Le jeune homme a reçu le tout avec une respectueuse tendresse.
Peu après, avec difficulté, Corvinus lui a demandé de lire à voix haute un passage chrétien.
Avant de mourir, il voulait garder en tête une pensée des Saintes Écritures.
Varrus Quint a immédiatement répondu à sa demande.
Au hasard, il prit l'une des feuilles écornées d'un parchemin sorti d'un rouleau d'instructions, et à la clarté oscillante de la torche qui brûlait près du lit, il a répété les belles paroles de Simon-Pierre à l'infirme mendiant à la porte du temple appelée la Belle : — « Je n'ai ni or, ni argent, mais ce que j'ai, je te le donne8 ».
(8) Acte des Apôtres, 3:6. (Note de l'auteur spirituel)
Un large sourire sur ses lèvres pâles, Corvinus a regardé son compagnon comme pour dire qu'en cette heure, il offrait à Dieu et aux hommes son propre cœur.
De longues minutes se sont écoulées lourdes et affligeantes.
Le jeune homme pensa que son vénérable ami devait approcher de sa dernière minute, mais comme s'il sortait d'une courte prière bien que profonde, l'ancien lui a encore dit :
Varrus, si possible, je désirerais voir le ciel avant de mourir...
L'interpellé s'est tout de suite exécuté.
Il ouvrit un petit battant qui servait de fenêtre à l'intérieur de la pièce.
Immédiatement, le souffle fort et frais du vent pénétra dans la cabine éteignant la faible bougie alors que les rayons argentés du clair de lune envahissaient l'enceinte.
Avec une indicible douceur, le jeune homme a pris le vieil homme dans ses bras, comme s'il voulait satisfaire un enfant malade et l'a conduit à la magnifique vision de la nuit.
Au doux clair de lune, le visage d'Appius Corvinus ressemblait au portrait vivant d'un ancien prophète qui serait apparu là, d'un seul coup, auréolé de splendeur. Ses yeux calmes et brillants scrutaient le firmament où des multitudes d'étoiles étincelaient, sublimes...
Après une minute de silence, il a dit à voix basse :
Comme elle est jolie notre vraie patrie !...
Et, se retournant avec tendresse vers le jeune homme en larmes, il conclut :
Voici la ville de notre Dieu !...
Mais à cet instant, le corps du patriarche fut agité d'un sursaut de vie. Son regard qui palissait petit à petit retrouva une étrange luminosité comme ranimé par une force miraculeuse.
Et dénonçant une joie démesurée, il s'est écrié :
Le grand chemin s'est ouvert !... C'est Attale qui vient !... Mon Dieu, comme la voiture d'or est sublime !... Des centaines d'étoiles brillent !... Oh !... c'est Attale et Maturus, Sanctus et Alexandre... Alcibiade et Ponticus... Pontimiane et Blandine...
(9)
(9) L'agonisant recevait la visite spirituelle de certains des martyrs chrétiens de Lyon, flagellés en l'an 177. (Note de l'auteur spirituel)
L'ancien voulut se mettre à genoux, oubliant complètement la présence de Varrus et la précarité de sa propre condition physique.
Oh !... Seigneur ! Quelle bonté !... Je ne mérite pas tant !... Je suis indigne !... — continuait-il à dire d'une voix traînante.
Inexplicablement revigoré maintenant, des larmes lui coulaient des yeux ; doucement, Varrus l'a reconduit à son lit, entaché de sang.
À nouveau couché, le vieillard s'est tu. Alors que les rayons du clair de lune illuminaient la chambre, le jeune patricien a remarqué son regard dans les convulsions de la mort couronné d'un indéfinissable éclat, semblant fixer des paysages en fête, pris d'un éblouissement béat.
Tenant ses mains dans les siennes, il sentit que l'agonisant serrait sa main droite comme pour le quitter.
Le courant sanguin s'emblait retenu par la force mentale du mourant qui voulait satisfaire à ses dernières obligations mais quand l'apaisement s'exprima sur son visage noble et ridé, le sang a jailli abondamment de la plaie ouverte trempant le suaire de lin.
Le jeune homme perçut que le cœur fatigué de l'apôtre s'arrêtait doucement comme une machine agissant sans violence. Comme celle d'un oiseau qui s'endort dans la mort, sa respiration a disparu. Son corps s'est raidi.
Varrus a compris que c'était la fin.
Se sentant, alors, flagellé par une douleur sans commune mesure, il a étreint le cadavre en suppliant :
Corvinus, mon ami, mon père !... Ne m'abandonne pas ! Où que tu sois, protège mes pas. Ne me laisse pas tomber dans la tentation. Fortifie mon faible esprit ! Donne-moi la foi, la patience, le courage...
Les sanglots du jeune homme se répétaient étouffés quand la porte fut brusquement ouverte, Subrius est entré avec une torche illuminant le pénible tableau. Voyant le jeune homme étreignant le défunt, il l'a violemment secoué en s'exclamant :
Tu es fou ! Que fais-tu ? Notre temps est précieux. Dans quelques minutes, Helcius sera là. Il faut à tout prix qu'il ne te trouve pas ici. Je l'ai enivré pour te sauver. Il ne devra pas voir le visage du défunt.
Brutalement, il a éloigné Varrus Quint et a enveloppé le corps resté inerte dans un grand drap qu'il a attaché au dessus de la tête raide. Ensuite, il s'est à nouveau adressé au jeune homme d'une voix basse et énergique :
À gauche, tu trouveras une échelle qui t'attend et, sous l'escalier, il y a un canot que j'ai moi-même préparé. Enfuis-toi avec. Le vent t'emportera vers la côte. Mais, écoute bien ! Va vivre sur d'autres terres et change de nom. À partir d'aujourd'hui, pour Rome et pour ta famille, tu as disparu dans les eaux.
Le jeune homme a voulu réagir et affronter dignement la situation, néanmoins, il s'est souvenu que si Corvinus avait pris sa place dans la mort, il devait le remplacer dans la vie, et sentant dans une de ses mains le poids de la bourse que le héros lui avait confiée, humblement il s'est tu, en larmes.
Prends avec toi les bagages du vieux, mais laisse tes papiers — l'a informé Flave Subrius déterminé — Opilius Veturius doit se certifier que tu as bien disparu pour toujours.
Mais à cet instant alors que le jeune prenait dans ses mains l'héritage de l'apôtre, le bâton d'Helcius Lucius a touché brutalement la porte.
Subrius a poussé Varrus derrière une armoire et a répondu à la porte.
Le commandant ivre est entré, il a lancé un éclat de rire glacial en observant le fardeau sanglant, et a dit :
Très bien, Subrius ! Ton efficacité est étonnante. Tout est prêt ?
Parfaitement — a répondu l'assesseur d'un ton servile.
Chancelant, Helcius a appliqué quelques bastonnades au cadavre et fit observer :
Gros malin, notre Opilius. Ce pauvre Varrus aurait pu être éliminé dans n'importe quelle ruelle de Rome. Pourquoi lui faire l'hommage de le tuer en mer ? Enfin, je comprends. Un patricien décent ne doit jamais blesser la sensibilité d'une belle femme.
Il a demandé à l'assistant les papiers du défunt et d'une voix égayée, il a ordonné :