— Bon, me dit-il, on a fini pour c’soir ou quoi-ce ? J’ai les godasses d’plomb, mec. Ça n’arrête jamais, av’c ta pomme ! Mon pote Sillon, l’maire d’Saint-Locdu-l’-Vieux, m’a apporté une gamzoule de tripes, j’espère qu’ma vacherie d’ femme m’en aura laissé. Elle les raffole, la gueuse ; bâfreuse comm’ j’ la sais, elle peut très bien s’l’êt’ tout enfoncé dans l’ corps. Cinq kilos ! Elle m’a fait l’coup av’c des caillettes l’an passé : douze pièces elle s’a foutues. J’ai cru qu’elle allait en crever, mais ç’a été une fausse joie : une cuillellérée d’ bicarbonade d’ sourde, et é l’était r’quinquée !
Je lui conseille d’aller racler la marmite s’il en est encore temps. Demain sera un autre jour.
Alors à demain, Gros !
Tu le savais que j’allais refaire mon chemin de croix avant de rentrer ? Le Boléro de Ravel, je joue avec ce putain d’immeuble ! J’y vais, j’y reviens, j’y retourne… Tilali lali lala ta lala.
Pas difficile de s’y garer à cette heure minuitale. Un chouette créneau, pile devant le 116. M’y inscris avec maîtrise. Ça braque bien, pour 2 tonnes 6, ces 600 SL.
Je coupe les gaz et me mets à réfléchir. Sans l’air conditionné, les surfaces vitrées s’embuent sous l’effet de ma respiration. Phénomène de la condensation, je t’expliquerai.
Pourquoi me trouvé-je au pied de l’immeuble, comme au pied du mur ? Parce que c’est ici le siège de l’affaire. Ici que se sont perpétrés des meurtres et autres crimes. Une affaire pas comme mes autres. Plus « policière », je te prie de le remarquer. Avec des connotations gaga-christiennes.
J’ai, sur le faux siège arrière de mon bolide, l’album chouravé dans le coffiot de maître Flatulence-Alaïe. S’est-il aperçu de sa disparition, le cher maître ? Peu probable : on ne passe pas sa vie à déponner son coffre, à moins d’être Harpagon. Sa gueule lorsqu’il constatera qu’on le lui a secoué !
Je m’en empare et actionne la loupiote liseuse de cartes. Je t’ai cachotté jusqu’à présent, attendant d’être tranquille, mais je puis bien te dire que ce recueil de photos est consacré à Thérèse Genitrix-Desqueyroux, plus exactement à ses « coups de chaleur ».
Tudieu, le bel ouvrage porno que ça donnerait, pour peu que je l’assortisse de légendes appropriées ! Un vrai documentaire sur l’académie de la comédienne : sa chatte en gros plan, calme sous sa frisure, puis la même, lèvres inférieures ouvertes sur un bâillement du bas-ventre avant-coureur. Le reste se déroule selon la logique d’un débridement érotique. On la voit pomper un paf, l’agiter avant de s’en servir, se le carrer tour à tour dans la moniche et le cercle vicieux. Le prendre en dessus, en dessous, à cheval, au trot anglais, au galop cosaque. On passe ensuite à des prestations plus poussées, avec des partenaires multiples, impétueux, et généralement bien membrés.
Je reconnais Charly Genous, l’enculeur professionnel, maître Flatulence-Alaïe en personne (la bite médiocre), d’autres messieurs inconnus de moi avec des verges vengeresses et des perversités plus ou moins classiques. Une compagnie de bouffeurs, sodomites, baiseurs multipositionnaires, branleurs à quatre mains, caresseurs subtils.
Outre les partenaires masc., il y a des partenaires fém. Moins nombreuses, ces dernières, mais véhémentes de la menteuse. Je reconnais parmi ces dames, les couturières du cinquième ; ce qui prouve bien que les habitants de cette maison entretenaient effectivement, comme ils se plaisent à en convenir, d’excellentes relations (y compris sexuelles). Le gars maître est un gros goret qui a patiemment conservé le témoignage des « coups de chaleur » de Thérèse. Dans quelle intention ? Simple complaisance cochonne ? Ou bien preuves de la « frivolité excessive » de sa voisine ?
Et ma pomme, une question pertine dans ma caboche : « Ces clichés, qui les a pris ? »
Du coup, une réponse logiste dans ma même caboche (peut-être légèrement plus à droite que la question au niveau du bulbe) : « La Miss Fleur-de-mai ! »
Qui d’autre qu’elle se trouvait toujours à pied d’œuvre au cours de ces messes de la luxure ? A-t-elle photographié les délirades stupéfiantes de la gentille Genitrix-Desqueyroux sans qu’elle le susse, ou délibérément ? En tout cas, elle était en cheville avec l’avocat puisque c’est lui le détenteur du « documentaire ».
Une ombre tapote ma vitre opaque, je la baisse électriquement pour me mettre en contact avec Toinet, lequel est encore en compagnie de sa petite Pakistanaise.
— Je raccompagnais Murielle, me dit-il, quand j’ai reconnu ta tire. Qu’est-ce que tu fiches ici, tu attends du monde ?
— Je viens méditer, réponds-je.
— A quel propos ?
— François Mauriac.
— Tu ne trouves pas que son fils Claude a davantage de talent que lui ?
— Si, fais-je, ravi de constater qu’il connaît l’œuvre de Claude Mauriac.
Mais il ne faut pas le dire, ça lui ferait de la peine ; contrairement à ce qu’on peut imaginer, les fils qui embrassent la carrière de leurs pères ont horreur qu’on les trouve supérieurs à ces derniers. Le jour où j’ai dit à Claude Brasseur que je le préférais à Pierre, il a failli me foutre sur la gueule.
Toinet demande :
— Tu me rentres à la casa ?
— Yes, bachelier.
Il entraîne Murielle dans un coin sombre pour les hyper-pelles de l’au revoir. Sans charre, il pourrait vraiment être mon fils, ce garçon ! Ses adieux accomplis, il vient s’installer à mon côté pour que je fouette cocher ; mais une force grise comme un goût de bile me retient.
— Qu’est-ce qui te charançonne la coiffe ? murmure mon adopté.
— Un mystère que je ne puis élucider avant demain, Toinoche.
Je lui raconte notre « interview » d’Ernest, le fugace messager.
— Il assure avoir pris les fameuses valises blanches chez la vieille Russe du bas. Et ce doit être exact car il ne pouvait pas inventer ce personnage.
— Faut interroger la bonne femme.
— Je vais me gêner ! Mais pas avant demain : il est une heure quinze !
Il ricane :
— Tu sais bien que tu ne vas pas attendre, grand. A preuve, tu es là ! T’es pas venu poireauter ici pour du beurre. Je te connais.
— Mais elle va rameuter les foules !
— Penses-tu : si elle est russe, la fantaisie, elle aime !
Il réfléchit.
— Tu sais pas, Antoine ? Avant de te pointer, tu devrais faire mettre son bigo sur écoutes.
— Ah oui ?
— Réfléchis. Si cette douairière est compromise dans ton truc, après ta visite tardive, elle n’aura rien de plus pressé que d’affranchir ses éventuels complices.
Je me tourne vers ce bel adolescent tout en fossettes. En voilà un qui va se faire bouffer par les gonzesses, je te l’annonce, et de bas en haut !
— Tu sais que tu as des dons, Toinet ?
— Je me crève le cul à te le dire ! rétorque-t-il modestement.
Pendant que « je prends les dispositions » préconisées par « mon fils », celui-ci me met l’extrémité de ses doigts sous le nez.
— Respire ! m’ordonne-t-il. Les parfums de l’Arabie, grand ! J’adore les chattes qui sentent bon, pas toi ?
— Si, lui réponds-je. C’est de famille !
CHAPICROCHOLE
Elle se donne la représentation, la nuit, dame Yourovitch. Tu la verrais m’ouvrir la porte, avec des yeux farineux de chouette sur qui tu branches un projecteur de D.C.A. Robe de nuit en satin vert émeraude, bonnet fanchon de dentelle blanche à laçage vert, mules en plumes d’autruche, robe de chambre de velours bleu triomphe à large col d’hermine. Elle a l’air d’une vieille impératrice de Russie qu’on vient de déblayer de son sarcophage. Une indéniable majesté se dégage de sa personne.