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La dureté du choc me réveilla. Je sus alors que ma douleur à la tête n’avait pas été produite par la percussion de la balle, mais par l’absorption, quelques heures plus tôt, d’une bouteille de « Pacharan » (ma folie), que mon ami D.D. Sarda m’avait ramenée d’España. Jim Courier s’était évaporé avec sa raquette de champion et sa gâpette de veau. Ne subsistait de lui qu’un halo rouge dans mes rétines infortunées.

A part ça, mon téléphone sonnait.

Maman étant en voyage, je décrochai dans l’hypothèse où c’était elle qui m’appelait.

Au lieu de sa voix pleine d’amour et de miséricorde, j’obtins un organe secrétarial, de sexe plutôt féminin, qui me demanda à brûle-pourpoint si j’étais moi-même. Ne nourrissant aucun doute à ce sujet, je répondis sur-le-champ par l’affirmative. La personne eut alors la gentillesse de me dire qu’elle allait me passer « monsieur le ministre ».

Pris de court, je n’eus pas le temps de me fourbir les cages à miel pour les désencombrer du cérumen que des glandes inconséquentes déposent dans nos conduits auditifs externes. Il était illico en ligne, courtois, son sarcastisme habituel dûment fourbi à l’huile d’olive vierge.

— Vous voyez, me dit-il, il ne faut jamais me confier son téléphone personnel : c’est plus fort que moi, j’en abuse.

— Je suis à votre disposition, fayoté-je sans vergogne.

Nous avions dîné en tête-à-tête trois soirs plus tôt. Le restaurant discret, qu’il m’avait promis, se trouvait au ministère de l’Intérieur, et la petite salle privée à laquelle je m’attendais mesurait très exactement 14 × 9 m. Cela dit, nous fûmes les seuls convives, les quinze autres personnes présentes appartenant au personnel.

Nous avions échangé des points de vue convergents au niveau des techniques, et parfaitement éludés sur le plan politique. J’ai toujours été sensible à l’accent méridional, et donc je n’ai jamais pris très au sérieux les choses qui me furent dites avec la voix de Fernandel, partant de la confuse certitude que rien de très mauvais ne peut en sortir et rien de bien positif non plus. Je sais que le bon roi Henri et Napoléon Ier avaient des accents similaires, qui ne les empêchèrent pas de contribuer au prestige français ; malgré tout, je pense que le parler « en tenue de ville » du Général de Gaulle, celui de M. Mendès France ou de Mme Simone Veil, leur a toujours permis de se faire comprendre sans chausse-pied et sans les obliger à croquer des grains de café avant de s’exprimer, pour corriger leur haleine.

— Vous dormiez ? s’enquiert le ministre.

Regard preste à mon réveil.

— A sept heures du matin, monsieur le sinistre !

— Evidemment, murmure-t-il, les hommes d’action sont toujours matinaux et leurs armes sont déjà graissées quand l’ennemi se réveille ! Figurez-vous que je me heurte à un gros ennui.

— J’espère pouvoir vous aider.

— J’en suis sûr. Vous vous rappelez la personne à qui vous me conseilliez de faire appel pour vous succéder ?

Il baisse la voix et chuchote :

— Je ne suis pas seul…

— Je me la rappelle parfaitement, monsieur le, viens-je à son secours.

— Impossible de lui mettre la main dessus. Son téléphone sonne à vide, son hôtel particulier est fermé et les rares personnes de son entourage ignorent tout de l’endroit où elle pourrait se trouver.

— Je ne pense pas qu’il y ait là sujet d’alarme, fais-je. Un retraité de luxe, à la tête d’une fortune personnelle, possède le monde entier pour s’ébattre. Que disent les voisins ?

— Qu’ils ne le voient plus depuis « pas mal de temps ».

— Evidemment, s’il est allé passer six mois au soleil…

— Je suis d’accord, pourtant quelque chose me fait tiquer « mone cher » : sa boîte aux lettres ; bien que de vaste dimension, elle regorge de courrier qui l’empêche de se fermer. Pensez-vous qu’un tel personnage si méticuleux quitterait son domicile pour longtemps sans avoir réglé au préalable les questions postales ?

— Non ! admets-je.

— Vous vous occupez de cela, monsieur San-Antonio ?

En m’appelant de la sorte, il me signifie implicitement qu’il ne me considère plus comme étant le Big Boss des établissements « Poulardins et Cognemou », emboutissage. Il me tient pour « disponible », « vacant », bref « provisoirement au chômedu ».

Nous nous séparons de gré à gré.

Je bâille à en décrocher le lustre hollandais de ma chambre. On voit que m’man n’est pas ici : les volets sont demeurés ouverts et une belle journée de fin de début d’été arrose la nature. Il va falloir que je me prépare du café ! Avec ma gueule de buis, ça va être mignon ! Je te l’ai toujours dit : « les ustensiles me trahissent ». Chaque fois que je m’en sers, ils me marquent leur hostilité en m’échappant.

Non : je vais prendre une douche et aller boire un jus Au Sabre de Bois, le tabac de la rue Président-Coty.

Et puis tiens, aujourd’hui pas de rasage ! Je rencontre plein de mecs bien qui se trimbalent en permanence une barbouze de huit jours. Ils ont des trucs spéciaux pour conserver toujours la même longueur à leurs pièges à macaronis. Ça fait corsaire ; don Juan de l’aube ! Les gonzesses adorent : ça leur gratte la peau satinée des cuisses.

O.K., je ne me racle plus la couenne jusqu’à nouvel ordre (social). On verra bien.

* * *

Un Noir vêtu de bleu brique à grande eau le paisible quartier de la Muette. La rue d’Andigné sent une certaine humidité ; est-ce à cause du soleil ? Une tourterelle de gardienne d’immeuble gazouille un fado. Est-ce parce que je me sens comme délivré de ne plus être directeur de la Rousse, toujours est-il que j’éprouve un sentiment de légèreté me faisant penser à un bonheur qui démarre.

L’hôtel du Vieux, en pierres de (bonne) taille, d’une blondeur délicate, est pimpant avec ses portes et fenêtres de chêne également clair. Les volets sont clos.

A travers la grille de fer forgé peinte en noir, avec les piques dorées s’il vous plaît, j’avise un jardinier occupé à tondre le gazon.

Je le hèle. Mais sa machine fait un tel boucan qu’il faudrait toutes les sirènes de Paris pour attirer son attention. Renonçant à lui signaler ma présence par des sons, je bricole la serrure du portail et pénètre chez Achille d’un pied léger. Je ne te l’ai jamais dit, mais Achille c’est également son patronyme, au Dabe. Il s’appelle Achille, Auguste, Marie, Hachille, plus « de » quelque chose. C’est le « quelque chose » que j’ai jamais pu me cloquer dans le cigare. D’ailleurs, je ne suis pas certain que cette particule soit la marque d’un titre nobiliaire et, très franchement, je m’en tamponne les roustons avec une tapette à mouches.

J’arrive sur le coiffeur de jardin pile au moment qu’il négocie un virage délicat autour d’une sculpture de buis en forme de carafe à bordeaux.

Je lui surgis soudain dans un rayon de lumière, kif une apparition de saint Julien l’Hospitalier ou du chevalier Ajax ammoniaqué, et je dois être particulièrement beau et noble ainsi éclairé, car le mec, de saisissement, plante son engin dans la bouteille végétale.

Il coupe le contact, ce qui est une attention émouvante pour mes tympans, et dans le silence encore grondant qui succède à ce simple geste, il demande :

— Comment êtes-vous entré ?

— J’ai vu une porte, réponds-je, et j’ai pensé qu’elle devait servir à quelque chose.