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Cavi remercia, par l’intermédiaire de l’interprète, le chef et son peuple hospitalier. Les voyageurs étaient invités à un festin qu’on organiserait le soir en l’honneur de leur venue.

La foule avait entouré la civière de Pandion. Les hommes le regardaient avec respect, les femmes avec compassion. Une jeune fille en manteau bleu s’avança hardiment et se pencha sur le blessé. Le jeune Grec, bronzé par le soleil de la Terre noire et de la Nubie, ne se distinguait, semblait-il, des indigènes que par un teint plus clair. Mais à le voir de plus près, les boucles emmêlées de ses cheveux devenus longs et les traits réguliers de son visage amaigri dénotaient une origine lointaine.

Pénétrée de pitié pour le beau héros allongé sans mouvement, la jeune fille tendit doucement la main pour écarter d’une caresse une mèche tombée sur le front du jeune homme.

Les paupières alourdies se levèrent lentement sur de grands yeux d’une merveilleuse couleur d’or, et la jeune fille tressaillit. Mais l’étranger ne la voyait pas : son regard impassible fixait les branches qui se balançaient au-dessus de lui.

— Irouma ? crièrent à la jeune fille ses compagnes.

Kidogo et Cavi emportèrent leur ami, tandis que la jeune fille resta sur place, les yeux baissés, devenue subitement immobile et insensible comme le jeune Grec qui avait attiré son attention.

LE CHEMIN TÉNÉBREUX

Les soins de Kidogo et de Cavi portèrent leurs fruits : les os fracturés de Pandion s’étaient ressoudés. Mais il n’avait pas recouvré ses forces. Apathique et veule, il reposait tout le jour dans la pénombre de la hutte, répondait brièvement et sans entrain aux questions de ses amis, mangeait à contrecœur et n’essayait pas de se lever. Il avait beaucoup maigri, son visage aux yeux caves, généralement fermés, s’était couvert d’une barbe floconneuse.

Il était temps d’entreprendre le long voyage jusqu’à la mer, jusqu’au pays natal. Kidogo s’était renseigné en détail, auprès des indigènes, sur le chemin conduisant à la Corne du Sud.

Douze des trente-neuf affranchis hébergés au bourg, étaient partis dans différentes directions : ils avaient vécu autrefois dans le pays et comptaient rentrer chez eux sans trop de difficultés ni de risques.

Les autres pressaient Kidogo de se mettre en route. Maintenant qu’ils étaient libres et forts, l’impatience de revoir la patrie lointaine allait en croissant ; chaque jour d’inaction leur semblait un crime. Et comme leur retour dépendait de Kidogo, ils le harcelaient de sollicitations et de rappels.

Le Noir répondait par de vagues promesses, car il ne pouvait pas abandonner Pandion. Après ces entretiens, il demeurait des heures au chevet de son ami, en proie aux doutes et se posant toujours la même question : quand viendrait enfin la crise décisive dans l’état du malade ? Sur le conseil de Cavi, on sortait Pandion de la hutte et le mettait devant l’entrée, aux heures où la chaleur baissait. Mais cela n’amenait pas d’amélioration sensible. Le Grec ne s’animait que pendant la pluie : le fracas du tonnerre et le rugissement des torrents le faisaient se soulever sur le coude et prêter l’oreille, comme s’il percevait dans ces bruits des appels connus de lui seul. Cavi trouva deux sorciers au village, qui traitèrent le malade par une âcre fumée d’herbes et enterrèrent un pot rempli de racines, sans obtenir le résultat voulu.

Un jour que le jeune Grec était couché au seuil de la hutte et que Cavi, armé d’un rameau, chassait indolemment loin de lui les mouches bourdonnantes, une jeune fille en manteau bleu s’approcha d’eux. C’était Irouma, la fille du plus habile chasseur du village, celle-là même qui avait contemplé Pandion le jour de l’arrivée des voyageurs.

Sortant de sous son manteau un bras mince où cliquetaient des bracelets, elle remit à Cavi un sachet tressé et lui expliqua — l’Étrusque savait déjà quelques mots de leur langue — que c’étaient des noix magiques des forêts occidentales, qui devaient guérir le malade. Irouma tenta de lui donner la recette du médicament, mais il ne comprit rien. Confuse, elle baissa la tête, mais se ressaisit aussitôt et réclama à Cavi une pierre plate pour moudre le grain et une coupe d’eau. L’Étrusque passa dans la hutte en marmonnant. La jeune fille regarda autour d’elle, s’agenouilla près de Pandion et le dévisagea. Sa petite main se posa sur le front du Grec. Au bruit des pas lourds de Cavi, elle la retira prestement.

Irouma versa hors du sachet les noix qui ressemblaient à des châtaignes, les cassa, broya les amandes sur la pierre et en fit une pâte qu’elle mélangea avec du lait que Kidogo venait d’apporter. Dès qu’il eut aperçu les noix, Kidogo poussa une clameur joyeuse et se mit à gambader autour de Cavi, toujours grave.

Il expliqua à l’Étrusque interdit que dans les forêts de l’Ouest et celles de son pays il existait un arbre pas très grand, au fût élancé. Ses branches, de plus en plus courtes vers le sommet, lui donnaient une forme pointue[71]. Il produisait quantité de noix qui avaient la vertu miraculeuse de guérir les malades, de rétablir les forces des gens exténués, de faire disparaître la fatigue et de procurer la gaieté aux personnes bien portantes.

La jeune fille donna à Pandion la pâte de noix magiques, puis ils s’assirent tous les trois à son chevet et attendirent patiemment. Au bout de quelque temps, la respiration du jeune homme devint forte et régulière, la peau des joues creuses se colora. L’Étrusque se départit de son austérité. Il observait, comme ensorcelé, l’effet du remède mystérieux. Le Grec poussa un grand soupir, ouvrit les yeux et se mit sur son séant.

Ses yeux ensoleillés glissèrent sur l’Étrusque, sur Kidogo, et s’arrêtèrent net sur la jeune fille. Il regardait d’un air étonné ce visage couleur de bronze, dont la peau satinée semblait d’une élasticité peu commune.

Elle avait des yeux en amande, marqués de petits plis malicieux à la racine du nez. Le blanc pur brillait entre les paupières mi-closes, les narines du nez large et droit palpitaient nerveusement, les lèvres pleines et rouges découvraient dans un sourire franc et timide une rangée de dents de perle. Toute sa figure ronde était si empreinte de tendre espièglerie, que Pandion sourit malgré lui. Aussitôt les yeux d’or du jeune homme, jusque-là ternes et indifférents, rayonnèrent. Irouma, confuse, baissa les cils et se détourna.

Les amis de Pandion n’en revenaient pas : c’était la première fois qu’il souriait depuis la bataille avec le rhinocéros. La vertu des noix était incontestable. Assis sur sa couche, il se renseignait avidement sur ce qui s’était passé depuis le jour du combat, interrompant ses compagnons par des questions précipitées ; il avait l’air d’un homme ivre.

Irouma se retira en hâte, après avoir promis de revenir le soir. Pandion mangea de bel appétit, sans cesser de poser des questions. Vers le soir, cependant, le remède n’agit plus et le malade retomba dans sa somnolence.

Il était étendu dans la hutte. L’Étrusque et le Noir qui se demandaient s’il fallait lui redonner des noix magiques, décidèrent de consulter Irouma.

Elle vint en compagnie de son père, un athlète dont les épaules et la poitrine portaient les traces de griffes de lions. Ils conférèrent longuement ; le chasseur fit à plusieurs reprises un geste dédaigneux en secouant la tête avec colère, puis il éclata de rire et donna à sa fille une légère tape dans le dos. Elle haussa les épaules, la mine dépitée, et s’approcha des camarades de Pandion.

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71

Le kola, plante de la famille des sterculiacées dont les noix sont employées de nos jours dans le monde entier comme tonique.