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Une rogne d’acier me survolte. Je rallume ma lampe.

J’aperçois les deux vilains méchants à dix mètres. L’un est debout, une main explosée, l’autre tenant un pistolet braqué. Je le décoiffe d’une praline en pleine tronche.

Ce que voyant, le second met les adjas en courant.

— Halte ! lui lancé-je.

Au lieu d’obéir, il passe la surmu.

— Dernière sommation, je vais tirer ! annoncé-je.

Alors il ralentit, s’arrête, se retourne. En une fraction de fraction de quart de seconde je réalise le danger, lance ma loupiote loin de moi. Bien m’en prend car pile il glaviotait ses pépins d’acier en prenant ma lampe pour cible, comme je l’ai fait avec eux.

Curieusement, le môme Jérôme a le réflexe d’allumer la sienne et d’illuminer mon « tueur potentiel ». Je lui en fais ronfler deux dans les coquilles et il n’aura plus jamais besoin de lunettes de soleil.

L’odeur de la poudre nous prend à la gorge et nous toussons comme des perdus.

Sitôt que je retrouve un souffle convenable, je me prends à hurler :

— Antoine !!!!

Silence. Mon anus se crispe comme l’orbite d’un monoculé de frais.

Je réitère :

— Toinet !!!!! C’est papa ! Montre-toi, ils sont nazes !

Toujours rien. On se met à marcher.

Le môme est fatalement parti dans l’autre direction puisque nous ne l’avons pas croisé.

Nous nous déplaçons sans courir, mais d’une allure décidée. Jérôme balaie le côté droit, moi le gauche, afin que rien ne nous échappe. Difficile d’évaluer les distances dans un souterrain qui décrit des méandres.

A un moment donné, Jérôme me dit :

— Regardez !

Il éclaire une chose noire, sur le sol : un attaché-case ouvert et vide. Je l’examine, perplexe. Qu’est devenu son contenu ? Les deux crapules n’avaient pas cent millions d’anciens francs dans leurs poches quand je les ai descendus. De plus, ce n’est pas, a fortiori, Toinet qui a pu se sauver avec ses liasses !

— Continuons, petit ! soupiré-je. Je te remercie pour ta coopération, tu es un garçon de première.

Et notre cheminement se poursuit dans cette atmosphère confinée de la mort en conserve.

Je ne puis te rapporter le temps que nous passons à errer dans les catacombes avec nos lampes aux faisceaux impétueux, mais le moment vient où mon jeune guide me conseille de rebrousser chemin.

— Je pense, me dit-il, qu’il va falloir organiser des recherches de plus grande envergure, nos batteries vont bientôt faiblir et ce n’est pas marrant de se retrouver ici dans le noir.

L’âme en berne, je cède à son conseil.

Alors voilà le retour écœurant…

Chemin refaisant, nous retrouvons les sinistres jalons qui le ponctuent : l’attaché-case, ensuite les deux cadavres. On va, comme devait aller dans la plaine russe la Grande Armée en déroute.

Une immense fatigue me ligote les jambes et ruine mon énergie pourtant si forte.

C’est Jérôme qui, là encore, ouvre la marche.

Je me déplace comme aux obsèques d’un être aimé, en charriant le passé vécu en sa compagnie. Je revois le bébé Antoine rapporté un soir à Félicie, comme dans du Victor Hugo. Et puis ses premiers mots (il a dit « papa »), ses premiers pas, ses premières sottises, ses premiers jours d’école (il a passé la main sous la robe de la maîtresse pendant qu’elle se tenait baissée), ses premières punitions (un festival !). Les dessins qu’il préparait en secret pour mon anniversaire, enrichis d’une dédicace : « Pour mon papa que j’ème. » Pas le moment de chialer ! Je suis un homme ou une souris ? Un bon Dieu de flic ou une petite fille au cœur tendre ?

Jérôme pile.

— M’sieur ! Je crois bien que le voilà !

Il s’approche d’une faille d’où sort un pied chaussé d’un mocassin souple que je reconnais tout de suite.

— On est passés devant lui, tout à l’heure, avant d’entrer en contact avec les deux hommes, mais on ne l’a pas vu parce que la faille est en biais, m’explique le garçon.

Il éclaire l’intérieur de la niche. Ce que je visionne alors ferait évanouir une chauve-souris ! L’ouverture en question livre accès à une sorte de grotte, laquelle est remplie d’ossements. C’est plein de tibias, de squelettes entassés et, surtout, comble du cauchemar, de têtes de mort aux sourires francs et massifs, dont les yeux d’ombre semblent nous regarder.

Toinet gît sur ces ossements, la tête ensanglantée. Seigneur ! Dans quel triste état l’ont mis ses tourmenteurs ! Son visage n’est plus qu’une plaie boursouflée, sanguinolente. Ses pommettes sont fendues, sa bouche et ses arcades sourcilières éclatées. Il respire ! Je palpe sa poitrine : « l’oiseau de vie continue de s’agiter dans sa cage », comme l’a superbement écrit Jean-François Le Pen dans son « Ode à Mitterrand ».

— Jérôme, va chercher du secours, le plus vite possible, j’attends là, auprès de lui.

Il disparaît, tel Mercure, ou je sais plus quel con sur sa roue ailée.

CHAPELURE

Le jeune toubib du dispensaire (il y en a un à côté de la maison du vieux fondeur un peu fondu) achève de panser mon intrépide rejeton.

— Plus de peur que de mal ! assure-t-il. Il a subi un passage à tabac en règle ; il faudra, par mesure de sécurité, faire une radio de la tête, mais je crois que la sienne est solide.

Son sourire sympa s’efface comme la buée de ton pare-brise quand tu branches la climatisation.

— Posez voir un peu votre veston ! m’ordonne-t-il.

— Pour quoi faire ?

— Vous avez vu votre manche ?

Je regarde : gris clair à l’origine, elle est à peu près de couleur bordeaux maintenant. Tu me croiras si tu voudras, dirait Béru, mais j’ai complètement oublié que j’en avais morflé une au défaut de l’épaule. Preuve que la blessure ne me torture pas. Je ressens rien d’autre qu’une gêne dans le haut du bras, comme à la suite d’un faux mouvement.

Quand je me trouve torse nu, le gentil Doc examine la blessure.

— Vous avez eu de la chance, assure-t-il. Quelques centimètres plus à droite, c’était l’artère sous-clavière qui dérouillait.

— Si je n’avais pas de la chance, je ne ferais pas ce sale métier, bougonné-je.

On ne s’est pas parlé avec Toinet depuis qu’il est sorti du sirop. J’ai voulu lui laisser le temps de rassembler ses esprits martelés par ses chourineurs.

Toujours flanqué de mon pote Jérôme auquel se sont joints Mathias et Pinaud, nous nous rabattons en une brasserie voisine. Sans être un forcené du champagne, j’aime assez en écluser un verre à demi, dans certaines occasions. Un Laurent Perrier rosé se trouvant en stationnement limité dans le réfrigérateur de l’établissement, je le convie à notre table, ainsi que son frère jumeau, né la même année que lui.

Les deux garçons se mettent à tuter comme s’il s’agissait de jus de fruits non alcoolisés. Ils sympathisent à la vitesse grand V. Toinet, pansé, semble tourner un remake de L’Homme invisible (le mec qui a inventé le préservatif : ses partenaires amoureuses ne trouvaient pas sa bite pour lui faire un turlut). Il raconte l’assaut du taxi par les deux sauvages à l’étranglement des travaux. Ils ont braqué le chauffeur, puis, rue du Bac, l’ont rectifié avec un petit maillet d’acier que le grand blond portait accroché à sa ceinture. Ils ont obligé Antoine à grimper dans une bagnole stationnée là.

Une fois à bord, comme ils craignaient une arnaque de sa part en l’entendant marmonner à tout bout de champ, ils l’ont fouillé puis lui ont arraché le micro qu’il portait à l’oreille. Ils ont étudié le faux bijou et ont déterminé son usage. S’en est suivi une rage froide de ses agresseurs qui ont failli le trucider. Bref conciliabule entre eux, à voix à peine audible, mais Toinet a compris qu’ils décidaient de modifier le plan prévu et d’aller se planquer dans les catacombes. Il leur fallait d’urgence se défaire de la voiture, pour le cas où il aurait balancé le numéro minéralogique.