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En fait, tu sais quoi ? J’ai besoin de me foutre le nez dans le cul, afin de laisser passer cette défaillance. Pour faire ça, une seule adresse : la mienne, que disait le cher Francis Blanche qui avait autant d’esprit qu’il buvait de Pernod sec.

Le hic c’est que m’man est dans le fin fond des Ardèches chez une sœur de papa en train de larguer la rampe. Accompagnatrice de rêve pour ceux du grand voyage, Félicie. Elle sait moribonder avec tact et gentillesse. Canner entre ses bras est un bonheur, maman.

Baisser le store en ayant son beau regard plongé sur tes adieux est le plus grand des réconforts. C’est une grâce du ciel auquel elle sert d’intermédiaire. Passeuse d’âmes ! Tu saisis ? Sa main, ses yeux, sa voix de bonté. Qui donc un jour pourra lui revaloir ça ? Moi, tu crois ? Je le voudrais tellement. J’ai toujours la crainte, au cours de mes tribulations lointaines, qu’une vacherie lui tombe dessus en mon absence.

Je rentre à Saint-Cloud malgré la maison vide et qu’il fasse matin. J’ai dormi au studio contigu à mon bureau, la nuit passée. Mon presque ex-bureau, devrais-je dire. La vie est un malaxage. On est touillé dans le grand mixer. Ça n’arrête pas : les gens, les lieux, les sentiments… Un jour ici, le lendemain là-bas. On fait semblant de trouver la chose normale, de s’y complaire. Mais tu ne m’ôteras pas de l’idée que la véritable existence, c’est celle du paysan, né dans la maison ancestrale, cultivant les champs qui l’entourent, et puis mourant dans le plumard où il est né, après s’être acheté une bagnole et la téloche.

La nôtre, de maison, elle semble déjà à l’abandon. Il a suffi de quelques jours pour lui donner cet aspect mélanco. Un chien que tu quittes te fait la gueule quand tu reviens, un pavillon de meulière également.

Si je te disais : la grille grince déjà ! La vigne de notre tonnelle, bien que ne se plaisant pas beaucoup dans la région parisienne, exubère ; les grappes sont déjà formées, avec des graines vertes pas plus grosses que des têtes d’épingles. Quelques herbages fous guignent notre petit perron.

J’entre. Odeur de renfermé. Je respire à fond : celle de m’man est toujours présente.

Les souvenirs, c’est comme une boîte de biscuits moisis retrouvée dans un placard. Tu te crois obligé d’en grignoter un et de le trouver bon, mais en réalité il a un goût de rance.

Malgré le soleil, une lumière feutrée éclaire les pièces. Je me rends à la cuisine qui est à ma Féloche ce que la dunette est au commandant d’un navire. Je trouve des boîtes de jambonneau et j’en ouvre une. Je pioche dedans avec une fourchette. Savoureux ; c’est mon vieux Sarda qui me les envoie. Gelée poivrée. Pas de pain. La flemme de descendre à la cave et d’entamer une boutanche de picroche. Une rasade de porto, bue à la bouteille me suffit.

Je me dis brusquement qu’il va se passer quelque chose, que c’est imminent. Je reçois des avertissements de ce genre, parfois. Prémonition. Quand t’es un surabondant de la gamberge, faut s’y attendre.

Effectivement, voilà le biniou solitaire et glacé qui retentit. Incongru ! Sa sonnerie n’est plus la même. Il y a en elle comme un épuisement. Elle a sûrement beaucoup retenti dans le pavillon vide et devient aphone.

Je m’approche de l’appareil en louvoyant un peu. Tu paries que c’est m’man qui m’apprend le décès de sa belle-sœur ? Elle va me demander timidement si « Par hasard, sans trop perturber ma vie professionnelle, je peux me rendre à ses obsèques. Que tante Maryse est tout de même la demi-sœur de papa », tout ça. Et moi, insoucieux d’aller me plumer la prostate dans une église de village à laquelle on accède par un chemin dont je fais cadeau à tes pneus à toi, de lui répondre « Qu’hélas, maman, on ne sait plus où donner de la tête à la Grande Taule, au point que je suis contraint de dormir au bureau, tu me comprends ? » Et elle comprendra son fumier de fils, la pauvrette, parce que son existence c’est ça : tout « comprendre » et donc tout accepter de moi !

Je dégoupille.

— Oui ?

Y en a des chiées qui, en décrochant, soit se nomment et attendent, soit disent « Allô ? » Souvent, moi, je fais « Oui ? », comme à quelqu’un qui m’interpelle.

Une voix qui n’est pas de maman. Une voix tout juste audible : si pâle qu’il faut écarquiller ses tympans pour la capter. Je la reconnais nonobstant et alors le ciel me tombe sur la tronche.

Celle du Vieux !

Tu me reçois cinq sur cinq, l’aminche ? Le Dabe ! Le Tondu ! Chilou ! L’homme qui, présentement me délabre le mental. C’est pas à hurler que j’aie eu besoin de rentrer chez moi à ce moment-là ? Tu y crois, maintenant, à mes pressentiments, Face d’ombre ?

— Boss ! exclamé-je. Mais où diable êtes-vous ?

— Je ne sais pas, répond le Gaufré.

Sa cervelle est en rémoulade ou quoi ? Pas savoir où il est alors qu’il me téléphone de l’endroit en question !

— Mais d’où appelez-vous ?

— De Paris, puisque je vous ai eu sans préfixe.

— Il n’y a pas de numéro sur le poste dont vous vous servez ?

— Non.

— Attendez : je cours au téléphone de ma bagnole pour demander qu’on mette le mien sur écoutes, ainsi on pourra vous repérer.

— Faites vite, c’est un miracle que j’aie pu appeler.

Je pose le combiné avec précaution et m’élance. J’exécute des enjambées de trois mètres. Mon cœur bat la chamalière, comme dit Giscard. Un rush de sentiments haletants, confus, envahit ma coupole. Dans quel triste état il semble être, mon Charles Quint à la retraite ! Un homme de sa qualité !

Je cigogne mon turlu. Putain, c’est long pour obtenir les services compétents. Je me dis que j’aurais dû tenter de réformer un peu cette pagaille pendant mon « règne ». Mais les refontes administratives sont des utopies qui capotent toujours. Des nouveaux se pointent, manches retroussées, l’air important, pour s’atteler à la tâche. Un mois plus tard, tu les retrouves en veston et cravate, les pinceaux sous leur burlingue ministre. A l’aise, Blaise. Vous avez dit réformes ? Quelles réformes ?

Je finis par caser mes directives et reviens au triple.

Mais pas besoin de choper le combiné ! Depuis l’entrée je perçois le son lancinant indiquant que la communication est coupée.

CHAPITROUNET

Rue François-Mauriac, au domicile de Thérèse Genitrix-Desqueyroux, c’est Bérurier qui vient répondre à mon coup de sonnette.

Il est vêtu d’un maillot de corps à grille, de son chapeau troué et de ses chaussettes qui le sont aussi. Son œil limaceux me donne à penser qu’il est torché. Son haleine (qui n’est pas du pingouin) confirme la chose.

— Ah ! c’t’oi ! parvient-il à formuler, la phrase étant brève et ne comportant aucun piège notoire d’élocution.

Il lâche un vent de bienvenue et referme.

— On étions en pleine java ! avoue le Preux.

Si j’aimais les calembours, je dirais : « le laid preux », mais ça ferait un peu trop banquet des « Joyeux amis de la gaule matinale ».

Il relourde à tâtons car il a des périodes non seulement d’obscurantisme, mais bien de cécité complète, et m’entraîne à l’intérieur de l’appartement, renversant sur son passage trombesque une gracile console dont les pattes faisaient songer, avant de se briser, à celles des éléphants-moustiques de Salvador Dali.

Le frêle meuble supportait une Diane d’albâtre dont je ne pourrais plus dire si elle était chasseresse ou marchande de pans-baniats.