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Dans une longue galerie, considérablement élevée, près des portes d'accès à la grande enceinte, la noblesse citadine invitée par Eustasius, jubilait de voir ces cérémonies.

Dans le bas, étaient assemblés tous les serviteurs de la famille, parmi eux quelques artistes répétaient des cantiques consacrés à la divinité.

Sur un petit autel, gracieusement fleuri, l'image que Veturius avait importée de Pessinunte était un témoin impassible.

Cybèle, aillée aux côtés de deux lions, était sculptée dans le marbre immaculé, elle représentait réellement le symbole d'une civilisation vacillante, face au regard interrogateur et triste de dizaines d'esclaves sous la fière exhibition de leur maître.

Le premier à s'approcher, voulant tout naturellement donner l'exemple, fut Tatien, qui révérencieux face à l'idole, a déclaré à voix haute :

— En invoquant la Divine Cybèle, Mère des dieux et notre mère, je jure sans restriction aucune toute ma fidélité aux croyances et aux traditions de nos ancêtres, dans la parfaite obéissance de nos éternels empereurs.

De frénétiques applaudissements ont suivi ces paroles.

Un hymne sacré rythmé et mélodieux accompagné de flûtes phrygiennes s'est fait entendre.

Ensuite, Alésius est descendu du trône improvisé et laissant comprendre que la scène avait été préalablement étudiée, il a prononcé respectueusement les mêmes vœux.

Peu après, ce fut le tour de Pontimiane.

La noble femme paraissait malade et fatiguée. On pouvait deviner sa lutte intérieure.

Pâle, elle a envoyé à son mari un regard suppliant, mais à l'expression rude avec laquelle Alésius l'a dévisagée, il était possible d'imaginer les durs conflits par lesquels ils étaient passés avant la cérémonie...

Réprimée par le regard glacial de son compagnon, la gouvernante de la maison a séché ses larmes et a posément répété les mêmes paroles, niant ainsi la foi chrétienne qu'on lui attribuait.

Un sourire triomphant a plané sur le visage d'Alésius, alors que se dispersait un murmure dans l'énorme agroupement de serviteurs.

De sombres expressions d'étonnement sont apparues sur plusieurs visages.

Tous les esclaves, un à un, certains emphatiques, d'autres humiliés, ont réaffirmé les phrases prononcées Initialement par le maître.

Le dernier fut Rufus.

Épipode, le chef, qui connaissait la fermeté de ses convictions l'avait laissé pour la fin, craignant des réactions pouvant provoquer l'indiscipline.

Le visage austère, démontrant accepter pleinement les responsabilités de cette heure, il a levé son profil bronzé comme s'il évoquait le ciel et non la statue impassible, s'exclamant d'une voix cristalline et dominante :

Je jure respecter les empereurs qui nous gouvernent, mais je suis chrétien et je renie les dieux en pierre incapables de corriger la cruauté et l'orgueil qui nous oppriment en ce monde.

Un bruit sourd a couvert l'assemblée.

À voix basse, Tatien s'est adressé au prêtre le plus âgé et celui-là, assumant la fonction de juge, s'est écrié à l'employé sur un ton autoritaire :

Rufus, tu ne peux oublier ta condition.

Oui, je sais — a répondu l'interpellé vaillamment — , je suis un esclave et j'ai toujours servi mes maîtres avec loyauté, mais l'esprit est libre et je ne reconnais que Jésus- Christ comme Véritable Maître'...

J'exige que tu te rétractes devant la statue de Cybèle, la sublime Mère des Dieux.

Je n'ai rien fait qui ne soit approuvé par la rectitude de ma conscience.

Abjure et tu seras pardonné.

Je ne peux pas.

Tu connais les conséquences à ton irréflexion ?

Je crois parler en parfaite connaissance de mes responsabilités, néanmoins, quels que soient les résultats à mon geste, je ne dois pas reculer devant ma foi.

Rufus a lancé un regard sur la foule alentour et a remarqué que des dizaines de compagnons l'incitaient à la résistance. Pontimiane, quelque peu soulagée, lui envoyait en silence un message muet d'encouragement.

Abjure ! Abjure ! — tonnait la voix du prêtre avec rudesse.

Je ne peux pas ! — a répété Rufus, imperturbable.

Après de courts échanges avec le jeune patricien, le juge improvisé a assigné Épipode au fouet.

Rufus, par ordre du bourreau, a retiré sa tunique de gala qu'il avait enfilée pour la fête et s'est agenouillé les mains en arrière.

À trois reprises, la corde fine et coupante a déchiré sa peau nue provoquant des entailles ensanglantées, mais l'esclave n'a pas bronché.

Il est encore temps, malheureux ! — a crié embarrassé le prêtre de Magna Mater — abjure et ton erreur sera oubliée...

Je suis chrétien — a réitéré Rufus, serein.

La punition pourra te conduire à la mort !

La souffrance ne m'intimide pas... — a soupiré la victime avec humilité. — Jésus a connu le martyre sur la croix pour nous sauver. Mourir par fidélité pour lui est un honneur auquel je dois aspirer.

Le fouet sur son dos a frappé avec violence ouvrant des blessures sanglantes, mais percevant le malaise que la scène de sauvagerie imposait à l'assemblée, Tatien a ordonné l'emprisonnement de l'esclave jusqu'à ce qu'il décide de sa punition définitive.

Une fois le service terminé, la solennité processionnelle a commencé.

Le fils de Cintia désirait une purification complète de la propriété.

Une foule considérable se serrait dans les patios de la maison attendant le cortège.

La statue de Cybèle avait été placée sur un très riche plateau d'argent, décoré de lis.

De jeunes couples, rigoureusement vêtus de blanc symbolisant la chasteté et la beauté, ouvraient le cortège en dansant à un rythme gracieux au son des flûtes et des petits tambours réservés au culte.

Ensuite, toutes les femmes présentes, tenant des palmes aromatiques à la main, annonçaient l'idole qui était posée sur les épaules de Tatien et de plusieurs autres jeunes gens voués à la déesse. Ils étaient suivis par les prêtres en prière conformément au rite phrygien et par les encenseurs.

Après eux, une jeune fille d'une rare beauté portait le couteau sacré.

L'ensemble des musiciens amateurs l'accompagnait utilisant des trompes, des flûtes, des cymbales, des tambours et des castagnettes pour les cantiques vénérés dont les morceaux harmonieux se perdaient dans la nature.

Les dignitaires et les personnalités avançaient en file silencieux et déférents, puis en fin de cortège venait la masse des esclaves muets et tristes.

Les hymnes de louange à la mère des dieux embaumaient le bosquet de douces mélodies interrompant le gazouillement des oiseaux effrayés...

La procession, a fait le tour de l'exploitation agricole en passant par le bois bien entretenu et les vignes étendues, revenant à la demeure où Cybèle a été restituée au temple minuscule qu'Opilius Veturius avait érigé en plein jardin à une autre époque.

Tatien prit la parole après les prières des prêtres, il a remercié la présence des religieux, des autorités et du peuple, rappelant sa confiance en la protection des divinités de l'Olympe.

L'assemblée animée s'est dispersée. La nuit tombait...

Seul maintenant sur la grande terrasse d'où il pouvait voir l'horizon lavé et limpide, le jeune homme, instinctivement, s'est souvenu du frère Corvinus, du décès de Silvain et de la réaction de Rufus et, sans s'en apercevoir, il s'est mis à combattre l'influence du Christ, non plus autour de ses idées elles-mêmes mais au plus profond de son cœur.

SUR LE CHEMIN REDEMPTEUR

Après le décès de Silvain, l'église de Lyon est passée par une période difficile.

Gratifiée par Eustasius qui haïssait l'Évangile, la veuve Mercia, la mère de l'enfant est venue en public accuser le frère Corvinus déclarant qu'il était un sorcier et un infanticide. Devant les autorités, elle a soutenu que le garçon avait été victime de sortilèges maudits. Elle poussa même la cruauté jusqu'à ajouter que Silvain, orphelin, avait été envoûté par les leurres du prédicateur.