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Et d'une voix plus basse, il l'a supplié d'oublier pour toujours la personnalité de Varrus Quint. Il le présenterait à tout le monde comme étant le frère Corvinus, successeur du vénérable confrère rappelé au Royaume de Dieu, et lui garantit que tant de nuages de douleur pesaient sur l'âme chrétienne formant de tristes drames qui se déroulaient dans l'ombre, que personne ne se sentait suffisamment de curiosité pour poser des questions.

Cet accueil affectueux réchauffa le cœur du voyageur fatigué, quand deux bambins, de trois et cinq ans respectivement, ont pénétré dans l'enceinte de la pièce.

Le plus grand d'entre eux s'est adressé à l'ancien avec des yeux interrogateurs et a demandé :

Père Horace, c'est vrai que grand-père Corvinus est déjà venu ?

Le patriarche a caressé ses cheveux bouclés et lui a dit :

Non, mon fils. Notre vieil ami est parti en voyage au ciel mais il nous a envoyé un frère qui prendra sa place.

Il s'est levé, a étreint les petits et les asseyant sur les genoux du nouveau-venu, plein de bonté, il leur a dit :

Allons, les enfants ! Embrassez le compagnon béni qui arrive de loin.

Ils ont tous enlacé le messager avec cette douceur ingénue qui n'appartient qu'à l'enfance.

Le jeune patricien les a serrés contre son cœur et les a longuement caressés ; mais seul le vieux Niger put voir les larmes qui lui coulaient des yeux.

Varrus Quint appartenait au passé.

Les années iraient passant et le ministère du nouveau Corvinus allait commencer.

AVENTURE DE FEMME

L'année 233 passait rapidement, au rythme du drame de nos personnages.

À Rome, entourée de privilèges et d'esclaves, la famille de Veturius jouissait de tous les bienfaits de la richesse.

Opilius, d'un âge mûr et fort, semblait assez heureux de lui-même, de sa notoriété et du bien-être de sa femme et de ses enfants, mais Cintia qui l'avait épousé depuis le décès imaginaire de Varrus en mer, semblait vraiment différente. Plus réservée, elle s'était éloignée des activités festives. Volontairement, elle évitait de s'absenter de chez elle si ce n'est pour satisfaire à ses vœux religieux, louant les dieux protecteurs à qui elle offrait sa dévotion. Elle s'était prise d'affection pour Hélène et Galba, les enfants d'Héliodore, avec la même tendresse qu'elle consacrait à Tatien, et recevait de tous trois en retour des témoignages de respect et d'amour.

Un tel comportement venant de sa chère compagne cristallisait en Veturius de la vénération et de l'amour. Il épiait ses moindres désirs pour les exécuter comme un fidèle serviteur. Il ne s'éloignait pas de la ville sans sa compagnie ; il n'assumait aucune décision d'ordre pratique sans lui demander l'approbation à ses engagements, et bien qu'étant un romain de son temps avec tous les délits occultes et vulgaires que comporte une société en décadence, il était pour Cintia un ami loyal, qui cherchait à la comprendre et à l'aider dans ses plus intimes pensées.

Pour les jeunes, la situation était différente.

Hélène, avec toute la beauté grecque de ses dix-sept ans, se distinguait dans les plaisirs de la vie sociale, se livrant opiniâtrement aux jeux et aux distractions, sans attachement aucun pour les vertus domestiques. Alors que Tatien se consacrait aux études, fasciné par les traditions patriciennes, presque constamment plongé dans la philosophie et dans l'histoire, Galba, qui détestait son influence spirituelle, ne cachait pas son intimité avec des tribuns mal- éduqués et proxénètes inconscients. Il ne supportait pas la supériorité intellectuelle de son frère. Turbulent, querelleur, il s'altérait pour des riens perdant ainsi des nuits de sommeil en compagnie de créatures moins dignes, malgré les efforts de son père pour l'amener à la respectabilité.

Tatien, à l'inverse, profitait grandement des occasions que la vie lui offrait.

Encore garçon, puis jeune homme, il avait fait l'expérience de quelques voyages des plus édifiants. Il connaissait de vastes régions de l'Italie et de l'Afrique, ainsi que différents endroits en Achaïe. Il parlait grec avec la même facilité avec laquelle il s'exprimait dans sa langue d'origine et avait pour les livres la soif de lumière qu'ont les hommes inclinés à la sagesse.

Il s'intéressait de façon particulière aux sujets traitant de la foi religieuse avec une ardente et une profonde ferveur.

Il n'admettait aucune restriction aux dieux de l'Olympe. Pour lui, les divinités domestiques étaient les seules intelligences capables de garantir le bonheur humain. Extrêmement attaché au culte de Cybèle, la Magna Mater, il visitait constamment le temple de la déesse au Palatin, là il se reposait et méditait pendant des heures et des heures, cherchant l'inspiration. Il croyait que Jupiter Maximum était l'orienteur invisible de toutes les victoires impériales, et bien qu'encore jeune, il avait ses propres idées sur la question, affirmant toujours que les Romains devaient lui offrir des sacrifices par obligation, ou mourir.

En conséquence, il ne pouvait être en accord avec les principes du christianisme et cela malgré les dons d'esprit qui marquaient sa personnalité.

Lors de ses échanges avec Veturius ou avec des collègues de son âge, il disait que l'Évangile était confus et ressemblait à un assemblage d'enseignements incompréhensibles destiné à obscurcir le monde s'il arrivait à vaincre dans le domaine de la philosophie et de la religion.

Il se demandait pourquoi tant d'hommes et de femmes marchaient ainsi au martyre, comme si la vie n'était pas un don des dieux, digne de répandre le bonheur parmi les mortels, et opposait Apollon, l'inspirateur de la fécondité et de la beauté, à Jésus Christ, le crucifié, admettant que le mouvement chrétien n'était qu'une simple folie collective que le pouvoir gouvernemental devait réprimer.

Il se demandait comment un patricien pourrait aimer une esclave comme lui-même ? Serait-il juste de pardonner les ennemis en oubliant complètement les offenses ? Serait-il conseillé de donner sans attendre en retour ? Comment concilier la fraternité générale en défendant les élites ? Un magistrat romain pourrait-il rivaliser avec un Africain analphabète et le considérer comme un frère ? Comment supplier la faveur céleste pour ses adversaires ? Comment accepter un programme de bonté envers tous, quand les maux se multiplient de toutes parts, exigeant les répressions de la justice ? La propre nature n'est-elle pas un véritable champ de bataille éternelle où les moutons sont des moutons et les loups ne sont rien que des loups ? Comment attendre des victoires sociales et politiques sous l'orientation d'un sauveur qui est mort sur la croix ? Le destin de la patrie était présidé par des génies protecteurs qui lui conféraient le pourpre du pouvoir. Pourquoi les mépriser en échange de fous qui mouraient misérablement dans les prisons et dans les cirques ?

Très souvent, alors que Cintia admirait la brillante conversation de son fils, Veturius réfléchissait à la différence qui séparait les deux garçons, éduqués selon les mêmes principes et si distants moralement l'un de l'autre ; il déplorait la condition d'infériorité où se trouvait Galba, le fils de tous ses espoirs.

Par une chaude journée, au crépuscule, nous allons retrouver nos personnages sur une large terrasse, échangeant cordialement des propos.

Cintia, silencieuse, tissait un délicat ouvrage en laine, non loin d'Hélène qui était accompagnée d'Anaclette, la gouvernante qu'Opilius lui avait choisie en raison des liens de parenté qu'elle avait avec sa première femme.

Un peu plus âgée que la fille d'Héliodore, Anaclette était née à Chypre, et très tôt, conformément à la volonté de sa mère qui avait fait cette demande avant de mourir, elle avait été envoyée à Rome, aux bons soins de Veturius. Orpheline, l'enfant avait grandi sous la protection de Cintia et tenait compagnie à Héliodore qui lui vouait une profonde affection.