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À la quatrième cataracte, l’expédition fut dépassée par trois barques de Nubiens envoyés en avant-garde pour rechercher l’animal.

Les villages d’ici étaient beaucoup plus espacés qu’au Kemit. La vallée elle-même s’était sensiblement rétrécie, les rochers des plateaux désertiques coupés par le fleuve se voyaient bien à travers la légère brume de chaleur. Des centaines de crocodiles, dont certains de taille géante, se dissimulaient dans les joncs ou gisaient, immobiles, sur les bancs de sable, exposant au soleil leurs dos crêtés, d’un vert noirâtre. Plusieurs esclaves et guerriers imprudents tombèrent victimes de l’attaque sournoise de ces reptiles muets, sous les yeux de leurs camarades.

Les hippopotames se rencontraient en grand nombre. Pandion, les Étrusques et d’autres captifs originaires du Nord connaissaient déjà ces disgracieux habitants du fleuve, qui portaient chez les Égyptiens le nom de « hté ». Les pachydermes ne craignaient pas les hommes, mais ne les assaillaient pas non plus sans cause, aussi ne manquait-on pas de les approcher. De larges taches bleues s’apercevaient au loin, devant le mur verdoyant des joncs, indiquant le lieu de repos des hippopotames là où le Nil s’étalait en lacs unis et scintillants. La peau humide des animaux était bleu clair. Gras et lourds, ils sortaient de l’eau leurs énormes têtes tronquées pour observer les canots. Quand ils immergeaient leurs mufles carrés, on ne voyait plus, au-dessus des flots jaunes et troubles, que les silhouettes des fronts surmontés de deux petites oreilles rondes. Leurs yeux logés dans des excroissances du crâne, ce qui leur prêtait une expression féroce, fixaient les voyageurs d’un regard obtus.

Aux endroits où les falaises s’élevaient du fond du fleuve, constituant des écueils et des rapides, il y avait entre les rochers des creux profonds, remplis d’eau calme et claire. Un jour qu’ils traînaient leur canot au bord d’un bloc de granit, des esclaves virent au fond d’un de ces trous un hippopotame énorme qui marchait lentement sur ses courtes pattes. Sous l’eau, il paraissait bleu foncé. Des Noirs expliquèrent à leurs compagnons que les hté cheminaient souvent ainsi, en quête de racines de plantes aquatiques.

La vallée décrivit encore un brusque tournant, le dernier. À partir d’une grande île fertile et peuplée, elle s’en alla droit au Sud : le terme du voyage n’était plus très loin.

Les bords rocheux de la vallée s’abaissaient, coupés de ravins à sec, où croissaient des fourrés d’arbres épineux. Deux canots chavirèrent au passage de la cinquième cataracte ; onze hommes se noyèrent, étant mauvais nageurs.

En amont de la cinquième cataracte, on vit enfin, à droite, le premier affluent du Grand Fleuve. La vaste embouchure de ce cours d’eau appelé rivière des Aromates [59] se confondait avec le cours principal dans une forêt de joncs et de papyrus. Une impénétrable muraille verte, de douze coudées de haut, entamée par les zigzags des anses et des bras, fermait l’accès de l’embouchure. Sur les rives partagées en chaînes de collines distinctes, les bosquets devenaient plus fréquents ; les troncs épineux des arbres s’élevaient de plus en plus, les broussailles s’enfonçaient en longs rubans sombres à l’intérieur du pays mystérieux et désert. Des bouquets d’herbes sèches bruissaient à flanc de coteau. Le moment de payer ce voyage de liberté, sans chaînes ni prison, approchait ; une sourde angoisse étreignait le cœur des esclaves.

« La terrible épreuve va commencer : les uns seront sauvés au prix du sang et des souffrances de leurs camarades, les autres resteront à jamais dans cette contrée inconnue, immolés comme victimes expiatoires. La destinée humaine est obscure, la mort seule vous dévoile à l’instant suprême le mystère dont on n’a plus besoin, méditait Cavi en examinant ses compagnons, dont il s’efforçait de prévoir l’avenir.

À mesure qu’on remontait le courant, le pays s’aplanissait davantage. Les rives marécageuses hérissées de hautes herbes à perte de vue frangeaient la nappe étincelante du fleuve. Les panaches étoilés des papyrus se courbaient sur l’eau, rompant la monotonie du site.

Des îles herbues divisaient le courant en labyrinthes étroits, où l’eau profonde était noire et mystérieuse. Là où le sol était plus ferme, les voyageurs apercevaient des étendues d’argile sèche et craquelée, que marquaient d’innombrables empreintes d’animaux. Des oiseaux qui ressemblaient à des cigognes, mais atteignaient presque la taille d’un homme, étonnaient les hommes par leurs becs monstrueux. On aurait dit que leur tête se terminait par un coffre massif en os, dont le couvercle se recourbait au bout, en un crochet rapace. Leurs yeux jaunes regardaient méchamment du fond des orbites aux arcades proéminentes.

Passé le confluent du Nil et de la rivière des Aromates, à la fin du second jour de voyage, la vallée, jusque-là droite comme une flèche, obliqua vers l’Est et l’on vit, sur une saillie de la rive, les fumées claires de deux feux. C’était un signal : les chasseurs et les guides nubiens envoyés en avant-garde annonçaient que l’animal était repéré. La nuit, cent quarante esclaves escortés de quatre-vingt-dix guerriers s’en allèrent à pied à l’ouest du fleuve. Une averse tiède s’abattit sur la terre surchauffée. Les émanations humides étourdissaient les captifs qui avaient oublié les pluies sous le ciel toujours pur du Kemit.

Les chasseurs marchaient dans une herbe rude qui leur arrivait à la poitrine ; devant eux, surgissaient parfois des silhouettes d’arbres solitaires. Des hyènes et des chacals hurlaient alentour, des chats sauvages miaulaient d’une voix stridente, des oiseaux nocturnes échangeaient des appels lugubres, au son métallique. La contrée nouvelle, mystérieuse et vague dans les ténèbres, s’ouvrait aux gens de l’Asie et des rivages septentrionaux, pleine de vie indomptée.

Un arbre géant apparut, cachant la moitié du ciel. Les hommes s’installèrent autour de son tronc, plus épais que les obélisques géants de la Terre noire, afin d’y passer la nuit qui devait être la dernière pour beaucoup d’entre eux. Pandion resta longtemps sans pouvoir s’endormir. Énervé par la perspective du combat, il prêtait l’oreille aux rumeurs de la savane.

Cavi s’entendit avec les chasseurs, assis autour du feu, sur le plan d’action du lendemain ; puis il se coucha, soupirant à la vue des camarades plongés dans un sommeil agité ou atteints d’insomnie. Il s’étonna de l’insouciance de Kidogo qui dormait paisiblement entre Pandion et Remdus : les quatre amis ne s’étaient pas quittés durant le voyage. L’attitude du Noir lui semblait l’expression d’un courage supérieur, inaccessible même à un guerrier comme lui, qui avait plus d’une fois vu la mort en face.

Le matin venu, les esclaves furent partagés en trois groupes sous la conduite de cinq chasseurs et de trois guides indigènes. Chacun reçut une longue corde ou une courroie terminée aux deux bouts par un nœud coulant. Quatre hommes par groupe portaient un grand filet très solide, aux mailles larges d’une coudée. Il fallait prendre le monstre au lasso, l’empêtrer dans les filets, le terrasser et le garrotter.

Les groupes avançaient en silence dans la plaine, laissant un certain intervalle entre eux. Les guerriers méfiants suivaient en ligne de bataille, l’arc en position de tir. La savane d’herbes hautes comme la moitié d’un homme se déployait devant Pandion et ses camarades. Des arbres aux cimes empanachées[60] se dressaient çà et là sur le terrain uni. Leurs fûts gris se ramifiaient presque au ras du sol en grosses branches qui s’écartaient graduellement, de sorte que l’arbre rappelait un cône renversé, d’une verdure pâle et transparente.

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59

L’Atbara.

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60

Acacias et mimosas ombelliformes.