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Une vie parfois, en demande une autre. Cet homme qui t'accompagne, je le connais. C'est un vieux Gaulois, fatigué de vivre. Je sais qu'il prêche dans les catacombes et fait l'aumône aux pauvres... De toute évidence, il t'a ensorcelé avec ses belles paroles afin de décrocher une place en route vers Carthage. Son pèlerinage cependant sera plus long. Intentionnellement, je l'ai laissé embarquer en notre compagnie. C'était la seule solution à mon énigme. Comment défendre ta tête sans compromettre la mienne ? Appius Corvinus...

Le jeune patricien tremblant de terreur restait attentif à sa confidence, mais lorsqu'il eut prononcé le nom de son ami, dans un effort suprême, il a demandé :

Qu'oses-tu insinuer ?

Flave Subrius, néanmoins, était bien trop froid pour exprimer de la compassion. Bien que déçu par la souffrance morale qu'il imposait à son interlocuteur, il a souri et sur un ton mordant il a élucidé :

Appius Corvinus mourra à ta place.

Non ! Non, pas cela ! — s'écria Varrus, sans forces pour essuyer la sueur qui lui coulait du front.

Précipitamment, il a fait semblant d'aller vers la poupe, mais Subrius l'a retenu en murmurant:

Il est trop tard. Quelqu'un l'a déjà poignardé.

Comme s'il avait été blessé à mort, Varrus s'est senti tomber à la renverse.

Dans un terrible effort pour reprendre des forces, il s'est élancé vers la cabine où il était installé, mais d'un bond, l'assesseur l'a retenu en l'avertissant :

Attention ! Helcius peut te voir. Il est possible que l'ancien soit mort, mais si tu prétends lui faire tes adieux, sois prudent... Je retiendrai le commandant et ses amis pendant quelques instants encore, puis j'irai te chercher dans ta cabine avant d'y conduire Lucius.

À ce moment de la conversation, il a abandonné son compagnon à sa propre douleur et s'est éloigné.

Fou d'angoisse, retenant les sanglots qui serraient sa poitrine, le jeune homme s'est traîné jusqu'à la cabine où Corvinus, bâillonné, laissait apparaître de grandes tâches de sang sur la couverture de lin blanc.

Les yeux de l'ancien semblaient plus lucides. Il les a plongés dans ceux de son ami avec la tendresse d'un père qui quitte un fils qui lui est cher avant de partir pour le long voyage de la mort.

Quel est le voyou qui a osé ? — a demandé Varrus Quint en libérant sa bouche bâillonnée.

Soutenant son thorax de sa main droite rugueuse, le vieillard s'est efforcé de parler :

Mon fils, pourquoi te mettre en colère quand nous avons besoin de paix ? Croirais-tu par hasard que quelqu'un pût blesser sans l'autorisation de Dieu ? Calme- toi. Il nous reste peu de temps.

Mais, vous êtes tout ce que j'ai maintenant ! Mon bienfaiteur, mon ami, mon

père!...

s'est exclamé le jeune homme, sanglotant à genoux, comme s'il voulait encore boire les sages paroles de l'ancien.

Je sais, Varrus, ce que tu ressens — lui dit Appius d'une voix faible —, moi aussi j'ai tout de suite reconnu en ton dévouement le fils spirituel que le monde m'a nié... Ne pleure pas. Qui t'a dit que la mort signifie la fin ? J'ai déjà vu un grand nombre de nos compagnons portant la couronne de la flagellation glorieuse. Tous sont partis pour le royaume céleste exaltant le Maître de la Croix et pendant que les années usaient mon corps, je me suis souvent demandé pourquoi j'étais toujours épargné... Je craignais de ne pas mériter du ciel la grâce de mourir en servant, mais maintenant je suis en paix. J'ai le bonheur de pouvoir témoigner et au comble de ma joie, j'ai quelqu'un qui m'écoute au seuil de cette nouvelle vie ...

Le vieil homme a fait un long intervalle pour récupérer ses forces et Varrus Quint qui le caressait versant des larmes abondantes, a ajouté :

Comme il m'est difficile de me résigner à l'injustice ! Vous mourez à ma

place...

Comment peux-tu croire cela, mon fils ? La loi divine est faite d'équilibres éternels. Ne te révolte pas, ne blasphème pas. Dieu décide. Il nous revient d'obéir...

Après une courte pause, il continua :

J'étais un peu plus vieux que toi quand Attale est parti... Mon cœur s'est brisé quand je l'ai vu marcher au sacrifice. Néanmoins, avant d'entrer dans l'amphithéâtre, nous avons parlé dans la prison... Il a promis d'accompagner mes pas après sa mort et il est revenu pour me guider. Dans les heures les plus affligeantes de ma tâche et les jours gris de tristesse et d'indécision, je le vois et j'écoute sa voix tout près de moi. Comment peut-on admettre que la tombe délimite la séparation éternelle ? Nous ne pouvons pas oublier que le Maître lui-même a ressurgi de sa sépulture pour fortifier ses apprentis...

Varrus l'a étreint avec plus de tendresse, et a allégué :

Vous êtes doté d'une foi et de vertus dont je suis loin d'être pourvu. Désormais, je me sentirai seul, très seul..

Où places-tu la confiance en Dieu ? Tu es jeune. Le temps t'apportera l'expérience. Réponds aux instructions du Maître et une nouvelle lumière brillera en ton âme... À Lyon, nombre de nos frères communiquent avec les défunts qui sont tout simplement les êtres vivants de l'éternité. Dans nos prières, ils nous parlent et nous soutiennent chaque jour... Très souvent, en nos martyrs, j'ai vu des compagnons qui nous ont précédé et recevoir ceux qui sont persécutés jusqu'au sang... Pour tout cela, je crois que nous resterons toujours unis... L'église, pour moi, n'est rien d'autre que l'Esprit du Christ en communion avec les hommes...

À cet instant, Corvinus soupira péniblement. Varrus Quint a regardé les yeux calmes de son ami qui a continué avec plus d'insistance :

Je sais que tu te vois relégué à la solitude, sans parents, ni foyer... Mais n'oublie pas l'immense famille humaine. Pendant de nombreux siècles encore, les serviteurs de Jésus seront des âmes désajustées sur terre. Nos enfants et nos frères sont dispersés de toutes parts... Tant qu'il y aura un gémissement de douleur au monde ou le soupçon d'une ombre dans l'esprit du peuple, notre tâche ne sera pas terminée... Pour le moment, nous sommes méprisés et raillés sur le chemin du Berger Céleste qui nous a légué le sacrifice en guise de libération bénie et, demain, peut-être, des légions d'hommes et de femmes épouseront les principes du Maître qui sont si simples dans leurs fondements qu'ils provoquent la fureur et la réaction des ténèbres qui gouvernent encore les nations... Nous mourrons et nous renaîtrons dans la chair de nombreuses fois... jusqu'à ce que nous puissions contempler la victoire de la fraternité et de la vraie paix... Néanmoins, il est indispensable de beaucoup aimer pour nous vaincre nous-mêmes. Ne hais jamais, mon fils ! Bénis constamment les mains qui te blessent. Excuse les erreurs des autres avec sincérité et en oubliant complètement tout le mal. Aime et aide toujours, et même ceux qui te semblent durs et ingrats... Nos affections ne disparaissent pas. Qui exerce la compréhension de l'Évangile allume la sagesse dans son propre cœur pour éclairer le chemin des êtres qui lui sont chers sur terre ou au-delà de la mort... Ta femme et ton fils ne sont pas perdus... Tu les retrouveras à un nouveau stade de l'amour... D'ici là, cependant, lutte pour te vaincre toi-même !... Pour le bien, le monde réclame des serviteurs loyaux... Ne cherche pas les richesses que la déception finit par étioler... Ne t'arrête pas à des illusions et n'exige pas de la terre plus qu'elle ne peut te donner... Un seul et unique bonheur ne finit jamais — le bonheur de l'amour qui honore Dieu au service de ses semblables...

Puis, il s'est reposé pendant quelques instants.

Avec beaucoup de mal, il a sorti de sa tunique usée une vieille bourse qui contenait une poignée de pièces qu'il a donnée au jeune homme en lui demandant :

Varrus, à l'église de Lyon, il y a un vieux prêcheur répondant au nom d'Horace Niger. C'est mon compagnon de travail à qui je te demande de donner de mes nouvelles et lui transmettre mes salutations... Quand ce sera possible, remets-lui les lettres dont je suis le messager et, en mon nom, confie-lui cette somme... Dis-lui que c'est tout ce que j'ai pu rassembler à Rome pour nos enfants recueillis par l'église...