— Et nous, pendant cette mise en place ? questionne le commissaire.
— Faites-moi envoyer un guide qui connaisse les catacombes. En espérant sa venue, il faut surveiller l’issue d’ici : il est très possible qu’ils ressortent par où ils sont entrés, leur bagnole étant là.
— Ce n’est pas leur bagnole, me désenchante Coudebyte. J’ai appelé le service des immatriculations ; c’est la tire d’un charcutier casher du Marais ; il ne s’était pas encore aperçu du vol !
— Des nouvelles de mes potes ?
Mathias vient de nous rejoindre. Il dit que Bérurier s’est fait déposer à une station de taxis, sous prétexte qu’il avait oublié son remède contre les hémorroïdes et qu’il était en crise !
Je libère une bouffée d’ardente haine à l’encontre du Gros. Ce sale enfoiré ! Songer à ses hémorroïdes alors que Toinet est en grand péril ! Je voudrais que son gros cul devienne aussi monstrueux que celui de certains singes, et que ses légumes aient la taille d’une citrouille.
Le spécialiste tarde moins que je ne le redoutais. Une idée de Mathias (une de plus) : il a téléphoné à l’Ecole des mines, sachant que ses étudiants sont friands des catacombes et que certains d’entre eux y circulent comme toi dans un bordel. Par chance, la prestigieuse école ferme ses portes demain pour cause d’hollyday et le dirluche nous a dépêché un jeune spécialiste qui se trouvait encore à portée.
C’est un petit noiraud rieur, au nez pointu de belette. Il s’annonce muni d’un attirail ad hoc : lampes avec batterie longue durée, sifflets, porte-voix, longues badines d’osier pour éloigner les rats trop hardis. Le vrai spéléologue de Paris ! Il s’appelle Jérôme Mondric.
Présentations. Il me connaît de répute et ça le botte de partir en expédition avec ma pomme.
— Tu sais qu’il peut y avoir du danger ? le préviens-je. C’est pas à la chasse aux rats, mais à la chasse aux bandits que je te convie.
— Mon rêve ! répond-il simplement.
Il me refile une partie de son fourbi et se dirige vers l’arrière de la masure : cette entrée également il la connaît.
— Le jardin du père Montbourrin constitue l’un des meilleurs accès, me dit Jérôme en s’engageant dans un escalier de pierre, roide, mais très praticable.
Nous parvenons dans un large souterrain voûté où flotte une odeur indéfinissable.
Avant d’opter pour une direction, il me demande :
— Ce sont des types en cavale ?
— Pas du tout ; il s’agit de gens qui ont enlevé un garçon un peu plus jeune que toi, probablement pour le faire parler, voire le liquider.
— O.K. ! O.K. ! je vois. Si c’est le cas, et qu’ils connaissent les lieux, ils auront choisi de prendre à droite parce que ça conduit à une grande crypte où furent enterrés des martyrs chrétiens ; c’est l’endroit idéal pour planquer un cadavre.
Un seau de cendre ardente, je prends sur le cœur !
Planquer un cadavre ! Celui de mon gentil Toinet ! Mon presque fils, mon bachelier tout neuf !
— Inutile d’utiliser votre propre lampe, vous n’avez qu’à me suivre, m’indique Jérôme. Il faut économiser la lumière. Ne parlons plus, sinon à voix basse.
Ils sont formides, ces jeunards. Un tas de vieux kroums s’imaginent que notre jeunesse ne se compose que d’oisifs camés ! Faut quand même rectifier le tir !
— Vous êtes armé, bien sûr ? s’informe mon guide avant de se mettre en marche.
— Je vais me gêner ! J’ai même en poche deux chargeurs de rechange !
— C’est la première fois que je marche en compagnie d’un flic.
CHACONNE
Contrairement aux égouts de Paris que j’ai eu l’occasion d’arpenter au cours de ma peu banale carrière, les catacombes ne sont pas humides. Il y règne un air sec, propice à la conservation des cadavres accumulés dans ces galeries ; pauvres frères humains qui avant nous viviez ! Il y a bien, par endroits, un suintement, voire un ruissellement, mais il est vite tari ou absorbé par le sol crayeux.
On se déplace rapidement, tels les rats qui, pour la plupart, fuient à notre approche. Certains, plus téméraires, s’arrêtent, capturés dirait-on par le puissant faisceau de la lampe. Ils nous défient de leurs yeux en boutons de bottines, les flancs agités par la rage ou la frayeur.
Tout en cheminant, je m’efforce d’espérer, me disant que l’on doit hésiter à supprimer un adolescent, et qu’on l’a amené dans ces galeries pour l’impressionner, briser sa volonté. Question d’ambiance. Un être humain est fragilisé par les ténèbres et la solitude. Mon petit Jérôme semble deviner ce que je ressens et drope d’une allure régulière.
Et soudain, nous sursautons. Quatre détonations viennent de retentir, répercutées par les échos infinis.
Un ahanement d’homme blessé s’échappe de mon ventre, de mes poumons, de ma gorge.
Trop tard ! On vient de liquider Toinet ! Toinet, mon petit flic d’il y a si peu, déjà mort au champ d’honneur !
Cette fois nous courons, courons à perdre tu sais quoi ? Oui, haleine. Comment as-tu deviné ?
Et voilà qu’un nouveau coup de feu éclate, puis un deuxième. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’on l’achève ?
Ces détonations se répètent à nouveau ; elles ont le mérite d’orienter notre course.
Encore une série de tirs. Maintenant, c’est tout proche.
— Jérôme, dis-je, passe-moi la loupiote et reste ici, je ne veux pas que tu t’exposes.
Il me laisse marcher en tête avec la lampe, mais s’obstine à me suivre malgré les gestes péremptoires que je lui adresse.
Au bout d’un instant, je perçois un bruit de course, la danse d’une lueur, tout là-bas. J’ai déjà éteint notre torche à batterie. Et puis je m’arrête dans un renfoncement. L’ami Tu-tues bien en pogne, cran de sûreté ôté, prêt !
Une chose m’apparaît, qui m’inonde de bonheur. Non ! On ne mitraille pas le corps ensanglanté de mon adopté : on le CHERCHE ! Profitant d’une occase : relâchement d’attention ou configuration propice d’une galerie, le môme a faussé compagnie à ses tourmenteurs. Maintenant, les deux mecs procèdent à une chasse à l’homme.
— Couche-toi, nom de Dieu de merde ! soufflé-je à mon guide.
Bien qu’à peine audible, mon ton reste péremptoire et Jérôme s’allonge sur le sol.
Au loin, la danse des lumières se poursuit. De temps à autre les faisceaux quittent la galerie pour lire les parois percées de grottes. Et puis elles continuent d’avancer. Mon intention : les laisser approcher le plus possible, C.Q.F.D. !
J’attends, frémissant d’espoir, de ferveur. Je ne suis plus qu’une vivante imploration.
L’un de nous deux a-t-il produit un bruit quelconque ? Oui, sans doute, car une voix s’écrie :
— Là-bas devant !
Dans les trois secondes qui suivent, des balles sifflent dans notre direction. Ensuite, les deux fumarots se mettent à courir. Leurs deux lumières se balancent comme des cloches de vaches.
Parvenus à quelques mètres de nous, ils s’arrêtent et braquent leurs lampes. Alors, mézigue, superbe de courage, que dis-je : de folle témérité, j’allonge le bras.
« Plaou ou oummmmmm ! » dit ma première balle.
L’une des lumières s’éteint en même temps qu’un hurlement de douleur retentit. Je reste d’un calme surnaturel, visant la deuxième source de lumière sans broncher. Mon corps contracté appréhende le projectile qui risque de l’anéantir.
« Plaou ou oummmmmmmm ! » fait la sœur jumelle de ma première bastos.
La seconde lumière se désintègre. Au même instant, un méchant frelon heurte mon épaule. Ça, je connais, donc reconnais : je viens de m’en choper une dans la région claviculaire…