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Six garçons ont récité des poésies d'une grande délicatesse à travers des monologues et des dialogues qui ont enchanté l'assemblée composée de plusieurs dizaines d'esclaves en costumes de fête.

À un moment, Tatien a pris la parole. Il s'est rapporté aux idéaux de la patrie et de la race, à la grandeur de l'humanité.

Peu après, une copieuse collation a répandu une grande joie parmi les convives.

Le dévoué jardinier qui était à l'origine de tant d'attentions manifestées présenta au jeune patricien le plus petit enfant du groupe. C'était Silvain, un garçon de cinq ans seulement, fils d'un légionnaire qui était mort en poste. Sa malheureuse veuve souffrante de la peste, lui avait confié son garçon quelques semaines auparavant.

Avec une sincère tendresse, Tatien l'a étreint en lui adressant quelques mots d'affection.

Le frère Corvinus a déclaré qu'il devait à présent ramener les enfants, il a donc désigné Silvain pour dire une prière souhaitant à leur hôte des vœux de bonheur.

Le petit, docile, échangeant un regard joyeux avec son éducateur, s'est tenu sur la place au milieu des convives.

C'était un moment d'extrême expectative pour tous. Tout le monde s'est regardé, angoissé...

Le pupille de Veturius accompagnait la scène, souriant, certain qu'il serait rappelé dans une prière faite aux divinités.

Comme un petit soldat triomphant, la tête tournée vers le ciel, le petit se mit à parler, pris d'émotion :

Jésus, notre Divin Maître !... Aide-nous ...

À cet instant, une soudaine pâleur a couvert le visage du jeune patricien. Sa physionomie, auparavant calme et éduquée, est devenue méconnaissable. Une féroce expression a éclipsé sa joie. Soudainement transformé en une furie humaine, il a hurlé de colère, s'écriant menaçant :

À bas les nazaréens ! À bas les nazaréens !... Maudit Corvinus !... Maudit Corvinus !... Quelle catastrophe ! Qui a osé introduire des chrétiens chez moi ? Je ferai justice, justice ! J'en finirai avec cette peste !...

Une pénible surprise a dominé l'enceinte.

Le bienfaiteur paternel s'est approché de lui et l'a imploré :

Pitié! Pitié!...

Mais, Tatien n'a pas vu les larmes qui jaillissaient de ses yeux.

Reculant, désespéré, il lui a répondu d'une voix sèche :

Pitié ? Voyez le refrain des immondes galiléens !...

Et agitant un bâton au bout métallique, il rugissait, tonitruant :

Sortez d'ici ! Sortez d'ici, génies infernaux!... Vipères des bas-fonds, enfants des ténèbres, sortez d'ici !...

L'indignation et la perversité qui perçaient sur son visage était telles que le jeune homme semblait possédé par les démons du crime.

Les petits tremblaient immobiles.

Entre eux et son fils déchaîné, le cœur de Varrus ne savait plus que faire.

Plusieurs serviteurs du groupe d'Alésius se sont mis à rire bruyamment.

Tatien a fustigé l'assemblée du regard et s'est écrié au chef qu'il savait être le plus terrible ennemi des chrétiens :

Épipode, amène le chien sauvage ! Expulse ces canailles ! Annihile les imposteurs!...

L'esclave n'a pas hésité. Il s'est immédiatement exécuté, et peu après, il approchait avec un chien énorme qui aboyait et grognait furieusement.

Les enfants se sont dispersés en criant et plusieurs se blessèrent aux épines des rosiers en fleur.

Le frère Corvinus, ahuri, cherchait à les calmer, néanmoins, l'animal a attrapé le cadet mordant son corps tendre.

Aux gémissements de Silvain, la femme d'Alésius s'est avancée, courageuse, a ravi l'enfant, retenant énergiquement les mouvements du furieux molosse qui obéit alors aboyant bruyamment.

Varrus s'est dépêché d'attraper le petit blessé qui pleurait ensanglanté. Désespéré, il essayait de le soulager alors que Tatien, halluciné, rentrait chez lui en répétant :

Ils paieront tous !... tous paieront !...

Rufus, un vieil esclave dans la cinquantaine, s'est approché du prêtre pour lui offrir son aide.

Le religieux a accepté sa coopération, le suppliant de reconduire les garçons au foyer pour qu'il puisse s'occuper de Silvain comme il se devait.

Il s'est apprêté à repartir blottissant la victime innocente contre sa poitrine.

Il marchait, lentement, sur le chemin désert qui reliait la résidence de Veturius à la ville, plongé dans de sombres pressentiments.

Le petit garçon dont le thorax était ouvert lui torturait l'âme. À un moment donné, alors que l'hémorragie continuait abondante, il s'est arrêté de crier.

Immédiatement, le frère Corvinus s'est aperçu qu'il perdait ses forces et l'a assis sous un vieux chêne pour l'écouter.

Le garçon a plongé son regard agonisant dans celui du prêtre.

Varrus, en pleurs, s'est incliné paternellement et a demandé avec affection :

Tu te souviens de Jésus, mon fils ?

Oui, Monsieur.... — a-t-il répondu d'une voix faible.

Mais, se révélant bien loin des questions transcendantes à la foi — cette fleur humaine avide de tendresse —, s'exclama à son bienfaiteur :

Papa, prends-moi dans tes bras... J'ai froid... Varrus Quint a compris.

Et comme s'il désirait le réchauffer avec la chaleur de son âme, il l'a étreint contre son

cœur.

Il était trop tard. Silvain était mort.

Ce pénible événement présageait de sombres horizons pour l'avenir de l'église.

Abattu et désenchanté, le prêtre se demandait si cette visite n'avait pas été le fruit de la précipitation. Mais — se disait-il —, serait-ce de la légèreté que d'offrir à quelqu'un ce que l'on possède de meilleur en soi en toute pureté de sentiment ? Ces petits apprentis de l'Évangile étaient pour lui toute la grandeur de son travail. Serait-il accusé par les circonstances de tout faire pour éveiller un fils à la vérité ? Comment arriver à se comprendre avec Tatien, sans toucher ses fibres les plus intimes ? Une fois remis sur pied, le jeune homme serait à nouveau invité à la vie sociale intense. Il découvrirait ses activités. Il serait bien obligé d'adopter une attitude. N'était-il donc pas préférable de l'informer, indirectement, de ses activités chrétiennes ? Était-il une meilleure manière de le faire qu'en lui présentant ses principes à travers une démonstration pratique de son travail ? Si son fils ne supportait d'entendre des références faites à la Bonne Nouvelle à travers les lèvres d'un enfant lors d'une prière, comment pourrait-il supporter des allusions faites à Jésus lors de discussions stériles ? Lui, Varrus, ne pouvait pas hésiter entre ses sentiments personnels et l'Évangile. Son devoir envers l'humanité dépassait ses liens consanguins. Et bien que connaissant une telle vérité, il pensait être licite d'agir malgré tout en faveur de son cher enfant.

Tatien, néanmoins, était resté imperméable et implacable.

Il semblait très loin de toute ouverture à la justice elle-même.

Son esprit était pétrifié dans un orgueil ethnique et une fausse culture. Par l'explosion de la colère manifestée à l'audition de la simple énonciation du nom du Christ, il avait dénoncé l'antagonisme irrémédiable peut-être qui les séparait...

Profondément consterné, il s'est réfugié dans la prière.

Dans la communauté évangélique, personne n'a commenté défavorablement les tristes épisodes qui eurent pour résultat le décès de l'enfant. Le frère Corvinus était bien trop respecté pour provoquer toute critique discourtoise à sa conduite.

En ville, cependant, le sujet brûlant allait grandissant.

Les courants d'opinion nés des événements à la résidence de Veturius s'éparpillaient, maintenant, un peu partout. Pour la majorité des spectateurs, Tatien était présenté comme un héros empoignant le glaive vengeur des divinités de l'Olympe, mais pour le groupe sympathisant du christianisme, il apparaissait comme le terrible symbole de nouvelles persécutions.

Les chrétiens étaient communément accusés d'enchantements honteux et détestables et de pratiques de sorcellerie dont l'infanticide faisait partie. En conséquence, ils n'étaient pas rares ceux qui voyaient en la mort de Silvain certaines relations avec la sorcellerie et la pratique de la magie.