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Et cette Commission des Douze ordonne l’arrestation d’Hébert, l’éditeur et le rédacteur du Père Duchesne, le journal le plus enragé, le plus hostile aux Girondins mais le plus populaire.

On arrête aussi Varlet, et un autre Enragé, Dobsen, président de la section de la Cité, estimé des sans-culottes. On a oublié qu’Hébert est aussi substitut du procureur de la Commune de Paris, et que les Girondins ne disposent d’aucune force pour protéger la Convention.

Les bataillons de la garde nationale sont, en majorité, composés de sans-culottes « soldés », payés par la Commune, favorables à Hébert, à Varlet, aux Enragés, comme ils le sont à Marat.

Il ne reste aux Girondins que la force de la parole dans l’enceinte de la Convention.

Et encore !

Dans la nouvelle salle où la Convention s’est installée depuis le 10 mai, aux Tuileries, les députés sont entassés les uns sur les autres. Mais les tribunes peuvent contenir plus de quinze cents personnes, et elles sont si basses qu’on peut aisément descendre dans la salle se mêler aux députés.

Et les abords de l’Assemblée permettent à la foule de se réunir à proximité de la salle. Plus que jamais, les députés vont délibérer sous la pression des sans-culottes !

Quand le président de la Convention, le député girondin Isnard, reçoit une délégation de la Commune venue réclamer

— exiger – la libération d’Hébert, ses propos sont aussitôt répétés, et déclenchent la fureur de la foule.

Isnard s’est laissé emporter. Il a menacé Paris comme l’avait fait le Manifeste de Brunswick en 1792 !

« Écoutez ce que je vais vous dire, a crié Isnard, les yeux exorbités. Si jamais par une de ces insurrections qui se renouvellent depuis le 10 mars, et dont les magistrats de la Commune n’ont pas averti l’Assemblée, il arrivait qu’on portât atteinte à la représentation nationale, je vous déclare au nom de la France entière que Paris serait anéanti ! Puis la France entière tirerait vengeance de cet attentat, et bientôt on chercherait sur quelle rive de la Seine Paris a existé. »

Paroles d’émigré. Paroles de Prussien. Paroles de tyran et non paroles de représentant du peuple, de patriote, de républicain. Et dès le lendemain, 26 mai, Marat au club des Jacobins appelle à l’insurrection.

Les sections de Paris sont en effervescence.

On s’arme.

Un Comité central révolutionnaire et insurrectionnel issu de la Commune se réunit dans les locaux de l’Évêché.

Il nomme Hanriot, « fils du peuple », ancien petit commis à l’octroi de Paris, qui le 12 juillet 1789 a mis le feu aux barrières, puis a combattu aux Tuileries le 10 août 1792, commandant provisoire de la garde nationale de Paris.

Hanriot est proche d’Hébert, de Robespierre, des Enragés, influent parmi les sans-culottes, qui aiment sa voix et son éloquence de tribun populaire.

Face à lui, où sont les troupes décidées à protéger la Convention ? Qui soutient les Girondins à Paris, alors qu’ils viennent de menacer de détruire la capitale ?

À Paris, rue des Bourdonnais, dans les derniers jours de mai 1793, une patrouille arrête un ouvrier ivre qui crie à tue-tête :

« Vive la République : la viande est à vingt sols ! Vive la République : la chandelle est à trente sols ! Vive la République : les souliers sont à quinze livres ! »

On l’entoure. On commente son arrestation. Chacun sait qu’avant la Révolution, la viande était à cinq sols, la chandelle à dix sols et les souliers à trois livres !

Aux citoyens du comité de section qui l’interrogent, l’ouvrier répond « qu’il ne disait que ce que tout le monde savait, et parce qu’il ne fallait rien cacher au peuple, et qu’il n’avait pour motifs que la vérité et la liberté ! ».

On le relâche, mais tels sont les sentiments du peuple !

Même quand il assiste, plus spectateur qu’acteur, aux assemblées ou aux cortèges, ou au pillage des épiceries !

« C’est la nation qui prend son café », lance un passant. « Au moins elle ne le prend pas sans sucre ! » ajoute un autre.

On rit. On regarde. On écoute, on acclame Marat – sans se mêler au cortège qui l’accompagne.

« Il a beau être crâne, furieux, fanatique, sanguinaire, la victoire qu’il a remportée l’a rendu encore plus cher à son ami le peuple des faubourgs »… constate un témoin, qui ajoute : « Ce peuple a besoin d’idolâtrer quelqu’un. Il n’a point l’âme fière d’un républicain. Il est le même qui criait naguère “Vive le roi !”. Son idolâtrie n’a fait que changer d’objet. Il crie “Vive Marat !” ? Il a substitué une idole à une autre. »

Et le témoin poursuit :

« Et les Girondins ont fait la gaucherie d’envoyer Marat devant un tribunal tout composé de ses amis ! Marat et ses partisans se vengeront de cet affront. La porte du Tribunal révolutionnaire a été ouverte aux députés mêmes, par des députés ! Quelle inconséquence, quel oubli de bon sens, et de sa propre dignité ! Marat se fera un plaisir et un devoir d’y envoyer aussi quelque Girondin et qui ne sera pas jugé aussi favorablement qu’un Jacobin. »

Les haines entre « patriotes » sont si puissantes qu’on en oublie la menace extérieure, et la grande armée catholique et royale qui continue de se renforcer dans les départements de l’Ouest.

On ignore ces royalistes qui, commandés par un ancien député à la Constituante, Charrier, se rassemblent en Lozère, s’emparent de Marvejols et de Mende, et y massacrent les républicains.

On néglige ces Girondins et ces royalistes qui renforcent leur pouvoir à Lyon, après avoir fait emprisonner le Jacobin Chalier, ancien maire de la ville.

À Paris même, le Bulletin national rapporte que :

« On a trouvé aujourd’hui dans plusieurs endroits de la ville des cartes taillées en forme d’hirondelles et renfermant un papier bleu aux armes de la France et ces mots, écrits en jaune, “Vive le roi !”. De quatre jeunes gens surpris sur le Pont-Neuf, criant “Vive le roi !”, trois ont été arrêtés, le quatrième s’est jeté par-dessus le pont, dans la rivière. »

Ces « ennemis de la patrie », le Tribunal révolutionnaire les condamne à mort.

« Ils meurent avec un courage et une fermeté qui tiennent de l’enthousiasme, écrit le libraire Ruault. Ces criminels d’une nouvelle espèce vont à l’échafaud avec un héroïsme qui attendrit et qui fait peur. Ils se croient des martyrs. Les patriotes mourraient aussi s’ils étaient vaincus. Qui meurt pour son opinion doit être plaint, respecté et admiré. Mais il est triste, il est cruel, il est affreux, d’en venir à des extrémités aussi terribles. »

Mais ces jours de la fin mai 1793 ne sont pas voués à la compréhension de l’autre, à la compassion.

C’est la haine qui imprègne l’atmosphère de Paris.

« Le thermomètre de cette ville est au degré fixe de la terreur », écrit le Girondin Gorsas.

Les sans-culottes en armes, délégués des sections, envahissent les tribunes de la Convention, puis la salle qu’ont fuie les députés girondins comme ceux de la Plaine. Et les Montagnards restés seuls en séance ordonnent la libération de Varlet, de Dobsen, et la dissolution de la Commission des Douze. Mais le lendemain, 28 mai, les députés qui ne sont plus menacés rétablissent la Commission des Douze, par deux cent soixante-dix-neuf voix contre deux cent trente-huit.

La majorité est donc girondine, modérée.

Mais dans les sections on se rassemble, on s’arme, et dans la nuit du 30 au 31 mai, le tocsin sonne, les tambours battent la générale, le canon d’alarme tonne sur le Pont-Neuf. Dix-huit coups sont tirés, très espacés. Il est déjà entre onze heures et midi ce 31 mai.