De terribles tableaux étaient dépeints par l'imagination populaire exaltée et la veuve Mercia, mère du garçon décédé, a été convoquée pour accusation.
Dans cette atmosphère asphyxiante, le fils de Cintia a reçu la visite de personnalités romaines qui le félicitèrent de son esprit réactionnaire et vigilant. Revigoré par de telles ovations, le jeune homme s'est senti habilité à des agissements d'une plus grande envergure.
Même le questeur Quirinus Eustasius, un vieux patricien retraité de la classe politique dirigeante, mais toujours influent auprès de la propréture en Gaule lugdunienne, est venu lui faire ses compliments dans un style pompeux.
Parmi les thèmes abordés, le sujet favori du jour ne pouvait manquer.
Je crois que la jeunesse romaine ne pouvait nous envoyer en province un plus digne ambassadeur — ajouta le courtisan avec ce timbre de voix calculé des personnes livrées à la flatterie. — La doctrine déplorable et proscrite des juifs s'insinue effroyablement, menaçant nos traditions. Cette ville est pleine d'anachorètes venus d'Asie, de prophètes vagabonds, de prédicateurs et de fantômes. Je suis domicilié ici depuis la belle époque de notre magnanime empereur Septime Sévère — que les dieux le gardent dans leur gloire divine — et je peux affirmer en toute conviction que ce mouvement n'est rien qu'une folie collective capable de nous mener à la perte.
Oui, sans aucun doute — fit observer le jeune homme satisfait —, il nous revient de faire revivre le culte de la patrie. À notre avis, un grand mouvement d'énergie est indispensable afin d'anéantir ce groupe maléfique. Je ne vois pas sur quoi peut reposer la grandeur d'une doctrine dont les prosélytes sont honorés avec un couteau à la gorge. À Rome, j'ai eu vent de nombreux procès allusifs aux répressions et j'ai été surpris par la teneur des réponses de ces misérables. Ils répudient les dieux avec une impudence terrifiante. Je crois que les autorités devraient promouvoir une épuration sociale en grand style.
L'interlocuteur, avec un rire ironique de vieux faune, admirablement présenté, a souligné malicieusement :
Raison pour laquelle, nous nous réjouissons de votre présence. Si la jeunesse patricienne n'affiche pas une réaction à la hauteur de nos besoins, nous irons à la décadence. Votre courage manifesté en expulsant cet obstiné Corvinus est un soulagement pour nous. J'ai reçu la nouvelle avec un juste plaisir. Je suis convaincu que notre foi se sent maintenant moins offensée. Nous ne voyons pas d'un bon œil cet étrange personnage dont la provenance est ignorée de tous. Pour moi, ce n'est qu'un aventurier ou qu'un fou qui nous gêne en chemin.
Piqué de curiosité, le beau-fils de Veturius a demandé avec intérêt :
Alors, on ne sait pas qui il est ? Par quels mystères garde-t-il pour lui une si grande culture à stagner aux services du jardinage ?
L'interlocuteur a cligné d'un œil astucieux et a ajouté :
Qui sait ? Il s'est insinué dans l'esprit populaire avec une incroyable désinvolture. Certains le prennent pour un saint, néanmoins, j'ai tendance à croire qu'il ne s'agit que d'un sorcier entouré d'êtres infernaux. Il avait l'apparence d'un vagabond quand il est apparu ici. Peu à peu, il a acquis la renommée de guérir par des prières nazaréennes en pratiquant l'imposition des mains. La première maison importante qui est tombée dans ses griffes fut celle d'Artémius Cimbrus dont la fillette souffrait, selon la rumeur, de grandes perturbations mentales. Ils ont essayé le traitement de Corvinus et il semblerait que la petite ait été favorablement impressionnée, guérissant alors, comme par miracle. Dès lors, il est devenu le jardinier de la noble famille qui l'a introduit dans d'autres résidences. De sa vie professionnelle, c'est tout ce que je sais. De ses activités de sorcier, néanmoins, il y aurait beaucoup à dire. Le peuple se rapporte à mille choses. S'il n'y avait que les plébéiens pour se montrer émerveillés... Cependant, nous avons quelques illustres patriciens prisonniers dans ses filets. Certains disent que sa parole est revêtue de miraculeux pouvoirs, d'autres affirment qu'il soigne les maladies les plus compliquées...
Il est étrange de voir une ville comme celle-ci prise d'une telle folie ! — a commenté Tatien avec intérêt.
Voilà pourquoi, nous avons besoin d'éléments rénovateurs. Votre décision, en rejetant Corvinus, est des plus réconfortantes. Il est incompétent pour éduquer les enfants, même les plus méprisables. Je sais qu'Artémius défend sa cause, mais je suis convaincu que nous pourrons interrompre, désormais, ses mystifications. Hier soir, Zénobius, un vieil ami qui fut un haut dignitaire de la munificence impériale lui-même informé de sources sures, m'a communiqué que le garçon mort a été poussé à la gueule du chien par Corvinus afin que la meute chrétienne obtienne du sang innocent pour les mystères noirs des réunions qu'ils pratiquent. Chacun sait qu'il a été l'unique témoin de l'acte final...
Et baissant le ton de sa voix, il a demandé :
L'estimable ami aurait-il observé cela ? Il serait très important d'enregistrer ce fait de votre propre bouche...
Tatien, le visage enflammé sous le choc des émotions contradictoires, à tout de suite répondu :
Je ne peux rien avancer en ce sens. Quand j'ai entendu le nom du crucifié, la révolte m'a montée à la tête. Je n'ai eu d'yeux que pour défendre notre propriété de l'influence pestilentielle. J'ai ordonné de lâcher le chien de garde, en proie à un extrême désespoir. Je ne peux en conséquence assurer ce que je n'ai pas moi-même vérifié.
Quirinus contrarié s'est mordu les lèvres et a ajouté :
Soyez sûr, cependant, que les choses n'ont pu se passer autrement. Réagissons conjointement. Nos esclaves ne peuvent continuer à la merci de sorciers inconscients, il ne serait pas licite non plus de permettre que des personnes de notre condition sociale se laissent tromper sans défense...
En cela, nous sommes tout à fait d'accord — a fait remarqué le jeune homme, résolu — ; pour ma part, je prétends sanctionner et sélectionner le groupe de serviteurs.
Et comment allez-vous procéder pour y arriver ? J'aimerais agir chez moi en conformité.
J'attends l'arrivée de mes parents, dans quelques jours, qui amèneront avec eux Hélène, ma future femme. Comme nous résiderons ici après notre mariage, je suis venu avant eux afin d'adapter la vie de la propriété aux habitudes de ma famille et de sorte à me familiariser avec les coutumes de la province. Toutefois, je ne souhaite pas que ma famille découvre des aberrations comme je l'ai fait. Je prétends réunir tous les employés et les faire prêter serment aux dieux que nous vénérons. Je renverrai ceux qui fuient ce juste engagement. Ensuite, je pense instituer à la maison le culte de Cybèle en commençant par une cérémonie processionnelle dans notre bosquet. Il est indispensable de purifier les coutumes en vigueur et l'atmosphère qui nous entoure.
Quirinus fut d'accord, enthousiaste, il promit d'adhérer au programme. Non seulement, il décidait d'en faire de même à son domicile, mais il prétendait inviter ses amis à le suivre.
Il estimait Opilius Veturius, de longue date, et il était heureux de voir son organisation domestique active et bien gardée.
Effectivement, quelques jours plus tard, une fois que les tourments de la peste eurent disparu du quotidien,
Tatien organisa la grande assemblée pour que chacun témoigne de sa fidélité aux
dieux.
Dans une vaste dépendance de l'exploitation agricole, une magnifique statue de Cybèle fut installée pour la réception des vœux de tout le monde, tandis qu'à la droite de l'image, sur une haute palissade couverte de soie écarlate et de fils dorés, se sont installés Tatien, deux prêtres voués au culte de la déesse et le couple d'intendants, Alésius et Pontimiane.