Quand ils se sont trouvés sous terre, ç’a été illico la fête d’Antoine. L’homme au maillet d’acier l’a frappé au visage et il a cru que sa tronche explosait. Une première fois il a perdu connaissance, le pauvre biquet.
Sa baguenaude dans la choucroute a dû être longue. Il a confusément conscience d’avoir perçu une altercation entre les complices, l’un reprochant à l’autre d’avoir tué Toinet avant qu’il n’eût parlé, au lieu d’après, comme prévu !
Une fois ranimé, mon grand dégourdoche a dû continuer d’avancer, soutenu par l’un des types. Après pas mal d’efforts, il est arrivé là où j’ai retrouvé l’attaché-case. Alors l’interrogatoire a commencé. Toinet frissonne de l’évoquer, si près de l’épreuve qu’il a endurée. Ils ont pissé sur ses plaies ouvertes, lui ont tordu les testicules, ont continué de le tabasser méthodiquement.
Ce qu’ils voulaient savoir ? Beaucoup de choses, tu t’en doutes ! Qui il était, pour le compte de qui il « travaillait », si ses amis étaient parvenus à décrypter le dossier, pourquoi il avait forcé le coffre de l’avocat, que comptait-il faire de l’album, etc.
Toinet jure qu’il a tenu bon. Ça ne lui a pas été difficile car il s’est farouchement retranché dans la version qu’il avait fournie à Flatulence-Alaïe. A savoir qu’il fait partie d’une bande de petits malfrats spécialisés dans le pillage des appartements de vacanciers absents. Cet album si « spécial » lui a donné l’idée d’un possible chantage sur son détenteur. Quant au fameux dossier, c’est précisément parce qu’il n’y comprenait rien qu’il l’a engourdi, pensant que l’on ne travestit que les textes importants, mais ils n’ont pu le transcrire, n’étant pas de force.
Le grand blond a paru le croire, mais son pote regimbait ; c’était un finaud. Il objectait que des tas de gens détiennent des photos pornos sans qu’on soit pour autant en mesure de les faire chanter. Il y a eu encore plusieurs vagues de durs sévices, Toinet n’a pas plié. Ils lui ont demandé alors les noms et adresses de ses complices, le môme a eu la sagesse de les fournir sans hésitation, comme preuve de sa sincérité, mais, bien entendu, c’était des identités fantaisistes. Ils ont paru s’en contenter.
« — Bon, ont-ils déclaré, puisque tu as tout dit, on va se quitter. Que préfères-tu comme mort : le maillet d’acier ou le lingue ? »
Antoine leur a répondu qu’il n’était pas sectaire et que, selon lui, le mode d’exécution le plus propre serait le mieux.
Le frénétique du marteau a alors décidé de le buter.
« — Couche-toi par terre, la figure contre le sol ! »
Toinet a obéi.
Comme le blond dégrafait une fois de plus son étrange arme contondante de sa ceinture, son pote a poussé un cri :
« — La mallette est vide ! »
C’est ce cri qui devait sauver la vie à Antoine. Son pote, médusé, s’est précipité pour constater le fait. Pour cela, il s’est éloigné de trois pas. C’était la première fois, depuis qu’ils lui avaient mis le grappin dessus, que leur vigilance se relâchait. Toinet a bondi, shooté dans les lampes des criminels et détalé. Il a couru comme jamais de sa vie, courbé en avant, les quilles pistonnant à outrance. Derrière lui, les deux tortionnaires ont rallumé leurs loupiotes et dégainé leurs flingues.
Antoine savait qu’il n’aurait pas de deuxième chance, que c’était tout de suite ou jamais plus ! Alors il mettait la sauce ; son drame c’est qu’il cavalait à borgnon, le pauvret, n’ayant, pour se diriger que la faible lueur venue de ses poursuivants. A un moment donné, il est rentré la tête la première dans un obstacle, a titubé et s’est écroulé net. K.-O. ! Par chance, il se trouvait dans l’anfractuosité où nous l’avons retrouvé. Ses courseurs, à cause de notre providentielle intervention, n’ont pas eu l’opportunité d’arriver jusque-là !
Je suis bénaise d’apprendre tout cela.
— Enigme ! annoncé-je. Comment se fait-il que la mallette ait été vide ?
— A vrai dire, elle ne l’était pas, déclare le gavroche sans rire : elle contenait un petit extincteur enveloppé de papier journal. Pour faire du poids, tu comprends ? Quand, dans mon taxi, j’ai repéré les deux vilains qui roulaient en Porsche, j’ai compris que ça allait cagater noir. Mon réflexe a été de planquer le magot. J’ai soulevé la banquette du bahut et empilé les liasses dessous. Puis j’ai secoué l’extincteur de la bagnole afin de le mettre à la place des biftons. Faudra le rendre à la compagnie en allant récupérer la fraîche.
Là encore il m’en met plein les carlingues, le Toinet. Plus fort que Batman, cézigus !
On en est là quand le commissaire Coudebyte se pointe :
— Message pour vous, dirluche : le gros Bérurier qui vous demande d’aller le rejoindre chez l’avocat pour, assure-t-il, une communion de la plus haute importation !
— Trempez votre long pif dans du champagne rosé, Justin, ça le rafraîchira ! lui conseillé-je.
Et me revoilà parti, suivi de Toinet, Pinuche et Mathias, pour la rue François-Mauriac.
CHAMELIER
M’étonne pas qu’il se soit rendu en loucedé chez Flatulence-Alaïe, le Dodu. Sa pommade antihémorroïdes, à franchement parler, je n’y croyais point trop. C’est pas le genre à charrier des légumes au fion, Mister Ducon. Et quand bien même il en aurait, je le vois mal se tartiner le fignedé d’onguent. Les animaux n’ont pas de ces attentions pour leur trouduc. Quand ils peuvent, ils se le lèchent, ou bien se le traînent sur l’herbe fraîche ; là s’arrête leur thérapie.
Oui, son cheminement mental est clair, logique même ; le raisonnement qui y conduit semble incontournable.
L’avocat porte l’argent à son « rançonneur », seulement il a alerté des hommes de main pour suivre et emballer le racketteur. Ne lui reste plus qu’à rentrer chez lui pour y attendre les résultats de l’opération. Conscient de la chose, à partir du moment où Toinet nous est enlevé, le Gros retourne à la source, c’est-à-dire chez Flatulence-Alaïe (un nom qui fleure bon la Provence), pour lui faire glavioter le morcif.
Son crâne de buis a fait fonctionner la sagacité paysanne sans laquelle la France ne serait qu’un guichet de P.M.U.
Il me veut ?
Il nous a ! La Fayette !
C’est un curieux Bérurier qui répond à notre coup de sonnette. Il a posé veste et chemise, et le torse vêtu d’un seul maillot de corps (j’écris « maillot de corps » comme on écrit « pou de corps ») à grosses grilles, verdi parce que moisi sous les aisselles, noir autour du cou et gris partout ailleurs, le front dégoulinant de sueur, le nez de morve gastéropodique, la bouche de mousse genre pré-shave, l’œil rubis, les mains sanglantes, évoquant le toro après qu’il eut reçu le châtiment du picador (la pauvre et innocente bête), mais superbe parce que triomphant, son faciès du tertiaire éclairé par le feu de la victoire, il reste un instant à nous dévisager en haletant.
A la fin il dit, montrant Toinet du menton :
— J’voye qu’vous avez récupéré l’moufflet ! Ça s’arrosera !
Un projet de sourire décrispe son masque de centurion surmené.
— Mais z’entrez donc ! propose-t-il, non pas en s’effaçant (à l’impossible nul n’est tenu) mais en s’enfonçant dans l’apparte.
La porte du bureau est ouverte. Nous l’y suivons.