— Oui.
— De votre fait ou du sien ?
— Du mien.
— Maître Flatulence-Alaïe a voulu le faire chanter pour les photos. Il a payé, mais a mal pris la chose, et vous l’avez envoyé aux bains turcs ?
Elle ouvre la bouche à vide, me faire voir sa stupeur qui ressemble à ses amygdales.
— Comme vous le voyez, je suis très informé, dis-je.
Là-dessus, l’archiduchesse Blinis se pointe, assez Folle de Chaillot. Elle s’est servi une grande vodka aux herbes pour surmonter son émotion. Ses paupières plâtreuses lâchent du lest à chaque battement.
— Ne tourmentez pas cette enfant, monsieur de la Police, elle a suffisamment souffri, jette l’amie des Romanov.
Elle vient se confier aux bras compatissants de l’unique fauteuil de la pièce. Sa main en patte de gallinacé tremble sur le verre ; jadis, c’était des queues qu’elle enserrait de la sorte, mais elle ne tremblait pas dans le même sens…
Je me lève pour exécuter quelques courts pas dans la chambre exiguë.
— Ecoutez, les filles, attaqué-je sur un ton extrêmement familier, une chose est indiscutable : nous allons tous mourir dans les cinquante ou soixante années qui viennent. D’ici là, nous devrons assumer, les uns et les autres, cette merveilleuse chierie qui s’appelle la vie. Alors essayons de le faire proprement.
« Il y a eu du grabuge, ici, et je suis là pour le tirer au clair. Si je ne le fais pas, d’autres viendront qui auront probablement un comportement différent, plus rugueux. Quand on a commis des actes répréhensibles, on a, plus que jamais, besoin d’être compris… Je vais vous aider ; préparer les forceps pour l’accouchement de la vérité qui, souvent, a du mal à passer.
« Tenez, commençons par la fin. La mort de Fleur-de-mai. Si vous saviez comme ça s’est fait sottement, mes pauvres petites ! La bougresse noire qui a trempé dans la combine des photos licencieuses décide, en partant en course, d’avoir une discussion avec Son Altesse Impériale et s’arrête ici. Elle se met à converser avec vous, Majesté. Le bout de réglisse qu’elle venait de se mettre dans le bec la gênant, elle le retire et le pose à son côté sur le fauteuil où son gros fessier ne tardera pas à le faire disparaître. La discussion ? Aucune idée, vous aurez le temps de nous raconter ça plus tard.
« Mais voilà qu’une bavure se produit : Thérèse, qui n’a pas entendu la visiteuse, surgit. La tuile ! Elle se planquait chez la reine depuis le coup des valises. La Noiraude exulte. Menace de casser le morcif, veut s’enfuir. Au moment où elle est sur le palier, Mme Yourovitch, perdant tout contrôle, l’estourbit avec le délicieux bronze Arts déco du salon représentant une plongeuse en maillot une pièce et bonnet de bain. Au début, la Noire tente de parer les coups, de s’agripper. Ce faisant, elle arrache un bouton de votre chemisier ; je chercherai ce dernier dans votre garde-robe et nous comparerons.
« Votre colère est si vive, Votre Altesse, que vous cognez, cognez à perdre haleine, deux, trois, cinq fois, lui brisant nuque, omoplates, boîte crânienne. L’horreur. Alors Thérèse, épouvantée, fait preuve d’une rare présence d’esprit. Elle vous pousse dans l’appartement et lance un immense cri de défenestrée qui rameute les locataires de l’immeuble et les passants. Ensuite, elle vient se planquer. Le temps que vous retrouviez vos esprits, et vous sortez aux nouvelles, Votre Grâce. En pleine repossession de votre sang-froid. Coup d’audace magnifique. Esprit d’à-propos stupéfiant. Thérèse, ce que vous avez réussi là, pas dix femmes au monde, depuis Jeanne d’Arc, n’auraient pu le faire.
« Dernier point élucidé, donc. A présent, remontons le temps de deux mois pour retrouver l’instant où vous êtes venue chercher de l’aide chez la comtesse de Rostopchine après avoir tué un type dans votre salle de bains, petite fripounette ! Femme de grande sagesse, je gage qu’elle vous a indiqué comment s’en débarrasser : le priver de ses jambes et peut-être également de sa tête (j’ignore les dimensions de vos « Samsonite », le répartir en deux bagages, faire porter ceux-ci dans une consigne de gare comme le font la plupart des dépeceurs. C’est bien cela ? Merci.
« Maintenant, je vais vous livrer ma conception de l’affaire. Même si ce n’est pas la bonne, vous aurez intérêt à la faire vôtre car elle vous avantage grandement, ma petite puce salope ! Un homme est arrivé à votre appartement alors que vous vous y trouviez seule. Il vous a menacée de son pistolet. Je pense qu’au moment où il s’est pointé, vous étiez en train de prendre un bain ? »
— Une douche ! rectifie Thérèse Genitrix-Desqueyroux, ce qui me prouve que je suis sur la bonne voie, comme disait un cheminot en grève.
— Malgré la frayeur qu’il vous inspirait, vous lui avez demandé la permission de mettre un peignoir. Il vous l’a accordée et, une fois là, il s’est permis des privautés sur votre personne.
— Non, fait-elle.
— C’est ce que vous direz, insisté-je avec force.
— Bon, se soumet-elle.
— Alors vous vous êtes débattue ; il a laissé tomber son arme en voulant vous maintenir. Vous lui avez glissé entre les mains, vous avez réussi à ramasser le pistolet et lui avez tiré dessus. Où cela, au fait ?
— Dans le cou.
— Très bon, ça accréditera le côté fortuit : on ne tire pas dans le cou de quelqu’un pour se défendre, plutôt dans la poitrine. Compris ?
Elle opine.
— Ecoute bien ce que dit le monsieur policier, chérrrie ! engage la tzarine ; du bien il te veut, je sens.
— Qui a retiré le corps de la consigne ? questionné-je brusquement.
— J’ai téléphoné à mon ancien mari.
— Mortimer ?
— Oui.
— Et il s’est chargé des valises ? Dites, c’était un bon époux, vous auriez dû regarder à deux fois avant de divorcer.
— Non, c’est une ordure ! rectifie la comédienne. L’homme au pistolet, c’est lui qui me l’a envoyé.
— Pour quoi faire ?
— Me tuer !
— Vous en êtes certaine ?
— Le type me l’a dit. Il a voulu que nous restions dans la salle de bains pour que ça se passe proprement : il voulait me tuer dans la baignoire. C’est en l’enjambant que j’ai glissé et l’ai bousculé.
— Donc, il y a réellement eu légitime défense ?
— Mais bien sûr ! Vous me prenez pour une meurtrière ?
— Vous savez, quand on est capable de faire chanter les gens qui vous baisent…
Elle baisse la tête et je l’entends murmurer :
— Tout de même…
— Reprenons, ma belle. Ce tueur à gages, que sa victime désignée tue, vous demandez à Mortimer de le récupérer. Et il accepte ?
— Il n’a pas protesté ; c’est bien la preuve, non ?
— En effet.
Un silence. Elle paraît faible, et pourtant elle est diablement forte, cette petite actrice ratée. Elle sait faire front aux pires situations, à preuve !
— Vous savez pourquoi il veut votre mort ?
— Pour m’empêcher de parler.
— Eh bien ! parlez, il n’aura plus de raisons valables ensuite ! Que fait-il de si répréhensible ?
— Il dirige un réseau de drogue très important entre l’Europe et les U.S.A.
— Il vous l’a avoué à l’époque de votre mariage ?
— Je ne le sais que depuis deux mois.
— Qui vous l’a révélé ?
— Gros Bébé.
J’exclamationne :
— Achille !
— Oui. Il était ici, un jour, et mon ex est arrivé. Gros Bébé l’a reconnu. Il avait eu affaire à lui, une quinzaine d’années en arrière, mais Mortimer avait réussi à échapper à la police française. Peter, lui, n’avait jamais vu Achille, aussi leur rencontre a été sans conséquence dans l’immédiat.