Nouveau silence, assez bref.
Voix de Jérémie Blanc :
— Antoine réapparaît avec l’attaché-case. Il se dirige vers la sortie ! Achtung ! Les deux zèbres dont je vous ai parlé se lèvent et vont sortir aussi. L’un est grand, très blond comme un Suédois, le teint rouge. L’autre est un peu moins grand, châtain foncé, il porte un costume bleu très clair et son pote…
Le reste de son discours se perd, car son micro de revers a dû se dégrafer.
Je saisis celui du bord :
— Coudebyte, tu m’entends ?
— Cinq sur cinq, monsieur le dirlo !
— Acré ! Le môme sort. Il semblerait que deux types, dont l’un très blond, soient à ses basques. Ouvrez l’œil, tous les deux !
— On est en plein dedans ! répond mon collaborateur.
Voilà Antoine très relaxe. Il porte négligemment sa mallette. Remercie d’un signe de tête le gars en vert galonné qui lui pousse la lourde et s’avance. Un jeune voiturier lui demande s’il veut un taxi car il reste au bord de la chaussée, indécis. Mon fiston répond par l’affirmative. Le préposé sort un sifflet de sa vague et siffle un penalty.
Un bahut déboîte et s’approche.
Le môme y grimpe.
Le sapin repart.
Nous aussi.
Puis, à deux cents mètres, c’est au tour de Justin Coudebyte et de son péon à se joindre au cortège.
Tous derrière, tous derrière et lui devant !
Voix de Toinet :
— Ben voilà, comme convenu je file chez M. Bérurier attendre la suite des événements.
Une autre voix à peine audible avec accent maghrébin (celle du driveur) :
— Qu’est-ce que vous dites ?
Toinet :
— Rien.
— Vous parlez tout seul ?
— Je compose un poème.
— Vous êtes poète ?
— Je le serai quand je l’aurai fini. (Puis à nous :) Hé ! le grand ! On me suit ?
Impossible de lui répondre que oui, la liaison s’opérant à sens unique.
— Si on me suit, reprend le môme, faites un petit appel de phares.
On lui accorde satisfaction.
— O.K. ! merci : je suis prêt.
— Il est gonflé, ce moustique, remarque Bérurier. J’ai toujours pigé qu’on avait affaire à un p’tit dur.
— Il arrivera ! confirme le Branlant.
Les deux mecs qui, décidément, filaient Antoine nous dépassent dans une Porsche gris métallisé.
— Fausse alerte ! pronostique Pinaud.
Du côté du parc Monceau il y a des travaux qui réduisent l’avenue à une seule voie. Le taxi s’y engage, puis la Porsche, puis une autre bagnole, puis encore une qui se faufile de force pour nous squeezer. Je déteste car, because cet étranglement, nous sommes carrément coupés de Toinet. C’est d’autant plus chiant que ça n’avance plus.
Voix de Toinet :
— Hé ! les vedettes ! Derrière mon cab il y a deux mecs qui sortent d’une Porsche grise et qui se précipitent vers…
Moi, comme un fou, au micro, pour Justin Coudebyte (il est d’origine irlandaise) :
— Justin, on attaque le môme, contourne les travaux et recolle à ce bordel-à-cul de taxi !
— On va essayer ; vous avez le numéro du bahut ?
On s’entre-regarde dans la camionnette. Personne n’a eu la présence d’esprit de le noter. On fait une fameuse équipe de manche à burnes !
Voix de Toinet très forte, à des gens :
— Qu’est-ce que vous voulez ?
Une voix sèche :
— Ta gueule !
Voix du taxi-driver :
— Mais vous voyez bien que c’est occupé !
La même voix sèche :
— Ne t’occupe pas, roule ! Et appuie, melon, si tu veux pas que je te fasse gicler les pépins de la tronche !
Voix, toujours sereine d’Antoine :
— Vous abandonnez votre belle Porsche ?
Voix d’un autre gus :
— On en fait cadeau aux connards qui sont derrière !
Les connards en question n’en mènent pas large. Je saute de notre véhicule et remonte en courant la file des tires arrêtées qui sirènent comme des cornes de brume par gros temps. Les fumiers ! Ils ont engourdi la clé de contact en quittant la chignole. Rien à faire pour déménager ce bolide à la main !
Pendant que j’escrime, une voiture radine sur le trottoir, klaxon bloqué, poussant les passants au cul, les faisant trébucher.
C’est Justin Coudebyte et son scout de France qui tentent le tout pour le tout. L’avisant, je bondis à l’arrière de sa Ford Mondeo. Un dernier tas de sable à escalader. Le moteur s’enrogne, les boudins patinent. L’inspecteur Morflet est un as du volant, il arrache la tire des embûches (de Noël) et rallie la chaussée.
Devant nous, la voie de droite est déserte. On avale ce qui reste d’avenue et là il faut choisir :
— Droite ! gueulé-je.
Au pifomètre. Je branche la phonie avec notre propre camionnette.
— Ici Sana, le môme continue de parler ?
Voix de Mathias :
— Il vient de mentionner la Madeleine.
Putain, déjà !
— Tu me retransmets tout ce qu’il dit au fur et à mesure, je suis dans la guinde de Coudebyte.
Direction Madeleine. Pas la peine de le préciser à Morflet. Il fonce à tombereau ouvert, comme dit Béru, coupe les priorités, se torche avec les feux rouges, écorne les bagnoles. Les collègues de la circulation nous font un concert de bengalis siffleurs.
— T’as pas ton gyrateur ? demandé-je au chauffeur.
— On avait dit « totalement banalisé », répond Justin, bourru. Et je vous signale qu’on roule à bord de MA voiture !
— Les frais de carrosserie seront pour la Maison, tenté-je de le rassurer.
— Ceux d’hôpital aussi ?
— On assume tout, y compris les funérailles.
CHAPITEAU
La voix laconique du Rouquemoute :
— Boulevard Saint-Germain.
Trois minutes plus tard, nous franchissons la Seine.
On doit gagner du terrain sur eux, je sens.
Personne ne pipe mot : on se cramponne. Ça me rappelle une étape de montagne du Tour de France que j’ai suivie avec Jacques Chancel. J’étais à l’arrière de la grosse Peugeot que pilotait un spécialiste et j’ai passé mon temps à tenter de maintenir un semblant d’équilibre, les pinceaux engagés sous le siège avant, la main droite cramponnée à la poignée de soutien fixée au-dessus de la portière, la gauche enfoncée entre le dossier et le coussin de mon siège. Là, c’est du kif.
Voix de Mathias :
— Ils changent de véhicule rue du Bac ! Mais ses ravisseurs commencent à se douter de quelque chose car l’un d’eux vient de lui dire : « Qu’est-ce que tu marmonnes, petit con ? Ne cherche pas à nous feinter sinon je t’en mets une dans le ventre et tu te démerderas avec ! » Son acolyte a ajouté : « Quand on aura changé de voiture, rue du Bac, je le fouillerai ! »
On finit par établir une sorte de duplex, Mathias et moi, pendant que notre Alain Prost de service pédale à toute vibure en direction de cette rue du Bac qui fait rêver tant et tant de lycéens !
Une traduction simultanée. Il répète les paroles de Toinet automatiquement, au fur et à mesure qu’il les capte. Et de même, les paroles des gars qui procèdent à ce que je crains fort de devoir appeler « son kidnapping ».
Je te livre en vrac ce que je reçois :
« — Dis donc, le melon, on va bientôt se quitter ; commence à ralentir. »
……
« — Toi, petit con, si tu bronches pendant le changement de bagnole, je te le répète : une balle dans les tripes, ça me démange. Et tu sais, une bastos à cet endroit, on ne s’en remet pas, excepté le pape. »
………