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Corvinus s'installa sur sa couchette avec ses quelques bagages comprenant une tunique usée, une peau de chèvre et un balluchon avec des documents.

Pour dissiper la désagréable impression laissée par Subrius qui lui avait soudainement coupé la parole, le jeune homme est longuement resté auprès de l'ancien, choisissant ce moment pour réfléchir en sa compagnie au véritable motif de son voyage.

Corvinus l'a écouté avec un étonnement évident.

Il connaissait les patriarches carthaginois et les adeptes les plus en vue de l'importante église africaine.

Varrus lui a cité les noms des personnes indiquées dans la relation du préteur que le valeureux missionnaire identifia immédiatement pour la majorité.

Ils ont échangé leurs impressions quant à l'époque risquée qu'ils traversaient et comme s'ils étaient de vieux amis, ils se sont mis d'accord sur les précautions à prendre quant aux jours les plus sombres à venir au cas où les tempêtes politiques ne se calmeraient pas.

L'ancien des Gaules a longuement parlé de l'église de Lyon.

Au nom du Christ, il comptait y consolider le vaste mouvement d'assistance sociale.

Les prosélytes n'admettaient pas la foi inopérante. À leurs yeux, l'église devait s'enrichir d'oeuvres pratiques et être une source incessante de services rédempteurs.

Ils recevaient, fréquemment, la visite de confrères venant d'Asie et de Phrygie, grâce auxquels ils obtenaient des instructions directes concernant la matérialisation des idéaux évangéliques et acceptaient la Bonne Nouvelle, non seulement comme un chemin d'espoir menant au ciel, mais aussi comme un programme de travail actif nécessaire au perfectionnement du monde.

Et c'est ainsi que de considérations en réflexions, de remarques en observations, ils sont restés tous deux absorbés et heureux à élaborer des projets, exaltant la douce flamme de leurs rêves.

Quand le navire se mit en mouvement, Corvinus a souri à son compagnon comme un enfant partant à une fête.

Au début, ils entendaient le bruit rythmé des marteaux qui contrôlait l'effort des rameurs, puis, le vent commença à siffler fortement.

Varrus s'est absenté, promettant de venir chercher son ami pour le présenter au capitaine ; plus tard, cependant, Corvinus lui a demandé de reporter cette visite au lendemain, prétextant qu'il prétendait prier et se reposer.

Le jeune homme s'est éloigné en direction de la proue où il entama la conversation avec quelques marins. Il voulut voir le commandant mais Helcius Lucius, en compagnie de Flave Subrius et de deux autres patriciens renommés, échangeait des idées avec eux à une table distante, tout en parlant avec exultation.

II faisait nuit noire maintenant.

Craignant de devoir absorber des boissons fortes, Varrus se tenait dans son coin.

Il s'est alors rendu à la cabine où il était logé pour proposer quelque chose à manger à son vieux compagnon mais Corvlnus semblait dormir tranquillement.

Voyant que Helcius Lucius et ses amis ne cessaient de boire et jouaient bruyamment à quelque distance de là, le jeune patricien est retourné à la proue cherchant un coin solitaire pour laisser libre cours à ses pensées.

Il se sentait assoiffé de méditations et de prières et aspirait à quelques minutes de silence, seul avec lui-même, voulant se rappeler les succès de ces derniers jours.

Il contemplait les eaux que le vent fort et chantant faisait bouillonner, il laissa les rafales rafraîchissantes caresser ses cheveux, se disant que les fluides balsamiques de la nature adouciraient les inquiétudes de son esprit tourmenté.

Fasciné par le calme nocturne, il observait la lune grandissante qui s'élevait dans le ciel et balaya du regard les constellations étincelantes.

Quel mystérieux pouvoir commandait l'existence des hommes ! — se disait-il tristement.

Quelques jours auparavant, il était loin de supposer qu'il allait partir pour l'aventure d'un tel voyage. Il se croyait porté par le courant d'un bonheur domestique assuré, soutenu par le plus grand respect social. Mais se dit que son destin était en franche transformation !... Où devaient être Cintia et Tatien à cette heure ? Pour quelle raison la conduite de sa femme avait- elle ainsi modifié le cours de sa vie ?!... Si le Christ n'avait pas été présent dans son cœur, il n'aurait pas eu de mal à prendre les décisions nécessaires qui le tourmentaient intérieurement, mais il avait découvert l'Évangile et n'ignorait pas le témoignage dont il devait donner la preuve. S'il avait pu l'emporter sur l'influence d'Opilius... Toutefois, il n'était pas légitime de nourrir des illusions. Il avait des parents aisés à Rome qui se chargeraient de soutenir son fils jusqu'à ce qu'il soit en âge d'affronter les surprises du hasard avec des moyens financiers plus solides ; mais dans sa condition d'adepte du christianisme, il ne serait pas juste d'imposer à Cintia le supplice moral dont il se voyait l'objet.

Contemplant la vision de la nuit magnifique, il a prié avec ferveur implorant Jésus de soulager son esprit lacéré.

Des amis prisonniers poursuivis pour leur amour consacré à cette foi sublime lui revenaient en mémoire, s'appuyant sur les exemples d'humilité dont ils étaient un modèle vivant, il suppliait le Bienfaiteur Céleste de l'aider à ne pas tomber dans le désespoir bien inutile.

Combien de temps a-t-il passé ainsi, à réfléchir, seul avec lui-même ?

Varrus n'y pensait pas jusqu'à ce que quelqu'un vienne lui tapoter l'épaule l'arrachant à la douce mélopée du vent.

C'était Subrius qui semblait retenir sa respiration tout en lui disant, contrarié :

Élu des dieux, je crois que le moment est venu de nous comprendre à visage découvert.

Il y avait quelque chose d'étrange dans ces mots dont Varrus chercha la signification en vain.

Son cœur battait très fort dans sa poitrine. La pâle expression de son compagnon habituellement si cynique dénonçait quelque pénible événement, mais il ne se sentait pas suffisamment courageux pour le questionner.

Il y a plusieurs années de cela — a continué le soldat —, ton père m'a fait une faveur que jamais je ne pourrai oublier. Il a sauvé ma vie en Illyrie et je n'ai jamais pu lui revaloir cela. J'ai promis, néanmoins, à mon infâme conscience de payer un jour cette dette et je dois dire qu'aujourd'hui je peux répondre à cet engagement que le temps n'a pas réussi à effacer...

Plongeant ses yeux félins dans le regard torturé du jeune homme, il a continué :

Crois-tu donc que le préteur a sollicité ta coopération parce qu'il te considère suffisamment apte ? Supposerais-tu par hasard qu'Helcius Lucius te céderait une place à deux pas de sa propre cabine parce qu'il te trouve sympathique ? Fils de Jupiter, sois donc plus avisé. Opilius Veturius a conspiré avec eux ta propre mort. Ta situation sociale ne lui donnait pas l'occasion de commettre des actes arbitraires à Rome, où d'ailleurs, il désire conquérir ta femme. Je déplore de te voir si jeune entouré d'aussi puissants ennemis. À cette heure encore, Helcius attend des ordres pour jeter ton cadavre au fond des eaux. Quelqu'un a été désigné pour te voler ta vie. Pour la société romaine, tu dois disparaître cette nuit même et pour toujours...

À de tels propos, Varrus Quint était devenu livide.

Il s'est imaginé face à ses derniers instants en ce monde.

En vain, il a voulu parler mais il avait la gorge nouée par une intense émotion.

Observant l'expression indéfinissable du regard de Subrius, il a supposé que l'exécuteur des ordres venait exiger sa vie.

Et comme l'attente se prolongeait, il a rassemblé les quelques forces qui lui restaient et a demandé :

Que veux-tu de moi ?

Je veux te sauver — lui dit le soldat avec ironie.

Et, après s'être certifié de l'absence d'autres oreilles dans l'ombre, il a ajouté :

Mais je dois t'aider sans oublier de me sauver aussi...

Et tout en chuchotant, il a précisé :