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Le Mammouth le biche par la nuque comme s’il entendait lui rouler une galoche et le foudroie d’un franc coup de hure dans la poire.

Ernest tombe à quatre pattes, le visage fêlé de partout.

— Vous allez pas un peu fort ? demande le père.

— Non, répond Béru, car je tolérerai jamais qu’un garçon cause d’c’te manière à sa mère d’vant ma présence. Si vot’ sous-merde d’fils vous fait claquer des chailles, moive, y m’impressionne pas.

— Vous y avez fait mal, larmoie la maman.

Ah ! nos mères, nos chères, tendres et incorrigibles mères !

— Pas assez, déclare le Formide.

Il se baisse, saisit le vaurien par son ceinturon et se met à le coltiner comme une valoche.

— Y a une aut’ pièce dans vot’ bouiboui, les vieux, qu’on pusse causer peinards à c’garnement ?

La dabuche indique une porte. Je l’ouvre. C’est celle de LA chambre. Car il n’en existe pas d’autre. Deux lits disposés en quinconce, des planches assemblées en penderies, et puis un indescriptible bordel.

— J’ai pas eu l’temps de faire le ménage, déplore Mme Chespire. Si j’avais su qu’vous viendrez…

— Tracassez-vous pas, la réconforte le Gros, c’est pareil chez moive.

Il jette son « client » sur un lit de fer dont les ignobles draps se teintent illico de sang.

— Maintenant laissez-nous, dis-je à l’infortunée matrone.

— Vous ne le tabasserez plus ?

— Où avez-vous-t-il pris que nous l’eûmes tabassé ! s’écrie un Bérurier effaré. Mais ma pauv’ personne, vous n’avez jamais su c’qu’c’était d’tabasser quéqu’un, j’veuille dire pour d’bon ?

Plus ou moins rassurée, elle se retire.

Mon ami s’assoit sur le second plumard.

— A toive d’jouer, l’grand ! invite-t-il.

Je lui adresse un sourire de gratitude. Pas deux comme lui pour « te préparer » un clille. Je m’accoude au montant sud du lit.

— Ernest, attaqué-je, je vais bien te surprendre ; après ces signes d’énervement, tu vas avoir une vraie grande joie. Je suis convaincu que tu as une foule de vilains péchés sur la conscience. Eh bien, tout flic que je suis, je t’en fais cadeau. Ils ne m’intéressent pas. J’attends simplement de toi la chose la plus bête du monde : un témoignage. Discutons gentiment, en hommes intelligents que nous sommes, toi et moi.

Ça ne l’amuse pas. Il attend.

— Il y a un mois, tu travaillais encore, Nestou. Pour le compte d’un service de messageries rapides à Paris. Tu pilotais une fourgonnette, mais avec tant de fantaisie que tu n’as pas eu moins de huit accidents en quinze jours ; plus deux bagarres ayant nécessité l’intervention de Police-Secours car tu es un sacré teigneux, mon pote. Bien entendu, ton employeur t’a sacqué, et sans indemnités parce qu’il venait de s’apercevoir que tu avais joué du piano dans la caisse. Une chance qu’il n’ait pas porté le pet, sinon, avec le pedigree que tu t’es déjà constitué, t’allais tomber pour un bout de temps, mon drôlet.

« Mais, je te le répète, ce ne sont pas mes oignes, moi je ne fais pas dans le commerce de détail ! J’ai simplement besoin d’un renseignement à propos d’un truc qui ne concerne pas ta vie voyouse. Te rappelles-tu être allé chercher, pendant ta prestation, deux valises blanches, très lourdes, rue François-Mauriac, au 116 ? Pour te rafraîchir la mémoire, tu as embugné un scooter en tournant le coin de la street. »

— O-Kai ! O-Kai ! O-Kai ! O-Kai ! s’empresse-t-il en étanchant sa frite compoteuse, je vois très bien.

— Bravo ! Cette course, poursuis-je, n’a pas été consignée chez ton employeur car tu avais l’amusante particularité de facturer pour ton propre compte les commandes que tu prenais toi-même au téléphone pendant que ton singe allait claper.

Je souris ; il plaide :

— Il me payait des clopinettes, fallait bien que je vive !

— Tu n’es pas à confesse, mon fils, ces petites arnarques ne m’affectent pas. Ce que j’entends apprendre, c’est QUI t’a remis ces deux valdingues et OÙ tu les a livrées ; pas de quoi péter une pendule, tu vois ? Sitôt que tu m’as affranchi, on se casse, le Père Fouettard et moi.

Le don Juan des cités dortoirs opine :

— Je les ai prises chez une vieille femme, rouquine à mort, au rez-de-chaussée de l’immeuble ; elle portait un nom russe.

— Très maquillée, la mémé ?

— Le carnaval de Rio à elle toute seule ! gouaille le titi voyousard.

— Elle t’a réglé la course ?

— Oui, même qu’elle m’a allongé un chouette pourliche ; je m’attendais pas : en général, les vieux sont rats !

— Et les valises, tu les as livrées où ?

— Je les ai portées dans deux consignes de la gare du Nord, les clés étaient jointes au fric.

— Qu’en as-tu fait, une fois les valoches enfermées ?

— Je les ai scotchées sous le bloc téléphonique de la cabine située en face des consignes. Là encore la vieille avait préparé le rouleau de Scotch.

— Ça ne t’a pas paru bizarre, ce bigntz ?

— La Russcoff m’a expliqué que son neveu lui avait demandé de pratiquer de la sorte. Comme elle-même paraissait givrée de la coiffe et qu’elle m’allongeait cinq cents pions, je n’ai pas cherché à comprendre.

— Et donc, tu as fait ce qu’elle te demandait ?

— Affirmatif !

— Autre chose ?

— Je vois pas.

— Quand tu es allé prendre livraison des valdingues, il y avait quelqu’un d’autre chez la vioque ?

— J’ai vu personne. Faut dire que j’ai pas fait long.

— Les valises étaient lourdes ?

— Des vaches !

— C’est toi qui as pris la commande, n’est-ce pas ?

— Vous le savez.

— Qui t’a appelé pour la course, un homme ou une femme ?

— Une femme.

— Quel genre de voix ? Vieille, jeune, avec accent, sans accent ?

— Comment voulez-vous que je me souvienne ? Il y a deux mois de ça et des coups de turlu, on en reçoit des quantités aux Messageries ; ça n’arrête pas !

Qu’est-ce qu’il peut me dire de plus, ce grand glandeur de mes fesses ?

— Tu crois qu’en faisant phosphorer ta gamberge tu te rappellerais les numéros des deux consignes ?

Il se marre :

— Ça oui, c’était le 6 et le 9. Vous pensez : 69 ! Essuyez vos moustaches !

— Eh bien, ce sera tout, mon grand. Si j’ai un conseil à te donner, c’est de soigner ton pedigree pendant quelque temps car l’année prochaine tu risques fort de devoir témoigner en cours d’assises, Ernest.

Ça l’éperde ! Il bafouille :

— Moi ! Témoigner aux assises, et qu’est-ce que je devrai dire ?

— Rien d’autre que ce que tu viens de me raconter, Nestou. De la sorte, ça te fera un petit repérage en attendant le jour où tu y passeras en vedette !

* * *

La nuit, la gare du Nord est belle comme un film de Marcel Carné. Des gens « pas comme les autres » glandouillent en attendant un dernier train, une obole ou je ne sais quoi ni qui… Paris nocturne est une épopée !

Les cabines 6 et 9 sont disponibles.

En deux mois, depuis, les fameuses valises blanches, elles ont sûrement beaucoup servi. Rien à espérer, mais je tenais à les voir, comme ça, parce que je suis flic et que je dois concrétiser les lieux et les protagonistes d’une affaire.

En attendant, le vieux Chilou est toujours hors circuit, à morfondre en m’espérant ; car il compte que son Bayard de service va déployer sa flamberge et se pointer là où il est bouclarès. Béru traîne la grole en maugréant. Toujours le même objet de tourment, ce gros sac : la faim. Heureux, les animaux comme lui qui n’ont dans la vie qu’un unique souci : se sustenter. Ils somnolent, puis partent en chasse ; bouffent et se rendorment. A la saison des amours, ils se reproduisent et vite replongent dans le cycle de la croque.