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Toinet m’explique :

— J’ai trouvé qu’il serait beaucoup plus impressionnant pour le maître d’être harcelé par plusieurs personnes que par une seule. Alors je l’ai fait appeler par ta secrétaire qui, soit dit en passant, mérite de visiter le petit studio contigu ; puis, plus tard, par M. Pinaud.

Je suis sidéré une fois de plus par la psychologie dont fait montre mon « rejeton ».

— Qu’a-t-il dit ? demandé-je à Baderne-Baderne.

— Qu’il s’occupait de rassembler la somme et qu’elle serait prête demain ; à partir de midi, il attendrait nos instructions…

— En dehors de cela, il t’a parlé de quoi ?

— D’un petit dossier qui a disparu en même temps que l’album.

— Et alors ?

— J’ai répondu que j’ignorais ce détail et, comme il protestait, je lui ai raccroché au nez.

— Très bon ! Ce document a été décrypté par miracle, logiquement, il aurait dû ne pas l’être ; nous allons nous comporter — Toinet du moins —, comme s’il restait lettre morte. Si Flatulence-Alaïe remet réellement une rançon, tu lui restitueras ce putain de dossier en même temps que ses photos, compris, garçon ?

— Compris. Tu penses qu’il va payer ?

— Ce que je pense, mon chéri, c’est que demain tu joueras une partie difficile, et que tu vas prendre des risques énormes. S’il t’arrive malheur, je n’aurai plus que la ressource de me faire sauter le caisson !

Il me mate d’un air choqué :

— C’est très gentil pour m’man Félicie, ce que tu dis là, le grand. T’as une façon de penser à elle qui me fait pleurer les fesses !

CHOPINETTE

Le rendez-vous a été fixé dans le hall du Royal Monceau. Pour pouvoir figurer dans ce palace agréable, Antoine a mis son blazer, avec une chemise bleu ciel et une cravate à rayures bleues et rouges. Il s’est coiffé impec et non plus « en paquet de crayons », comme le lui reproche souvent maman. Il tient un porte-documents gonflé de l’album et du dossier et arbore à sa boutonnière un pin’s à la gloire de Canal +, comme ils en sont convenus avec maître Flatulence-Alaïe. Il attend dans un canapé magistral, profond comme une tombe pharaonique.

Deux mots, avant l’arrivée du maître, pour t’informer des dispositions que j’ai arrêtées : primo, le môme porte, comme beaucoup de jeunastres, une boucle d’oreille qui, en réalité, est un micro sans fil miniaturisé, inventé par le couple Mathias-nièce-assistante-maîtresse. A ma profonde connaissance, c’est bien la première fois qu’on use d’un micro aussi ostentatoire. Habituellement, nos services s’ingénient à le camoufler dans les revers de vêtements, nœuds de cravate ou autres montres-bracelets ; mais là, on annonce la couleur. Toujours s’inspirer d’Edgar Poe ; c’est en ne cachant pas les choses qu’on les rend invisibles. Secundo, M. Blanc qui est rentré de vacances il y a une plombe tout juste et que j’ai eu le temps de documenter, lit le Financial Times dans un fauteuil voisin, rider dans un bleu croisé, le nez chaussé de lunettes à monture d’or que tu jurerais un diplomate négus en mission dans la capitale. Tertio, Béru, Pinuche, Mathias et ma pomme sommes installés, invisibles, dans une camionnette banalisée dont les flancs portent l’adresse d’un réputé fleuriste en lettres dorées. Le système d’écoute est opérationnel, c’est le Rouillé qui l’actionne. Pour le moment, on ne perçoit que le faible brouhaha du hall, avec, comme en surimpression sonore, la calme respiration de Toinet. Pas du tout oppressé, mon luron. Un calme qui ferait passer James Bond pour un asthmatique en crise ! Quatro, enfin, une seconde voiture, également banalisée, stationne à l’angle de l’avenue et de la rue Courtepine, ayant à son bord mon ami le commissaire Justin Coudebyte, accompagné d’un de ses mousquetaires. On peut donc considérer que les précautions sont prises pour assurer la sécurité du gosse dans cette croisade.

Brusquement, la voix de basse de Jérémie Blanc retentit :

— Attention ! Je crois qu’il arrive.

Nos éventails à libellule se mettent au garde-à-vous.

Puis, l’organe de maître Flatulence-Alaïe, très reconnaissable :

— Je pense que c’est vous ?

Réponse du gamin, très calme :

— Bien vu.

— Vous êtes encore plus jeune que je ne le pensais.

— La valeur, etc., etc., débite Gavroche.

— Je suppose que vous n’allez pas recompter le fric dans ce hall ?

— Nous allons monter aux toilettes. Vous voyez le vestiaire, au fond ? L’escalier de gauche, allez-y le premier, je vous suis.

Voix de Jérémie assortie d’un froissement de journal.

— Le type va au fond du hall, chuchote-t-il. Il tient un attaché-case. Je ne sais pas si je me goure, mais, à l’autre extrémité du hall, il y a deux hommes de race blanche qui paraissent s’intéresser au môme. Ils sont assis côte à côte et le regardent à la dérobée avec une fausse indifférence, trop fausse pour être vraie. Ils étaient déjà en place quand Antoine est arrivé.

Cher M. Blanc ! En voilà un encore qui possède les instincts du flic. Pif et déduction sont les deux mamelles de la Rousse.

Voix du gamin :

— On monte aux chiches.

Un moment, on perçoit le glissement feutré de ses pas sur l’épaisse moquette. Puis maître Flatulence-Alaïe dit nettement :

— En effet, c’est tranquille. Prenez cette mallette et rendez-moi mon bien.

Antoine bis :

— Ouvrez-la d’abord et montrez-moi l’intérieur !

— Oh, oh ! la confiance règne !

— Pas de commentaires, passez-moi une liasse.

Des froissements de papelard, encore. Dame aux gogues, hein ?

La voix de Jérémie :

— Les deux types auxquels j’ai fait allusion se sont remis à discuter et n’ont visiblement pas l’intention de rejoindre Antoine et l’avocat ; sans doute me suis-je trompé.

— Continue tout de même de les surveiller, fais-je (car le Noirpiot porte un sonotone conception Mathias. Je n’ai pu en équiper Toinet, c’eût été too much).

L’avocat :

— Ce sont des liasses de vingt billets de cinq cents et il y en a cent, comptez !

— Je vous fais confiance, à vue de nez ! Voilà vos photos de famille.

— Le petit dossier y est aussi ?

— Oui. Vous avez de la chance, on a failli le jeter car on n’y comprend rien. Un de mes amis dit qu’il doit être écrit en code, c’est vrai ?

— Pas de commentaires ! riposte à son tour l’avocat. Bon, on est quittes ?

— On l’est.

— Pour le prix, j’ai droit à une ou deux questions ?

— Allez-y toujours, je verrai bien.

— Comment avez-vous su le chiffre de mon coffre ?

— Comme tous les cons, vous vous êtes servi de votre date de naissance, gros malin !

— C’est quelqu’un qui vous a conseillé de venir cambrioler chez moi ?

— Non ; c’est les vacances. On visite beaucoup les immeubles bourgeois en juillet et août. Pas de chance pour vous. On espérait du blé, on a trouvé du cul ; on s’est dit que ça pouvait rapporter gros si on savait s’y prendre.

— Vous avez très bien su vous y prendre.

— Vous voyez ! Dites, je peux conserver votre mallette ou s’il faut vous la renvoyer ?

— Vous avez le sens de l’humour.

— C’est pas mieux comme ça ? Vous m’avez questionné, à mon tour de vous demander un truc : la gonzesse qui se fait tirer, sur les photos, c’est une nympho ou quoi ? Qu’est-ce qu’elle dérouille dans les miches !

Un silence, puis Toinet reprend :

— Je vous ai vexé ? Vous y tenez peut-être ? C’est votre amie ? Bon, j’insiste pas, allez, tchao !