— Dire bonjour à une copine, je vous le répète, ma femme est en vacances.
Gloussement de dindon dindonnant.
— Et vous êtes déjà de retour ?
Il fronce le nez.
— Dites, ne jouez pas les Colombo avec moi. Je ne sais pas si vous avez assisté à l’écrasement d’une bonne femme, mais ça vous coupe la chique.
— Même s’il s’agit d’une négresse ?
— Non, mais vous me cherchez ! s’exclame le maître.
— Je vous taquine seulement. Donc, vous avez remis votre adultère à plus tard ?
Il secoue sa tronche sur laquelle, en cherchant bien, tu peux trouver les stigmates d’une hépatite virale en cours d’évolution.
— Vous avez de ces mots ! Pourtant vous êtes encore jeune, non ?
Puis, soucieux d’en terminer avec le crampon que je suis, il reprend :
— Je suis remonté chez moi pour me cogner un grand whisky ; mon verre se trouve encore sur la paillasse de l’évier, dans la cuisine ; et puis j’ai décommandé mon rendez-vous coquin, je déteste ne pas être à la hauteur de la situation.
— Ces scrupules vous honorent et j’avoue les partager avec vous, maître. Vous connaissez Thérèse Genitrix-Desqueyroux ?
— La petite théâtreuse du dessous ? Celle qui hurle en se faisant tirer ?
Il se marre.
— Oui, ça je la connais. Même que je me la suis faite. La première fois, c’était dans le hall, une nuit que nous rentrions simultanément au bercail. Elle était incandescente et m’a empoigné la bite avant de me dire bonsoir. Gentille fille, pas dénuée de talent, mais c’est un cas du point de vue sexualité.
— Vous avez eu d’autres débordements avec elle ?
Là, il se lève.
— Ecoutez, vous ! Je n’ai pas à vous raconter mes bons coups ! Non, mais votre enquête vire à l’inquisition, ma parole !
— Vous avez parfaitement raison, maître, veuillez me pardonner, mais j’adore parler de cul. Au revoir et à bientôt.
CHAPITRER
En descensionnant du 4e au 2e étage (le 3e étant celui de Thérèse Genitrix), je me dis que la gueule du maître ne m’inspire pas. Il faut que je me penche sur le curriculum vitrifié (Béru dixit) de ce type. Il y a en lui un côté représentant de bidons qui m’incommode.
Au deuxième : chou blanc. La famille Martin est aux bains de mer avec sa progéniture, donc inconcernée par le drame. Je poursuis ma descente. Premier étage. Une personne brune et nichonnante, avec un superbe grain de beauté velouté sur la joue droite, m’ouvre : Mme Dermot, une kinési extrêmement thérapeute. Blouse blanche avec rien qu’un slip en dessous, prunelles joyeuses, beau sourire bien modelé, amabilité à fleur de peau (voire même de pot), fossettes un peu partout, dont on aimerait dresser le recensement complet. Elle sent l’embrocation, ce qui explique sans doute que j’éprouve illico l’envie de l’embroquer.
— Monsieur ?
— Police ! Pardon de vous déranger, mais j’aimerais vous poser quelques questions innocentes, lui fais-je en louchant sur sa paire de roberts qui fait songer à tout sauf à deux œufs au plat.
— Ça vous ennuierait d’attendre cinq minutes au salon ? Je finis une cliente…
— J’ai tout mon temps, assuré-je.
Sa salle d’attente est grande comme quatre cabines téléphoniques, seulement meublée de trois fauteuils de rotin et d’une table basse chargée de revues géographiques, ce qui dénote de la part de la masseuse une vocation culturelle indéniable. Aux murs, des gravures prélevées dans lesdites revues et encadrées chichement.
J’attrape un numéro consacré à la vie des Indiens d’Amérique du Sud sur le lac Titicaca (8 340 km2).
De l’autre côté de la cloison, j’entends la dame Dermot annoncer à la personne qu’elle triture « que c’est la police au sujet de ce qu’on était en train de causer à l’instant ». Ayant prévenu la patiente, elle se croit obligée de changer la converse et lui demande si, en définitive, sa fille va divorcer ? L’interrogée, une certaine Marguerite Déjanté, 51 ans, demeurant 18 rue de Lyon, veuve d’un adjudant de la garde républicaine, mort accidentellement le 16 avril de l’année dernière en rentrant d’une partie de chasse dans l’Indre-et-Loire d’où il était originaire, mère de deux filles dont l’une travaille comme lesbienne chez une antiquaire et dont l’autre a épousé (la connasse !) un fonctionnaire de l’ambassade d’Iran (vous avez lu Jamais sans ma fille ?), et qui vit seule (la mère) en compagnie d’un bichon maltais (c’est joli mais salissant, avec ses longs poils blancs). Elle a bien (toujours la mère) essayé de prendre un amant (la solitude, ma pauvre, c’est terrible), mais ce sagouin ne songeait qu’à faire laver son linge (un vrai dégueulasse, je vous raconte pas ses slips !) et à bouffer aux frais de la princesse[5], si bien qu’en définitive, la pauvre Marguerite préfère rester seule avec le bichon (oui : c’est une femelle, mais elle l’a fait opérer pour protéger ses coussins), quitte, quand les sens la travaillent « de trop » (encore la mère) à aller dans un cinéma hard près de la gare Saint-Lazare où on trouve toujours une bite à branler. (Elle emporte tout plein de kleenex ; la première fois elle s’est laissé surprendre, merci bien ! C’était un Portugais, ma pauvre ; vous ne pouvez pas savoir à quel point ils déchargent, ces gens-là. Pourtant, après tout, ils sont européens, non ?)
Elle demande :
— Si vous pouviez porter vos efforts sur mon genou droit ? Ce matin, en me levant, je l’ai entendu craquer et depuis je ressens une douleur quand je le plie. Pour en revenir à votre question, Marie-Louise : non, ma seconde ne divorce pas, en tout cas pas encore : il y a les enfants, vous comprenez ? Par contre elle a prévenu Aminoula qu’elle n’irait jamais vivre en Iran. Vous avez lu Jamais sans ma fille ? Oui, c’est vrai, je vous l’ai déjà demandé.
Et je vais peut-être t’épater, mais les Indiens du lac Titicaca, ils se construisent des îles en roseaux, ces cons, avec une hutte dessus. Plus commode pour pêcher. Faut pas redouter les rhumatismes, hein ?
Malgré sa promesse, la kinési ne me reçoit que vingt minutes plus tard, alors que je suis complètement au fait de la vie édifiante de Marguerite Déjanté. La vie des autres a beau ressembler à des murs de chiottes de gare maghrébine, elle présente toujours un certain intérêt, au plan humain.
Tu ne passerais pas tes vacances avec un Indien du lac Titicaca, toi ? Moi non plus, pourtant c’est sympa, ces glandus, de leur voir fabriquer une île artificielle végétale, alors qu’on n’est tout de même pas si mal que cela sur la terre ferme, malgré les présences malodorantes qu’on y subit.
— Le temps de me laver les mains, je suis à vous ! promet inconsidérément la gentille dame Dermot.
J’en profite pour abandonner les revues géographiques et m’aventurer jusqu’à la salle de massage. Je mate la table de cuir qu’on peut élever ou abaisser avec une pédale, le tabouret tournant.
— Sympa, fais-je, me parlant à moi-même.
— Vous trouvez ?
— Ça me fait penser à des trucs polissons, lui avoué-je.
Elle glousse, gênée malgré tout, et puis aussi oppressée soudain par notre tête-à-tête.
— Je m’égare, dis-je, vous me racontez, Marie-Louise ?
— Comment savez-vous mon prénom ?
— Il y a les initiales M.-L. sur votre plaque, et puis Mme Déjanté vous a appelée ainsi tout à l’heure.
Elle rit.
— Je croyais que c’était le flair policier ! Bien, qu’est-ce que vous voulez que je vous raconte ?
— La façon dont vous avez vécu la chute de cette femme.