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L'émissaire spirituel a fait une courte pause comme pour mettre de l'ordre dans ses propres pensées et a continué :

Tout comme nous, Tatien est le fils du Créateur. Ne lui demande pas ce qu'il ne peut te donner. Personne ne peut se faire aimer sous le coup de la contrainte. Donne tout ! Ceux que nous désirons aider ou sauver n'arrivent pas toujours à comprendre, immédiatement, le sens de nos paroles, mais ils peuvent être inclinés ou amenés à la rénovation par nos actes et notre exemple. Très souvent sur terre, nous sommes oubliés et humiliés par ceux à qui nous nous dévouons, mais si nous savons persévérer dans l'abnégation, nous allumons dans leur esprit le feu béni qui illuminera leur route outre tombe !... Tout passe en ce inonde... Les cris de la jeunesse moins constructive se transforment en musique de méditation dans la vieillesse ! Soutiens ton fils qui est aussi notre frère dans l'éternité, mais ne te propose pas de l'asservir à ta façon d'être ! Monstrueux serait l'arbre qui se mettrait à dévorer son propre fruit ; condamnable serait la source qui avalerait ses propres eaux ! Ceux qui aiment, soutiennent la vie et y transitent comme des héros, mais ceux qui désirent être aimés ne sont très souvent que des tyrans cruels... Lève-toi ! Tu n'as pas encore bu tout le calice. De plus, l'église, la maison de Jésus et notre maison, t'attend... Les êtres qui frappent à sa porte, consternés, sans illusions, sont aussi des nôtres... Ces vieux abandonnés qui viennent nous voir, eux aussi ont eu des parents qui les adoraient et des enfants qui leur lacéraient le cœur... Ces malades qui font appel à notre capacité d'assister ont connu de près l'enfance et la grâce, la beauté et la jeunesse !... Nos douleurs, mon ami, ne sont pas les seules. Et la souffrance est la forge purificatrice où nous perdons le poids des passions inférieures pour que nous nous élevions à la vie supérieure... Presque toujours c'est dans la chambre obscure de l'adversité que nous percevons les rayons de l'inspiration divine parce que la satiété terrestre à l'habitude de nous anesthésier l'esprit...

Le messager fit une courte pause, il l'a regardé avec plus de tendresse, puis il lui a dit :

Varrus, va voir ton fils avec la lampe de l'amour allumée dans ton cœur par les enfants d'autrui et le Seigneur te bénira transformant ton amertume en paix...

Lève-toi et attends debout la lutte grâce à laquelle tu rééduqueras ceux que tu aimes le plus au monde...

Dans un mélange de douleur et de joie, d'émotion et d'angoisses, le prêtre a réfléchi à l'épuisement qui le torturait, mais l'envoyé spirituel qui notait ses plus intimes pensées, lui a conseillé :

Ne te rends pas au souffle froid du malheur, ne crois pas au pouvoir de la fatigue... Qu'en serait-il de nous si Jésus, las de nos erreurs, se livrait à l'abattement inutile ? Et même si ton corps souffre des transformations de la mort, reste ferme dans ta foi et sois optimiste... La tombe est la pénétration à la lumière d'un nouveau jour pour ceux qui traversent la nuit portant la vision de l'espoir et du travail en eux.

Le religieux s'est alors dit que quelques informations concernant l'avenir l'aideraient beaucoup... Il pourrait, peut-être, espérer se rapprocher de Tatien ? Réussirait-il à reconstituer l'école qu'il avait perdue ?

Il a suffi que de telles questions lui passent par la tête pour que l'entité lui dise avec

bonté :

— Mon fils n'espère rien pour le moment si ce n'est résignation et sacrifice... Jésus jusqu'à présent n'a pas été compris, même par ceux qui se disent ses disciples. Il aide, pardonne et espère !... Les victoires suprêmes de l'esprit brillent au-delà de la chair.

Puis, l'apôtre désincarné s'est incliné et l'a étreint dans ses bras affectueux.

Varrus Quint a deviné qu'il lui faisait ses adieux.

Oh ! Il aurait tout donné pour ouvrir son âme et lui parler des événements passés pendant toutes ces années de nostalgie et de séparation, mais ses cordes vocales étaient paralysées.

Corvinus a caressé ses cheveux avec l'attitude d'un père qui quitte un fils avant de s'endormir, et se dirigeant vers la sortie, il lui a adressé un émouvant au revoir.

Dehors, la nuit émaillée d'étoiles était enveloppée d'une brise parfumée et fraîche.

Dans son lit, le malade apaisé ressentait cette sensation de paix que seuls ceux qui arrivent à vaincre en eux-mêmes les grands combats du cœur peuvent comprendre.

Quelques instants plus tard, comme s'il avait avalé un léger somnifère, il dormait tranquillement.

Le lendemain, il s'est éveillé remarquant un singulier entrain.

À l'étonnement général, il est allé à l'office religieux du matin participer au culte de la joie et de la reconnaissance. Les prières habituelles venaient à peine de se terminer qu'il nota, non loin du parvis, une agitation inhabituelle. Des cris assourdissants se faisaient entendre. Devant l'expression interrogative de son visage, quelqu'un a expliqué que quelques danseurs masqués annonçaient sur la voie publique le spectacle de gala qui allait être réalisé à l'amphithéâtre en hommage à l'union matrimoniale du jeune Tatien avec la jeune Hélène Veturius.

La maison d'Opilius prévoyait de célébrer cet événement avec de nombreuses distractions publiques car le riche propriétaire qui possédait de vastes domaines, prétendait se faire respecter bien davantage par la communauté citadine.

En effet, Veturius et sa famille, accompagnés d'une longue suite de connaissances et de courtisans, étaient arrivés pour la grande célébration.

L'exploitation agricole, auparavant simple, bien qu'imposante, était maintenant convertie en un véritable palais romain, plein de dames élégantes et de tribuns discoureurs, d'hommes politiques oisifs qui commentaient les intrigues de la cour et d'adulateurs souriants en quête de vin à boire.

Quantité d'esclaves allaient et venaient en se pressant.

Des litières et des voitures arrivaient de différentes provenances.

Hélène ne contenait pas sa joie entre l'affection de son fiancé et l'admiration de tous ceux qui courtisaient sa beauté.

Parfaitement habituée à la vie sociale, elle faisait des prodiges pour satisfaire l'aristocratie gauloise, se montrant pleine d'attention pour tout le monde.

Cintia, cependant, était arrivée transformée. Intentionnellement, elle fuyait toutes les festivités qui agitaient son foyer. Absente des conversations et des soirées, face aux questions posées par les visiteurs à son sujet, Veturius et de Tatien répondaient qu'elle était malade.

Mais un vieil homme, associé à Opilius depuis sa jeunesse, affirmait en privé que Madame était devenue chrétienne.

Cet homme n'était autre que Flave Subrius, le vieux soldat boiteux qui avait aussi changé sa conception de la vie.

Subrius reçut à Rome d'inestimables bénéfices venant de la collectivité évangélique et avait modifié les principes qui guidaient sa destinée.

De l'athéisme et des sarcasmes, il était passé à la croyance et à la méditation.

Ce n'était pas un adepte du Christ à proprement parler, cependant, il faisait des lectures édifiantes, respectait la mémoire de Jésus, donnait des aumônes et évitait le crime qui, en d'autres temps, n'était pour lui qu'une trivialité sans importance.

Comparaissant parfois aux sermons des catacombes, il était transformé. Il avait réussi à retenir dans sa conscience la bénédiction du remords et avait remis en question le chemin parcouru...

Néanmoins, de tous les sombres drames dont son esprit était hanté, l'assassinat de Corvinus était peut-être celui qui lui lacérait le plus le cœur.

À plusieurs reprises, il s'était demandé, sans réponse à sa propre question, ce qu'était devenu Varrus Quint... Où avait-il débarqué ? Avait-il réussi à survivre ? Jamais plus il n'avait eu de lui la moindre nouvelle.