Elle exige son dû, la garce. Pendant l’opé, elle a branché une cassette de son julot : « Les Vampires de la volupté », et elle entend tourner son propre remake. Elle veut qu’il lui interprète les mêmes rock-saynètes que dans cette superproduc. Tout ! « Le Martyre de saint Sébastien », « Fantomas empétarde Juve », « La Tzarine perverse », « L’Aiglon suce Flambeau », « Les Vendredi de Robinson », « Le Coolie automate », « Le Cul racé de mon pote Eskine », « Trois zobs et un boudin », « Un Doigt de cour côté jardin », « La Canule des rêves », « La Motte que l’abbé fourrait », tout, te dis-je, elle réclame cette goulue du nom d’Hortense. Et quand, dans le film, la queue de son homme fait craquer les fines crénelures d’un muscle annulaire, elle en veut autant pour elle, stoïque amante capable de sacrifier la fermeté de ses sphincters à une passionnelle reconstitution. Ô sublime femme qui ne tolère le partage que s’il est équitable !
Et donc bandant mal pour trop avoir bandé, copulé, éjaculé, le dénommé Charly Genous, petit homme velu et sans autre signe distinctif qu’un sexe plantureux à tête mycologique, proteste qu’on lui meurtrisse les couilles, comme on torture le tronc de l’hévéa pour en faire couler sa sève. Il objecte que ses demoiselles d’Avignon sont violacées par le lacet, qu’il en résultera une avarie capable de faire chuter sa carrière de comédien hard et que, privé de sa pine gagne-pain, il ne lui restera plus que la ressource de traîner ses meurtrissures en des bureaux de demandes d’emploi où, systématiquement, les queues pendent de désespoir ; oui, il prophétise cela, le pauvre bougre. Seulement, la dévorante reste insensible aux arguments. Elle veut la bistoune professionnelle de Charly, partout où il l’a placée à l’intérieur de dames passives qui font métier de jouir dès qu’un brouilleur de culs a crié « Moteur ».
Las de guigner, je suis entré et me suis assis sur un pouf (Hortense le fait sur un paf). Le gros chat vient se frotter à moi en ronronnant de bienvenue. Les coïts de ses maîtres le laissent indifférent, ce pour deux raisons aussi valables l’une que l’autre : primo parce qu’il est chat, secundo parce qu’il est castré. Chacun sa merde !
Nous attendons. Le couple suit le canevas que constitue la cassette en cours de projection.
Elle commande, l’officière :
— Là, tu me prends en levrette en me caressant le dito de la main droite. Avec la gauche tu me fais un bout de sein !
— J’y arrive pas !
— Tu l’as bien fait à Lucette Elseneur !
— Elle est plus petite que toi !
— C’est juste, admet l’irascible, alors laisse tomber le sein !
Le brave s’active. On peut croire que la carburation s’opère bien, l’Hortense copie ses plaintes de bonheur sur celles de la dénommée Lucette. Les deux font aussi bidon l’une que l’autre. Puis, soudain, un cri :
— Mais tu dégodes !
Terrassé par le sort, Charly reprend son pénis et s’assoit sur le bord du lit. Il m’aperçoit, mais étant habitué à baiser devant une équipe de techniciens blasés, il me salue d’un hochement de tête.
Mieux : il me prend à témoin.
— Ecoutez, me fait-il, aujourd’hui on a tourné la scène du viol dans « Les Uhlans de l’amour ». Il y a eu besoin de seize prises ! Ensuite on est passé à mon éjaculation en gros plan sur la gueule du commandant allemand. La pointe de son casque me rentrait dans l’oigne ; charmant, non ? Ce con était prognathe et son putain de menton masquait mon lâcher de ballons à l’objectif ; alors quatre prises avant que le metteur soit satisfait. Vous imaginez la marchandise perdue ? Mon confrère qui jouait le boche semblait avoir pris une tarte à la crème en pleine poire ! Notez que c’en était que plus impressionnant ! N’empêche que je suis fourbu, moi. Et ma souris qui s’en ressent ! Qui m’arrête la circulation dans les burnes pour me faire triquer ! C’est plus une vie !
La fille, qui se fignolait un solo compensatoire à la cithare pileuse, en continuant de visionner la bande (si j’ose dire) où son Casanova prodigue avec grâce, force et souplesse ce qu’il n’est plus en mesure de lui accorder, finit par bredouiller :
— Mais à qui est-ce tu causes, Charly ?
— Monsieur, il répond.
Elle défigue les deux doigts qui tisonnaient ses envies.
— C’est à quel sujet ? me demande-t-elle en les portant machinalement à son nez pour un rapide contrôle d’identité.
— Les Productions du Grand Orgasme me chargent de contacter M. Genous pour le premier rôle d’un film. Comme il y a des séquences de zoophilie, nous tenions à savoir ce qu’il en pensait avant d’entreprendre les pourparlers.
— Ça dépend avec quel animal, répond ce mâle en provisoire défaillance.
— Une chèvre ; on tourne « La Chèvre de M. Seguin » en version hard. Vous jouez Seguin et vous êtes amoureux de Blanchette.
— Alors c’est O.K. ! Je me rappelle un film où je devais me faire une guenon ; la salope m’a griffé les baloches et refilé une maladie qui m’a éloigné pendant deux mois des studios !
— Vous faites un métier difficile.
Il surveille le départ de sa gonzesse qui va se terminer en une pièce plus tranquille.
— Cette connusse ne comprend pas que, lorsque je rentre à la maison, j’ai le cul en horreur et que je ne demande plus qu’à regarder ma télé après un bon bain à l’O. Ba. O.
Il ouvre grand la bouche, farfouille dedans avec ses doigts et ramène un poil noir en tire-bouchon.
— Si je vous disais que j’ai beau me les brosser, il me reste constamment des poils de cul entre les dents. Je plains les gouines.
— Outre les films, je crois savoir que vous faites des extras dans le privé ?
Il s’affole :
— Taisez-vous, malheureux ! Si ma rombiasse l’apprenait on irait droit à l’apocalypse. Comment le savez-vous ?
— Par Thérèse Genitrix qui est une copine !
— La salope ! Je lui avais bien dit que c’était top secret.
— A vrai dire c’est sa femme de chambre noire qui m’a confié la chose.
Il maugrée des trucs racistes qu’il a dû lire dans Mon Combat de Jean-Marie La Gâche.
— C’est une rapide, la Thérèse, fais-je d’un air informé.
— Un cas ! rectifie Genous. Quand elle a décidé de s’offrir un paf, c’est de l’immédiatement ! Faut tout lâcher pour éteindre la Miss.
— Elle paie bien ?
— Avec ce qu’elle gagne, mon cachet est minable. Une fois, il a même fallu que je lui fasse crédit. Baiser à kroum, de quoi ai-je l’air ? Une répute se défait vite dans ces conditions. Vaut carrément mieux offrir sa giclée, c’est plus classe !
« Souvent, je lui dis de venir avec nous dans le « X » ; mais elle se gêne à cause de sa culotte de cheval. Qu’est-ce que ça peut foutre ? Au contraire, dans notre boulot, comme je me tue à le répéter à la production, on a tort de ne sélectionner que du produit qualifié ; c’est banal. Imaginez une grosse radasse bourrée de graisse et de cellulite ou une mocheté anguleuse avec un bec-de-lièvre et du strabisme à s’en faire jaillir les lotos, le dégât que ça ferait ! Là, oui, ça exciterait les populations ! Un gros tas de cent vingt kilos en train de me pomper le zigomar ou de danser dessus ? Mais ces cons ne veulent pas m’écouter. Avec eux, c’est toujours la blonde platinée perverse, en bas-résille, qui lèche le frifri de sa copine avant de prendre le panais d’un cadre supérieur qui sort un godemiché de son attaché-case pour lui électriser l’œil de bronze en même temps… Ça n’intéresserait pas votre maison, vous, un porno tourné par des affreux, des sordides, des stropiats ? Bon Dieu : un cul-de-jatte qui tire une bossue ça ferait fureur, ne me dites pas ! »