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Il ne restait presque plus d’huile dans la lampe et le souterrain manquait d’air, car les trous de ventilation étaient bouchés depuis longtemps par les décombres, mais Ahmès s’obstinait à lire. Signe par signe, l’histoire d’un exploit accompli aux temps immémoriaux, peu après la construction de la pyramide de Chéops, se révélait au criminel. Le Pharaon Djédéfrê avait envoyé son trésorier Baourdjed loin dans le Sud, au Pays des Esprits, pour connaître les confins de la terre et le Grand Arc : l’océan. Baourdjed partit du port de Myos Hormos, sur les Eaux d’Azur, avec sept des meilleurs vaisseaux de l’Empire. Les fils de la Terre noire voyagèrent sept ans. Ils parvinrent au Grand Arc et voguèrent loin vers le Sud, le long des côtes inexplorées. Quatre vaisseaux et la moitié des équipages périrent dans les terribles tempêtes du Grand Arc, les autres atteignirent le pays légendaire de Poûnt. Mais la volonté du Pharaon les poussait outre : ils devaient explorer les confins de la terre. Abandonnant leurs vaisseaux, les fils du Kemit se mirent en route à pied.

Ils errèrent plus de deux ans à travers des forêts vierges, des savanes immenses, de terribles montagnes où résident les foudres, et atteignirent, à bout de forces, un grand fleuve où habitait un peuple puissant, qui savait bâtir des temples en pierre. Les confins de la terre, leur dit-on, étaient encore infiniment loin, au-delà des savanes bleues et des forêts au feuillage d’argent. Encore plus loin, c’était le Grand Arc dont aucun mortel ne connaissait les limites. Les voyageurs avaient compris leur impuissance à exécuter l’ordre du Pharaon ; revenus au Poûnt, ils équipèrent des vaisseaux neufs à la place des anciens, vermoulus et endommagés dans la lutte contre les flots du Grand Arc. Mais les survivants étaient à peine assez nombreux pour constituer un équipage. Comblés de présents du Poûnt, ces hommes audacieux décidèrent de refaire en sens inverse le parcours semé de dangers mortels. Le désir de retourner au pays leur prêtait des forces : victorieux des vents et des lames, des tempêtes de sable, des écueils perfides, de la soif et de la faim, ils frayèrent passage jusqu’aux Eaux d’Azur et regagnèrent le port de Myos Hormos après sept ans d’absence.

De grands changements s’étaient produits en Terre noire : le nouveau Pharaon, l’implacable Chéphren, avait contraint le pays à tout oublier pour la construction d’une seconde pyramide géante, destinée à perpétuer sa gloire à travers les millénaires. Le retour des explorateurs surprit tout le monde ; quant au Pharaon, il fut déçu d’apprendre que la terre et l’océan étaient incommensurables et les peuples de l’extrême-sud très nombreux. À lui qui s’était cru le souverain de l’univers, Baourdjed prouva que le Kemit n’était qu’un petit coin de la Terre immense, riche en fleuves et en forêts, en fruits et en animaux de toute sorte et peuplée de diverses tribus habiles au travail et à la chasse.

Le Pharaon accabla les voyageurs de sa colère. Les compagnons de Baourdjed furent exilés dans les provinces lointaines. Il était interdit, sous peine de mort, de parler de l’expédition ; on effaça de la chronique de Djédéfrê les passages relatifs à l’envoi des vaisseaux dans le Sud, au Pays des Esprits. Baourdjed lui-même aurait été mis à mort et son voyage aurait disparu du souvenir des hommes, sans l’intercession d’un sage vieillard, prêtre de Thot, le dieu des sciences, des arts et de l’écriture. C’était lui qui avait incité le Pharaon défunt à connaître les confins de la Terre, à chercher des richesses nouvelles pour le Kemit appauvri par la construction de la gigantesque pyramide. Éloigné de la cour de Chéphren par les prêtres de Rê, il vint en aide au voyageur et le cacha dans le temple de Thot qui renfermait des livres et des plans secrets, des échantillons de plantes et de pierres des contrées lointaines. Sur son ordre, le récit de l’expédition de Baourdjed fut gravé sur des dalles qui devaient rester dans l’inaccessible souterrain jusqu’à ce que le Kémit eût besoin d’en prendre connaissance. Du pays situé au terme de son voyage, derrière le grand fleuve méridional, Baourdjed avait rapporté une pierre translucide, inconnue aux habitants d’Aiguptos. Elle provenait du Pays des savanes bleues, qui se trouvait à trois mois de marche au sud du grand fleuve. Baourdjed avait offert ce signe de la limite du monde au dieu Thot, et c’était précisément la pierre qu’Ahmès prit sur le piédestal de la statue.

L’Égyptien ne put lire jusqu’au bout l’histoire du voyage. Comme il en était à la description de jardins sous-marins féeriques, rencontrés pendant la traversée des Eaux d’Azur, la lampe s’éteignit et le profanateur sortit à grand-peine des caveaux, n’emportant que la curieuse pierre.

À la lumière du jour, elle s’avéra plus belle encore, et Ahmès la garda, mais elle ne lui porta pas bonheur.

Pandion s’apprêtait à franchir la distance formidable qui le séparait du sol natal, et l’Égyptien espérait que cette pierre qui avait peut-être favorisé le retour de Baourdjed du bout du monde, aiderait aussi Pandion.

— Tu ne savais donc rien de ce voyage auparavant ? demanda celui-ci.

— Non, il était resté caché aux fils du Kemit, répondit Ahmès. Nous connaissons de longue date le Poûnt, visité à maintes reprises par nos vaisseaux, mais les terres de l’extrême-sud restent pour nous le mystérieux Pays des Esprits.

— N’y a-t-il jamais eu d’autres tentatives de les atteindre ? Se peut-il que personne n’ait lu, comme toi, ces inscriptions et n’ait renseigné les autres ? insista le Grec.

Ahmès devint rêveur, ne sachant que répondre.