— Si je dois vous reconnaître comme père — sanglotait le jeune homme agenouillé , je ne comprends pas le pardon des offenses !
Varrus lui a caressé la tête et comme s'il était soutenu par des forces invisibles, il a expliqué :
Tu es encore jeune pour comprendre les tempêtes qui agitent le cœur... Moi aussi j'ai commencé à percevoir la vie par les traditions de nos ancêtres. Jupiter représentait pour moi le pouvoir suprême et je croyais que les créatures n'étaient que des êtres récompensés par les faveurs ou poursuivis par le mécontentement des dieux... Mais j'ai ensuite trouvé Jésus-Christ sur mon chemin et j'ai perçu la grandeur de la vie à laquelle nous sommes destinés... Chaque homme est un esprit éternel en évolution pour la gloire céleste. Nous sommes heureux ou malheureux de nous-mêmes... De ce fait, nous n'irons pas en avant sans la bénédiction de la grande compréhension... La justice divine nous observe... Comment, donc, nous élever en vertu sans oublier les mains qui nous blessent ?... Résigne- toi!... Le temps calme toutes les afflictions... Aide ceux qui te tourmentent, soutiens ceux qui ne te comprennent pas... Combien de fois le criminel est à peine malheureux ?!... Ne te jette pas dans les précipices de la vanité et de l'orgueil !... Tu es trop jeune... Tu peux accepter l'Évangile du Seigneur et réaliser des œuvre immortelles !...
Je ne peux pas, je ne peux pas !... — s'est exclamé le jeune homme proche du désespoir — je sens que je ne peux fuir la vérité ! Je suis votre fils, oui, mais je suis contre le Christ... Je n'admets pas une foi qui annihile le brio et la valeur ! Si vous n'étiez pas chrétien, nous n'aurions probablement pas atteint cet abîme de souffrance morale ! Je mourrai avec nos anciens orienteurs. J'ai consacré toute ma confiance aux divinités, je ne peux m'éloigner du sanctuaire de notre foi !...
Ne t'alarme pas ! — fit observer son père serein et bon — ce ne sera pas maintenant aux derniers instants de ma vie en ce corps que je croiserai les armes avec toi sur des différences d'opinion religieuse... Tu commences à peine à vivre. Combien de problèmes te réserve l'avenir ? Combien de leçons te mettront en contact avec les douleurs humaines ? Alors que nos vieux dieux se traînent dans la poussière d'où ils viennent, Jésus vivra éternellement. Il t'aidera à quelque croisement de route, comme il m'a aidé !... Demain, quand le mur de l'ombre se sera levé entre nous, je continuerai à veiller sur toi !... je suivrai ta lutte de près et je serai à nouveau avec toi peut-être dans un autre corps... Nous renaîtrons toujours jusqu'à l'amélioration complète de notre âme... Ceux qui s'aiment ne se séparent jamais... Mourir ce n'est pas s'éloigner de manière irrémédiable... D'une vie plus libre, nous pouvons accompagner les êtres aimés de notre chemin leur inspirant de nouveaux itinéraires... Pour l'instant, il n'est rien en moi qui puisse t'aider, néanmoins, j'ai confiance en l'efficacité de la prière et je continuerai à implorer la bénédiction de Jésus en notre faveur... Peu importe l'impossibilité transitoire à croire où tu te trouves... À mon tour, je n'ai rien fait pour mériter la protection divine et malgré tout j'ai sans cesse reçu le soutien céleste... Spirituellement, mon fils, nous sommes encore des enfants sur le grand chemin béni... Comme cela arrive pendant l'enfance terrestre au garçon inconscient qui se développe sans percevoir la grandeur du soleil qui nous soutient, nous continuons sur le sentier humain en ignorant l'infinie sagesse qui nous entoure et nous oriente... Malgré tout, derrière les dons qui nous rendent heureux, vit Dieu qui nous a créés pour le bien éternel et qui attend que nous grandissions avec une attention toute paternelle...
À cet instant, probablement en raison des efforts excessifs qu'il faisait, le mourant est passé par une dangereuse crise hémorragique.
Son sang coulait par sa bouche et par ses narines, rendant sa respiration difficile.
Tatien s'est alors penché vers l'agonisant avec toute la miséricorde filiale cherchant à
l'aider.
Il se sentait, enfin, pris de compassion.
Percevant peut-être l'affection qui renaissait dans l'esprit de son beau-fils, sans dire un mot, Veturius est sorti les laissant seuls. Mais le prêtre ne pouvait plus s'entretenir avec son fils. Quand il a rouvert les yeux, ils étaient démesurément grands comme s'il était face à d'autres horizons de la vie...
Varrus Quint ne percevait plus l'étroite enceinte de sa cellule. Devant sa vision, les murs de la prison avaient disparu. Sa couche précaire était la même et il pouvait voir Tatien à ses côtés, mais l'espace tout autour était rempli d'entités spirituelles.
Parmi elles, l'agonisant a immédiatement reconnu le vieux Corvinus et le petit Silvain qui le regardaient affectueusement.
Le saint apôtre, qui l'avait précédé vers le grand voyage de la mort, s'est assis à son chevet et a caressé son front trempé de sueur, agonisant...
Silvain, à son tour, était suivi d'une dizaine d'enfants portant sous le bras de délicats instruments de musique.
Varrus a exprimé sur son visage, un large et beau sourire.
S'adressant à Corvinus avec des mots que le jeune patricien s'est mis à considérer comme des manifestations hallucinatoires, il a parlé à voix basse étrangement ranimé :
Cher bienfaiteur, voici le fils de mon âme !... c'est le doux garçon auquel je me suis rapporté lors de nos conversations passées à Rome... Il a grandi dans d'autres bras et s'est développé dans un autre environnement !... Oh, mon père, tu connais la longue et torturante nostalgie qui a lacéré mon cœur !... Tu sais combien j'ai aspiré à cette heure de compréhension et d'harmonie !... Cependant, pauvre de moi ! Ceux qui s'aiment profondément sur terre ne se retrouvent souvent qu'au moment de la grande séparation... Oh, cher père, ne me relègue pas à l'affliction que je porte dans ma poitrine oppressée... Calme mon esprit ulcéré, soutiens-moi dans ce voyage vers la mort !... Donne-moi des forces afin que je puisse suivre en paix, allant de l'avant sur le chemin que le Seigneur m'a tracé ! Ne permets pas que mes pas hésitent sur cette nouvelle route ! Je donnerais tout à cette heure pour rester et me révéler à mon fils inoubliable, cependant, notre Divin Maître m'a honoré de son témoignage de confiance !... Je dois partir en laissant en arrière ce corps fatigué qui m'a servi de tabernacle !... Je me console, cependant, de la certitude que nous continuerons liés les uns aux autres par le sublime amour qui de toute part est l'héritage glorieux de Notre Père Céleste !... Pardonne-moi l'insistance avec laquelle je m'attache à Tatien en ces minutes suprêmes de mes adieux sur terre !... Il est encore bien jeune et inexpérimenté... Il n'a pas encore suffisamment de grandeur spirituelle pour comprendre l'Évangile mais l'avenir nous assistera pour l'aider à triompher... Dévoué Corvinus, ne l'abandonne pas !... Aide-le à réfléchir à la grandeur de la vie et à découvrir la lumière de la connaissance chrétienne !...
L'agonisant a fait un long intervalle alors que le jeune homme lui caressait les mains, étouffant ses larmes.
Ensuite, il a repris la parole s'exclamant :
Je sais que la prière dans la magnanimité de l'Éternel devrait être à présent ma seule pensée... Je sais que seule l'Infinie Bonté du Seigneur peut remplir le vide de mon insignifiance, néanmoins... Tatien est mon fils et Jésus nous a promis son suprême pardon lorsque l'on aime beaucoup !... Tatien...
Le martyr semblait vouloir poursuivre et son fils l'écoutait anxieusement, mais la résistance de Varrus était arrivée à bout...
Le mourant devint muet.
Seuls ses yeux dans ceux du jeune homme angoissé disaient sans mots toute l'affection et l'inquiétude qui erraient dans son âme.
C'est alors que Silvain et la multitude de garçons qui l'accompagnaient ont entouré son pauvre lit et ont commencé à chanter...
Varrus Quint a entendu le vieil hymne simple et tendre qu'il avait lui-même composé pour souhaiter la bienvenue aux visiteurs de son école, alors que les enfants répétaient :