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Immédiatement, Cintia ravit l'enfant à la tendresse paternelle et reculant précipitamment, elle s'exclama :

Tatien ne sera jamais chrétien. C'est mon fils ! Je le consacrerai à Dindymène. La mère des dieux le défendra contre la sorcellerie et la superstition.

Puis, elle est tout de suite entrée à l'intérieur prise d'une incompréhensible torture

morale.

Varrus Quint n'est pas retourné à sa lecture.

Perdu dans de profondes réflexions, il s'est penché contre le mur qui séparait le jardin de la voie publique et s'est attardé à la contemplation d'un groupe de garçons qui étaient là, occupés à jouer. Ils lançaient des petites pierres dans l'eau et, la pensée tournée vers son petit Tatien, ne pouvant définir les sombres pressentiments qui oppressaient sa poitrine, il remarqua qu'une étrange angoisse envahissait son cœur.

Alors que le crépuscule avançait, n'ayant pas revu sa femme qui s'était réfugiée avec son fils dans leur chambre, il prit la voiture d'un ami qui le conduisit jusqu'à l'humble maison du vénérable Lysippe d'Alexandrie, un illustre Grec profondément dévoué à l'Évangile et qui habitait dans une pauvre hutte délabrée sur la route d'Ostie.

Une petite assemblée d'adeptes s'était formée dans la modeste salle.

Surpris, il fut informé que les adieux du grand chrétien gaulois ne se feraient pas cette nuit-là mais le lendemain.

Corvinus était donc à la disposition de ses amis pour s'entretenir amicalement.

Il n'y avait cependant pour le groupe, de sujet plus fascinant que celui concernant les réminiscences des persécutions de l'année 177.

Les peines des chrétiens lyonnais étaient racontées dans les moindres détails par le noble visiteur.

Alors que le cercle des personnes écoutait, statique, l'ancien Gaulois se rappelait avec une prodigieuse mémoire de chaque événement. Il répétait les interrogatoires effectués et rapportait aussi les réponses inspirées des martyrs. Il se reportait aux ardentes prières des compagnons de l'Asie et de la Phrygie qui, miséricordieusement, avaient aidé les communautés de Lyon et de Vienne (5). Il parlait, enthousiaste, de l'immense charité de Vettius Epagathus, ce noble dévoué à la cause qui renonça à la position sociale privilégiée dont il jouissait pour se faire l'avocat des humbles chrétiens. Son regard s'enflammait en commentant l'étrange courage du saint diacre de Vienne et l'héroïsme de la chétive esclave Blandine dont la foi avait semé la confusion dans l'esprit des bourreaux. Il peignait la joie de Pothin, chef de l'Église de Lyon, cruellement offensé et roué de coups dans la rue, sans un mot de révolte, à l'âge de quatre-vingt-dix ans.

(5) Ville de France près de Lyon. (Note de l'auteur spirituel)

Finalement, il manifesta une mystérieuse joie mêlée de larmes en évoquant les aventures et les tourments d'Attale de Pergame qui fut à l'origine de sa foi.

II relatait tous les détails des supplices auxquels avait été soumis le vénérable ami. Il se souvint de l'atermoiement du procès dû à la consultation faite par le propréteur à Marc Aurèle, et s'attarda à la description des dernières souffrances du grand chrétien maltraité, fouetté, attaché et brûlé sur la chaise en fer rougi pour être finalement décapité en compagnie d'Alexandre, ce dévoué médecin phrygien qui, à Lyon, avait offert au Seigneur l'admirable témoignage de sa foi.

L'assemblée l'écoutait abreuvée de références. Mais comme l'orateur prévoyait un travail intense à réaliser le lendemain, Lysippe ordonna de servir des tranches de pain frais et du lait à chacun et mit fin à la conversation.

L'esprit inspiré par les récits du vieux Gaulois, Varrus est retourné chez lui.

Il rentrait plus tôt que prévu et une seule pensée l'absorbait maintenant : pacifier l'âme inquiète de sa compagne en lui rendant son calme et sa joie réaffirmant sa tendresse et son dévouement.

Il s'est approché tout doucement avec la tendre intention de la surprendre.

Il a traversé le patio et s'est trouvé devant la porte entrouverte, mais devant sa chambre, il s'est arrêté intrigué.

Il a alors entendu des voix dialoguer avec ferveur.

Opilius Veturius se trouvait dans sa chambre à coucher.

II essaya de comprendre la tempête morale qui flagellait son destin.

Jamais, il n'aurait imaginé que l'homme pour qui il travaillait serait capable d'attirer sa femme à une telle attitude.

Opilius était le cousin de Cintia et il avait toujours été reçu chez lui comme un frère. Il était dix ans plus vieux que lui et il était veuf depuis quelque temps. Héliodore, sa défunte femme, était pour Cintia une seconde mère. Elle avait laissé des jumeaux, Hélène et Galba, deux enfants malheureux dont la naissance avait causé la mort de leur mère et qui habitaient avec leur père, entourés d'esclaves très dévoués dans un magnifique palais portant les blasons de la famille.

Varrus travaillait sur les bateaux de Veturius et vivait dans une villa qui lui appartenait. Il se trouvait lamentablement lié à lui depuis son mariage par de lourdes dettes qu'il se proposait de payer honnêtement par son travail personnel, respectable.

Alors que dans sa tête surgissaient d'innombrables questions, Varrus réfléchissait...

Pourquoi sa femme se livrait-elle ainsi à une aventure aussi indigne ? N'était-il pas un compagnon loyal, extrêmement voué à son bonheur et à celui de leur fils ? Il s'absentait souvent de Rome les gardant précieusement dans son cœur. Si des tentations d'ordre inférieur lui assiégeaient l'esprit pendant ses fréquents voyages, Cintia et Tatien étaient une inébranlable défense... Comment céder aux suggestions de la méchanceté quand il se croyait l'unique soutien de sa femme et de ce petit ange qui peuplait son âme d'aspirations sanctifiées ? Et pourquoi Veturius salissait-il ainsi son foyer ? Ne se considérait-il pas comme un ami converti en dévoué serviteur ? Combien de fois dans des ports lointains avait-il été invité au profit facile et avait-il renoncé à tout avantage économique de provenance douteuse, conscient des responsabilités qui le liaient au cousin de sa femme ! À combien de reprises, avait-il été contraint par gratitude à oublier toute possibilité assurée d'améliorer sa situation, par simple égard pour Opilius qui était à ses yeux non seulement le protecteur du pain quotidien de sa famille mais aussi un compagnon, créancier de sa plus profonde reconnaissance !...

Angoissé et abattu, il se disait à lui-même à cet instant affligeant : — Si Cintia aimait son cousin, pourquoi l'avait-elle épousé, lui Varrus ? Si tous deux avaient reçu les bénédictions du ciel avec l'arrivée de leur fils, comment répudier les liens conjugaux puisque Tatien représentait son plus grand espoir en tant qu'homme de bonne volonté ?

À moitié halluciné, il s'est mis à réfléchir aux arguments contraires. Et s'il préjugeait de la situation ? Et si Opilius Veturius était là pour l'assister, répondant à la demande de Cintia ? Il était donc nécessaire de calmer ces inquiétudes et d'écouter faisant abstraction de toute animosité.

Il mit alors sa main droite sur son cœur oppressé et a écouté :

Jamais tu ne t'habitueras aux délires de Varrus — disait Veturius, sûr de lui —, toute tentative est vaine.

Qui sait ? — osa sa cousine soucieuse —j'espère que le jour viendra où il abandonnera cette odieuse connivence avec les chrétiens.

Jamais ! — s'exclama l'interlocuteur, en riant ouvertement — il n'est personne qui n'ait recouvré la raison après s'être mêlé à cette calamité. Quand bien même craignant les autorités, ils semblent trahir leurs vœux, face à nos dieux, ils retournent finalement à son enchantement. J'ai accompagné plusieurs processus de récupération de ces fous. On peut dire qu'ils souffrent d'une terrible obsession pour la souffrance. Les coups, les cordes, les fauves, la croix, le feu, les décapitations, rien y fait pour diminuer la volupté avec laquelle ils se livrent à la douleur.