques généraux.

Dans la salle où s’est réuni le Conseil des Anciens, on le sent à la tribune, face à ces députés aux tenues brodées, les hauts cols galonnés encadrant leur visage, hésitant et emprunté.

Il n’aime pas, il l’a dit, les « assemblées d’avocats ».

Mais il doit parler.

« Citoyens représentants, la République périssait, commence-t-il. Vous l’avez su et votre décret vient la sauver. Malheur à ceux qui voudraient le trouble et le désordre ! Je les arrêterai, aidé du général Lefebvre, du général Berthier et de tous mes compagnons d’armes. »

« Nous le jurons », répètent les généraux.

On l’applaudit. Un député se dresse, tente de dire que les députés du Conseil des Anciens que l’on savait hostiles n’ont pas été convoqués, qu’il faut respecter la Constitution. Mais le président lève la séance. On se réunira demain à Saint-Cloud.

Le Conseil des Cinq-Cents, au Palais-Bourbon, est du fait de la Constitution contraint d’interrompre ses débats, de respecter le décret voté par les Anciens.

Il est onze heures.

Bonaparte caracole devant les troupes, dans le jardin des Tuileries, on l’acclame. Il aperçoit François Marie Bottot, qu’on appelle l’« agent intime de Barras », son espion, son secrétaire.

Bonaparte pousse son cheval contre Bottot, s’adresse à lui, comme s’il parlait à tout le Directoire, « L’armée s’est réunie à moi et je me suis réuni au corps législatif », dit-il.

On l’applaudit.

« Qu’avez-vous fait de cette France que je vous avais laissée si brillante ? poursuit-il. Je vous ai laissé la paix ! J’ai retrouvé la guerre. Je vous ai laissé des victoires ! J’ai retrouvé des revers ! Je vous ai laissé les millions d’Italie ! J’ai retrouvé partout des lois spoliatrices et de la misère ! »

Les applaudissements redoublent.

« Qu’avez-vous fait des cent mille Français que je connaissais, mes compagnons de gloire ? Ils sont morts ! Cet état de chose ne peut durer : avant trois ans il nous mènerait au despotisme. Mais nous voulons la République assise sur les bases de l’égalité, de la morale, de la liberté civile et de la tolérance politique. Avec une bonne administration tous les individus oublieront les factions dont on les fit membres et il leur sera permis d’être français… »

Cependant que déferlent les acclamations, Bonaparte se penche, lance à Bottot : « Dites à Barras que je ne veux plus le voir ; dites-lui que je saurai faire respecter l’autorité qui m’est confiée. »

Au vrai, le Directoire n’est plus.

Sieyès et Ducos ont démissionné.

Gohier et le général Moulin qui s’y refusent sont retenus au palais du Luxembourg sous la garde du général Moreau.

Barras, qui a hésité, reçoit Talleyrand qui lui présente une lettre de démission.

« La gloire qui accompagne le retour du guerrier illustre à qui j’ai eu le bonheur d’ouvrir le chemin de la gloire… les marques de confiance que lui donne le corps législatif, m’ont convaincu… Je rentre avec joie dans les rangs du simple citoyen… »

Il sait ce que Bonaparte a dit à Bottot. Il signe.

Le pouvoir est passé des Directeurs à Bonaparte commandant de la force armée.

Le sang n’a pas coulé. La légalité a été – en apparence -respectée.

C’est Sieyès qui veut qu’on arrête une quarantaine de députés, Jacobins têtus, qui peuvent rechercher l’appui du général Bernadotte qui a refusé le matin de se joindre aux autres généraux. Il y a aussi Jourdan, le général jacobin. Et même Augereau.

Bonaparte rejette la proposition de Sieyès.

Il ne veut pas d’un coup d’État militaire avec ses canonnades, ses feux de salve, ses arrestations. Il veut être selon les termes des affiches qu’on colle autour des Tuileries, et des brochures qu’on vend à tous les coins de rue, ou qu’on distribue : « Un homme de sens, un homme de bien, le sauveur. »

Il charge Saliceti d’aller rassurer les Jacobins, et de leur promettre au nom de Bonaparte une « explication franche et détaillée », en leur précisant que Sieyès voulait les arrêter… et que Bonaparte s’y est opposé.

Pour les mêmes raisons, Bonaparte est réticent quand Fouché lui rapporte qu’il a fait baisser les barrières de Paris.

« Eh mon Dieu, pourquoi toutes ces précautions ? Nous marchons avec la nation tout entière et par sa seule force, s’exclame Bonaparte. Qu’aucun citoyen ne soit inquiété et que le triomphe de l’opinion n’ait rien de commun avec ces journées faites par une minorité factieuse ! »