Les personnes présentes ont approuvé ces paroles avec des signes expressifs de soutien.
Les esclaves — a continué Quirinus, convaincant — sont des instruments passifs de travail et un instrument, en soi, ne peut raisonner. Nous en sommes responsables. Prendre des mesures est de notre devoir.
Et peut-être parce que la pause se prolongeait, Hélène a exprimé son opinion avec fermeté :
Je suis tout à fait d'accord. Depuis longtemps, j'observe que la peste nazaréenne a par-dessus tout des effets psychiques délétères. Il semblerait qu'elle défigure le caractère et efface le brio des personnes. Dans le temps, les condamnés à mort dans les cirques combattaient, intrépides, avec les fauves ou avec les gladiateurs, réussissant souvent à recouvrer leur droit de vivre et même la liberté. De nos jours, avec les enseignements de l'homme crucifié, ils ont perdu leur gaillardise. Partout, c'est une honte. L'affrontement du combat a toujours été un beau symbole. Actuellement, cependant, plutôt qu'une lance comme point de mire, nous voyons des bras croisés et entendons des cantiques jusqu'au bout.
Eustasius a poussé un rire strident et a ajouté :
Bien rappelé ! Bien rappelé ! Si la mode prend, nous vivrons à genoux pour que ces vagabonds restent debout.
Le minutieux entretien s'est poursuivi longuement.
Ils ont marqué une date pour essayer de ramener Rufus à la raison.
Puis, ils ont fêté l'événement.
Les esclaves ne seraient pas dispensés de la scène finale.
Eustasius ferait venir un acheteur d'Aquitaine et si l'obstiné ne cédait pas, il vendrait sa femme et ses deux petites filles dès l'instant où il serait procédé à son élimination.
La mesure serait un avertissement pour tout le monde et il était probable qu'il arrête d'autres foyers d'indiscipline.
Ils ont examiné entre eux le type de mort le plus adéquat à la situation au cas où Rufus serait inflexible.
Veturius a fait remarquer qu'une hache entre les mains d'Épipode ne serait pas utilisée en vain, mais Quirinus pervers, a rappelé qu'un employé délinquant traîné par la queue d'une pouliche sauvage, serait toujours un tableau de fête digne d'être vu.
C'est dans une ambiance de lourde expectative que le jour de la purge dans l'exploitation agricole d'Opilius est arrivé.
Une angoisse évidente perçait sur le visage des nombreux travailleurs rassemblés dans le grand patio.
Veturius, Tatien et Galba, suivis de Quirinus et de bien d'autres personnalités ainsi que du marchand d'esclaves, ont pénétré dans l'enceinte, impertinents, dominateurs et libres.
Rufus avait à ses côtés des gardes musclés, il fut amené au centre de la place délimitée par quantité d'hommes, de femmes et d'enfants.
Ce fut alors que Veturius a ordonné qu'une femme et deux fillettes fussent approchées.
Dioclèsie, la femme du prisonnier et ses deux petites Rufilie et Dionie l'ont étreint avec joie et empressement.
Papa ! Papa !...
Les voix aimantes ont résonné, émouvantes, arrachant des pleurs alors que l'esclave avait des larmes qui lui coulaient des yeux comme des gouttes de rosée diamantine glissant sur un masque expressif en bronze.
Épipode, répondant au signe du Maître, a séparé le beau groupe familial et la voix d'Opilius s'est écriée donnant à ses mots le maximum d'énergie :
Rufus ! Le moment décisif est là ! Tu jureras fidélité aux dieux et tu seras sauvé, ou tu suivras l'imposteur galiléen en te condamnant à mort et en provoquant le bannissement définitif des tiens. Choisis ! Il n'y a pas de temps à perdre!...
Ah ! Seigneur — pleurait le serviteur en tombant à genoux —, ne me condamnez pas ! Ayez pitié de moi !... Je suis l'esclave de cette maison depuis que je suis né !...
Le malheureux s'est tu dominé par l'angoisse et sa tête en d'autre temps droite et digne s'est abaissée jusqu'à la poussière que Veturius foulait.
N'évoque pas le passé ! Réponds au moment présent ! Pourquoi s'adonner à l'illusion nazaréenne quand nos divinités t'offrent le pain quotidien et une vie heureuse ?
Rufus, cependant, a relevé le front retrouvant sa sérénité.
Il a dévisagé sa femme qui le regardait, affligée, puis il a tendu les bras à Dionie, son petit ange brun de quatre ans qui s'est à nouveau précipitée vers lui s'exclamant confiante :
Tu viens avec nous, papa ?
L'interpellé a fixé sa fille avec une indicible tendresse mais il n'a pas répondu.
Personne n'aurait pu connaître le drame qui se déroulait derrière ce visage sillonné de souffrance.
Ses yeux statiques se sont arrêtés de pleurer.
Une soudaine et inébranlable fermeté s'est affichée sur son visage.
Il a élevé sa pensée au ciel manifestant une attitude profonde de prière, mais Opilius s'est remis à parler, incisif et s'écriant :
Ne t'attarde pas, ne t'attarde pas ! Renie la superstition nazaréenne et abomine dès maintenant l'imposteur de la croix ?
L'Évangile est la révélation divine — a informé Rufus pris d'un calme impressionnant —, et Jésus n'est pas un mystificateur mais bien le Maître de la Vie impérissable...
Comment oses-tu ? — a interrompu Veturius, en colère — ta mort ne sera qu'un suicide et tu seras le bourreau de ta propre famille. Dioclèsie et tes filles seront expulsées, quant à toi, dans quelques instants tu descendras partager la convivialité des pouvoirs infernaux.
Il lui a lancé un regard de rancœur et a conclu, après un court intervalle :
Malheureux, tu ne crains rien ?
L'esclave, semblant pris de vigoureuses forces spirituelles, l'a regardé avec tristesse, et a expliqué :
Seigneur, ceux qui vont mourir vont au devant de la vérité... Mon cœur souffre à l'idée de voir ma femme et mes petites filles humiliées par le destin incertain qui les attend sur terre, néanmoins, je les remets en cette heure au jugement du ciel. Aujourd'hui, vous pouvez condamner. La maison, le sol, le bois et l'or restent entre vos mains. Demain, néanmoins, vous serez amenés à rendre des comptes aux tribunaux divins. Où sont-ils ceux qui, en d'autres temps, ont persécuté et ont condamné ? Ils rampent tous dans la poussière où se confondent les esclaves et les maîtres. Les litières de la vanité et de l'orgueil se consument avec le temps... Je ne crains pas la mort qui pour vous est une énigme et un mystère, mais qui pour moi est la libération et la vie...
La grande assemblée écoutait empreinte d'une torpeur irrésistible d'effroi.
Opilius, retenu peut-être par des fils intangibles, restait immobile comme le bâton sculpté auquel il se soutenait et qui portait la marque de son autorité domestique.
Vous commentiez la lamentable situation de ma compagne et de mes filles — a continué Rufus, après un court intervalle —, au vu de vos résolutions, en les exilant vers d'autres terres, malgré tout le respect que votre famille nous a toujours témoigné, je suis amené à me poser des questions concernant vos ancêtres... Où sont donc vos parents aujourd'hui ? Les titres de patricien n'ont pas dispensé vos ancêtres des devoirs envers la tombe. Vous êtes tout aussi séparés d'eux, que je le serai désormais des miens... Et, alors que votre nostalgie erre comme une ombre inutile, hantant vos jours, la douleur de ma femme, tout comme la mienne produiront en nous la réconfortante certitude d'avoir coopérer à la construction d'un monde meilleur... Nous sommes des esclaves, oui, nés sous le joug lourd et cruel de la captivité, néanmoins, notre esprit est libre d'adorer Dieu, selon notre compréhension. Avant nous, d'autres compagnons ont connu le martyre... Combien auront été assassinés dans les cirques, sur les croix, sur les bûchers et dans les tribunaux ?! Combien auront marché vers la tombe, chargés de l'épineux fardeau des afflictions !... Néanmoins, nos cœurs blessés, comme des rondins lancés au feu, nourrissent la flamme de l'idéalisme sanctifiant qui illuminera l'humanité ! Nos enfants ne seront jamais des orphelins. Les protégés du Christ, au monde, sont l'héritage béni de notre foi destinée à un grand avenir... Le bonheur céleste habite avec nous dans les prisons de la terre. Nos souffrances sont semblables aux ombres rares de l'aube qui se mêlent à la lumière naissante d'un nouveau jour !...