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Et il lui allonge un taquet au bouc. Seulement l’autre est champion de karaté. Il place au Gros une prise fulgurante et l’envoie dacher sur le matelas.

— Voix de fête su’ un officier de police ! brame le Cornard patenté. J’sens viendre des bavures ! Là, je m’interpose :

— Stooooop ! On se calme !

Mon autorité leur en impose.

— Vous êtes bien sûr de travailler dans la production porno ? m’àbrûlepourpointe Charly Genous.

Je ne réponds rien. Brusquement, mon attention est attirée par quelque chose qui meurtrit le papier de la tapisserie. Je m’approche : il s’agit d’un trou. Pour le cacher, on a mis la photo de Thérèse que je viens d’emparer. Un trou de balle ! Je l’élargis à l’aide de mon canif et n’ai pas grand mal à récupérer le projectile. Du 9 mm, le calibre de l’homme pressé (d’en finir).

CHAPITRERIE

— Un jeune homme demande après vous, m’informe le planton. Ça fait plus de deux heures qu’il vous attend à côté. Ça doit être un fumiste, monsieur le directeur. Quand je lui ai demandé son nom, il m’a dit qu’il s’appelait comme vous.

— Barbauc, fais-je, connaissez-vous un mot de six lettres qui comporte trois « c » ?

— Non, monsieur le directeur.

— C’est le mot « accroc ». Vous devriez le savoir car il y en a un superbe à votre chemise, près de l’emmanchure. Je sais qu’il fait particulièrement chaud, mais je vous serais reconnaissant de mettre votre veste en attendant que Mme Barbauc vous rende votre dignité de fonctionnaire grassement payé !

Et je vais ouvrir la porte de la salle d’attente. Qu’y trouvé-je ? Toinet, mon adopté, en train de lire un numéro de Paris-Match daté d’avril 84.

— Si je m’attendais à toi ! m’exclamé-je.

Il a beaucoup changé, le terrible. Faut dire que ça fait un an que je ne l’ai pas vu. Comme il en branlait un minimum au lycée, on l’a mis dans une boîte à bac réputée, dans l’est de la France. Mission des tortionnaires de l’établissement en question : calmer un peu sa « fougue » (euphémisme) et tenter de lui faire faire une terminale convenable.

En tout cas, ils l’ont bien nourri.

— T’as encaissé au moins trois kilos ? interrogé-je.

— Cinq.

— Tu ne faisais pas de sport, là-bas ?

— Trop : ça me donnait faim.

Je l’entraîne dans l’escadrin et il me suit jusqu’à mon bureau.

Curieux : j’ai l’impression de me trouver en présence d’un homme, maintenant.

— Pose-toi, mon lapin.

Il se glisse dans le fauteuil faisant face au mien.

— Tu te la coules belle ! fait-il en jetant un regard semi-circulaire. C’est classe, ici !

— Je vais déménager : on m’a honoré d’une promotion rétrogradante.

— Tu as fauté ?

— Non. De nos jours on ne vide pas les fonctionnaires qui fautent, mais ceux qui en font trop. Disons que je suis resté trop au contact de la vie : ils ont besoin de planeurs. Je ne te parle pas de tes études, je suppose que ça te fâcherait ?

— Elles sont terminées !

— Tu as décidé ça tout seul ?

— Je suis majeur : dix-huit ans et mèche !

— Des projets pour la vie ?

— Un seul.

— Mercenaire en Afrique ? Vol à main armée ? Proxénétisme ?

Il blêmit. Son nez régulier se pince comme ceux des porteurs de binocles de jadis.

— Tu es dur, murmure-t-il. Merci pour l’accueil !

— Je te charriais. Alors, ton projet ?

— Je veux devenir flic, comme toi !

Cette décision imprévue me trouble ; une émotion douceâtre me prend à la gorge.

Toinet ajoute :

— Je sais parfaitement d’où je viens, grand. Mes parents étaient des truands que tu as alignés. Comme je restais seul au monde, tu m’as adopté. Curieuse histoire. Enfin, c’est la mienne !

— Comment l’as-tu apprise ?

— Le père Béru me l’a racontée un jour qu’il était schlass à ne plus pouvoir grimper son escalier.

— Le gros con ! Il y a longtemps de ça ?

— Tu parles : je devais avoir une douzaine d’années à peine.

— Ça a dû te traumatiser ?

— Oui, j’ai éprouvé un sentiment de rébellion, de haine vis-à-vis de la société.

— Et de moi, surtout ?

— Non ; ton rôle, je l’ai compris. Pour ne rien te cacher, pendant les années qui ont suivi, j’ai voulu devenir gangster ; reprendre le fonds de commerce de mes vieux. Et puis cette année, il s’est passé quelque chose d’indéfinissable. Loin de maman Félicie et de toi, j’ai réalisé ce que vous avez fait pour moi. Toi, rouage de la loi, tu as accompli ton devoir en neutralisant mes parents ; et puis toi, homme de cœur, tu as consenti le sacrifice de m’adopter, moi, de la graine de gangster.

« Depuis toujours, grand, je te vois partir à l’assaut du crime, tranquille et sûr de toi, fou de courage avec un cœur gros comme ça. Une prise de conscience, je suppose. C’est de cette manière qu’on devient un homme, non ? J’ai entrevu l’avenir du délinquant que j’aspirais à devenir : le chagrin que je vous causerais, la honte, une vie de merde en taule, et tout le reste.

« Antoine, vous m’avez eu bébé : c’est vous mes vrais parents. Les gènes que je traîne ne sont pas fatalement ceux d’un malfaiteur. Mon père et ma mère sont issus de familles honorables. C’est eux, l’accident génétique ; rien ne dit qu’ils aient engendré une lignée de crapules. Un môme ne naît pas programmé, il se forme par l’exemplarité, par ses rencontres, ses lectures. J’ai beaucoup lu, au bagne où tu m’as fourré. »

Il se tait, me regarde et, prenant la voix de Fernand Raynaud, s’écrie :

— Tonton ! Pourquoi tu pleures ?

Je lui tends les bras et il contourne le gros vilain bureau pour venir m’embrasser. N’est-ce pas le premier véritable baiser que nous échangeons, les deux ?

On reste un long moment à s’étreindre.

— Fiston, je balbutie. Oh ! fiston, comme on peut rendre heureux quelqu’un quand le cœur parle !

Il se dégage.

— Alors voilà, fait-il, je vais me faire flic et je serai San-Antonio II.

— Mais, mon lapin, soupiré-je, le temps des Bérurier est révolu, de nos jours, il faut avoir son bac pour être flic.

— Merde, tu es sûr ?

— Certain !

Il sort de sa poche un porte-cartes en plastique qui contient sa carte d’identité ; deux doigts en pince de homard se glissent à l’intérieur de la carte, y saisissent une petite coupure de presse grisaillette.

— Ça a paru ce matin dans l’Est-Républicain, me dit-il.

La coupure s’intitule : Liste des étudiants admis au baccalauréat. A la rubrique « admis avec mention bien » un nom est souligné en rouge : le sien !

Ma main tremble si fort que je suis contraint de déposer la coupure sur mon sous-main.

— Petit salaud ! bégayé-je, tu l’as eu ! Nom de Dieu, tu l’as eu !

— Dans les grandes largeurs !

Je demande :

— Tu es sûr de n’avoir envoyé personne à ta place, de n’avoir pas acheté les sujets, de…

Il s’emporte :

— Arrête ! Je veux être flic, je te dis. Simplement, j’ai eu le déclic et je me suis mis à bosser comme un fou. J’ai travaillé à en dégueuler, ce qui m’a permis de découvrir que je n’étais pas con !

— C’est merveilleux ! Pourquoi ne nous as-tu rien dit ? On pensait que tu coinçais la bulle dans cet établissement ; nous étions résignés, m’man et moi.