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C’était un petit caveau ménagé dans l’épaisseur du mur à l’appareil soigné. Une épaisse couche de poussière couvrait deux fauteuils légers en ébène incrusté d’ivoire. Dans un coin, le jeune sculpteur aperçut un coffret délabré. Près du mur opposé, il vit sur un bloc de granit rose une statue de femme en pierre grise, grandeur nature. Seul, le haut de la sculpture était fouillé.

Deux panthères au dos cambré, en pierre noire, semblaient la garder. Pandion essuya délicatement la poussière de la statue et recula émerveillé.

L’artiste avait su rendre la transparence du tissu qui drapait le jeune corps. De la main gauche, la jeune fille serrait un lotus sur sa poitrine. L’abondante chevelure, partagée d’une raie au milieu, encadrait le visage de longues boucles fines et tombait en une lourde masse, plus bas que les épaules. La ravissante créature ne ressemblait pas à une Égyptienne. Elle avait un visage rond, un petit nez droit, un front large et des yeux immenses.

Pandion la regarda de profil et nota avec surprise son expression étrangement malicieuse. Il n’avait jamais rien vu de pareil en sculpture : les artistes d’Aiguptos préféraient l’impassibilité solennelle.

La jeune fille rappelait les femmes de l’Œniadée, ou plutôt les belles habitantes des îles égéennes.

Son visage serein et intelligent, si différent de la sombre beauté des œuvres égyptiennes, était travaillé avec tant de perfection que la douloureuse nostalgie s’empara de nouveau du captif. Les mains crispées, il s’efforçait d’imaginer le modèle du sculpteur, cette jeune fille qui lui paraissait familière et qui était venue en Égypte on ne savait comment, il y avait quatre siècles. Etait-elle captive comme lui ou venue de son plein gré, d’un pays inconnu ?

Un rayon de soleil entré par la fente du plafond éclaira la statue d’une lueur poudreuse. L’expression du visage changea : les yeux semblaient briller et les lèvres frémir, comme si un souffle de vie mystérieuse animait la surface de la pierre.

Voilà comment il fallait sculpter … voilà chez qui on aurait dû apprendre à évoquer la beauté vivante … chez ce maître mort depuis des siècles ?

Pandion posa les doigts avec une douceur respectueuse sur la figure de la statue, palpant les détails infimes, presque imperceptibles, qui rendaient si bien la vie.

Le Grec resta longtemps à contempler la belle jeune fille qui le gratifiait d’un sourire amical et narquois. Il croyait avoir trouvé un nouvel ami, qui réchauffait de son affection la triste monotonie des jours.

Les pensées de Pandion se portèrent vers Thessa. Son image, ternie dans la rudesse de sa vie actuelle, redevenait fascinante …

Les yeux rêveurs du jeune homme erraient sur les fresques du plafond et des murs, entrelacs d’étoiles, de gerbes de lotus, de lys contournés, de têtes de taureaux. Subitement, il tressaillit : le fantôme de Thessa avait disparu, cédant la place, sur la paroi sombre, à l’image de captifs liés dos à dos, qu’on traînait aux pieds du Pharaon. Pandion s’avisa qu’il se faisait tard. Il fallait revenir au plus vite et justifier sa longue absence. Mais un autre regard à la statue lui fit comprendre qu’il n’aurait pas le courage de la livrer au sculpteur, son maître. Cela lui apparaissait comme une trahison, une seconde captivité de la jeune inconnue dans l’Aiguptos inhospitalier. Pandion jeta autour de lui un coup d’œil pressé. Il s’était ressouvenu du coffret dans le coin, s’agenouilla devant lui et en sortit quatre coupes en forme de lotus, revêtues d’émail bleu vif. Cela suffirait. Il contempla une dernière fois la statue, en s’efforçant de retenir tous les détails, et sortit avec un grand soupir, les bras chargés de coupes. Quand il se fut assuré qu’il était bien seul, le jeune sculpteur se hâta de cacher l’entrée derrière de grosses pierres, dont il combla les interstices avec des gravats, pour donner au barrage l’aspect d’un éboulis ancien. Puis il noua soigneusement les coupes dans son pagne, fit un geste d’adieu en direction de la sculpture, restée dans son abri, et s’éloigna en hâte. Les cris des esclaves qui le cherchaient sans doute, le guidaient. Parmi leurs appels, il distinguait la voix sonore de Kidogo.

Le sculpteur royal accueillit Pandion par des menaces, mais la vue de la précieuse trouvaille l’adoucit aussitôt.

Le voyage de retour dura trois jours de plus, car les rameurs devaient lutter contre le courant. Pandion raconta à Kidogo l’histoire de la statue, et le Noir l’approuva, en ajoutant que cette jeune fille était peut-être de la race des Moshaouash, qui vivaient au nord du grand désert occidental.

Le Grec exhortait son ami à fuir, mais l’autre se bornait à secouer la tête.

En sept jours de navigation, le jeune sculpteur ne réussit pas à le persuader, mais lui-même ne pouvait plus demeurer passif ; encore un peu, lui semblait-il, le désespoir le tuerait. Il s’ennuyait des camarades restés au chéné et sur le chantier ; il sentait en eux la force capable de conquérir la liberté … Tandis qu’ici, Pandion étouffait de rage impuissante.

Au surlendemain du retour à l’atelier, le sculpteur du Pharaon conduisit Pandion au palais de l’architecte en chef, où l’on préparait une fête. Le Grec devait modeler des statuettes en argile et faire d’après elles des formes à gâteaux.

Sa besogne achevée, le jeune captif devait rester au palais jusqu’à la fin du banquet, pour aider les autres esclaves à remporter chez lui le sculpteur royal. Il se retira dans les jardins, sans faire attention aux nombreux serviteurs affairés.

La nuit était venue, les étoiles scintillaient dans le ciel sans lune, mais le festin se poursuivait toujours. Les faisceaux de lumière jaune qui jaillissaient des larges baies, arrachaient à l’obscurité des troncs d’arbres, des rideaux de feuillage, des buissons en fleurs, et allumaient des étincelles rouges sur le miroir des bassins. Les convives s’étaient réunis dans la vaste salle du rez-de-chaussée soutenue par des colonnes en cèdre poli. La musique se mit à jouer. Pandion qui depuis longtemps n’avait entendu que des mélopées étrangères, se glissa jusqu’à une fenêtre basse et observa, caché dans des buissons.

Une lourde odeur d’encens émanait de la salle populeuse. Les murs, les colonnes et les encadrements des baies s’ornaient de guirlandes de fleurs, où dominaient les lotus. Des aiguières multicolores, des corbeilles et des vases de fruits étaient placés sur des supports bas, devant les sièges. Échauffés par les vins, les invités oints de pommade odorante se pressaient contre les murs, tandis qu’au milieu, entre les colonnes, des jeunes filles en longues robes évoluaient dans une danse langoureuse. Leurs cheveux noirs, tressés en une multitude de nattes fines, ondulaient sur leurs épaules, de larges bracelets en verroterie emprisonnaient leurs poignets, des ceintures en perles chatoyaient à travers le tissu transparent. Pandion ne pouvait pas ne pas remarquer les formes un peu anguleuses des sveltes Égyptiennes, qui différaient des robustes filles de son pays. De jeunes musiciennes jouaient de divers instruments : deux flûtes, une harpe et deux longs instruments inconnus, à deux cordes, qui émettaient des sons durs et vibrants.

Les danseuses tenaient des feuilles de bronze dont elles tiraient de temps à autre, en les frappant, des accents brefs et sonores. La musique, inusitée pour Pandion, se composait d’une brusque alternance de notes aiguës et graves, tantôt lentes, tantôt précipitées. Enfin, les danseuses fatiguées cédèrent la place aux chanteurs. Le Grec s’efforçait de distinguer les paroles. Il y parvenait, lorsque l’air ralentissait et devenait plus bas.

Le premier chant célébrait un voyage dans le sud du Kemit. « Tu y rencontres une belle fille qui t’offre la fleur de son sein », entendit Pandion.