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Carpus était un noble romain qui avait presque son âge. Pendant leur enfance, ils avaient grandi ensemble et s'étaient tous deux mariés presque en même temps.

Cécilia Priscilienne, la femme du maître, était tombée malade de la peste et après la naissance de son second fils, Junia Glaura, sa femme, une esclave et une amie de la famille de Carpus, s'était tellement dévouée à la matrone qu'elle avait réussi à sauver la vie de sa maîtresse, mais elle l'avait payé de la sienne en contractant la dangereuse maladie. Junia malgré elle le contraignait ainsi au veuvage, lui laissant une petite fille du nom de Livia qui survécut peu de temps.

Compatissant de sa malchance, ses employeurs l'ont émancipé, moyennant qu'il leur paie un jour, les lourdes dettes qu'il avait contractées pour sauver sa famille.

Néanmoins, il n'avait pas pu continuer à Rome où tant de souvenirs pénibles lui martyrisaient l'esprit.

Dépité, il s'est retiré sur l'île de Chypre où il a passé plusieurs années plongé dans des études philosophiques, cherchant à se fuir.

Là-bas, il reçut comme cadeau des dieux — souligna-t-il en souriant — sa nouvelle fille à qui il donna le même prénom que la première.

Livia était apparue juste au moment où il se sentait le plus seul et le plus malheureux des hommes.

Désespéré face aux obstacles constants qu'il rencontrait, sans jamais trouver les moyens de se débarrasser des engagements économiques qui le rattachaient à la maison de son maître, il était prêt à attendre la mort quand le ciel lui a envoyé sa nouvelle petite fille sur une route miraculeuse, faisant renaître ainsi tous ses espoirs.

Dès lors, il fut à nouveau pris de courage pour lutter.

Il a retrouvé l'énergie de travailler et repris les activités routinières d'un homme avec des problèmes quotidiens à résoudre.

En restaurant des instruments musicaux, en tant qu'accordeur, il s'est vite rendu compte que sur l'île ses revenus ne répondaient pas aux nouvelles charges, ils sont donc partis pour Massilia où il a trouvé beaucoup de travail répondant à ses besoins pour éduquer sa fille.

De nombreux déboires, cependant, l'ont obligé à déménager et il a choisi Lyon comme nouveau champ d'action.

Il fut surpris par la grande quantité de harpes, de luths et des cithares nécessitant d'être réparés et satisfait des nouvelles perspectives d'amélioration économique, il était dans cette ville depuis six mois, réorganisant sa vie. Basil parlait avec assurance et douceur mais on remarquait dans sa voix quelque chose de douloureux qui n'arrivait pas à s'extérioriser. Des plaies invisibles de souffrance transparaissaient des mots prononcés avec une aimable compréhension, mais touché d'une pointe d'amertume.

Le patricien enthousiaste et réjoui l'a encouragé, lui laissant entendre que de nouveaux horizons allaient s'offrir à lui.

Il avait beaucoup d'amis et il lui obtiendrait des services rentables.

Pour égayer l'ambiance qui s'était un peu trop assombrie vu les sujets inquiétants de la vie quotidienne abordés, Livia a répondu à la demande paternelle en exécutant quelques morceaux à la harpe que Tatien et Blandine ont écoutés, enchantés.

La petite fascinée était silencieuse et calme et le fils de Varrus Quint, comme transporté en d'autres temps, errait mentalement dans de multiples réminiscences, contenant mal le flot d'émotion qui lui montait aux yeux. Il a fouillé dans le passé, essayant de se souvenir où, quand et comment il avait rencontré le vieil homme et la jeune fille, lui qui le regardait plein de bonté et elle qui chantait avec cette voix mélangée de joie et de douleur, mais ce fut en vain... Il gardait l'impression de les connaître et de les aimer, mais sa mémoire se niait à les identifier dans le temps.

Livia s'est tue, mais le visiteur restait absorbé, à penser, à penser...

Ce fut Blandine qui interrompit les réflexions en demandant affectueusement :

— Papa, vous ne croyez pas que Livia pourrait être mon professeur ?

Un sourire général est apparu sur chacun des visages dans l'humble pièce.

L'idée fut acceptée avec joie.

Et cette nuit-là, quand l'heure des adieux arriva, plein de compréhension et de tendresse Tatien s'est éloigné, ranimé. Il avait oublié les luttes et les problèmes de sa propre destinée comme s'il avait absorbé un miraculeux nectar venu des dieux.

Le cœur du patricien, qui auparavant était taciturne et angoissé, semblait maintenant revivre.

RÊVES ET AFFLICTIONS

Enveloppés par les douces brises du fleuve, les yeux plongés dans le firmament qui se peuplait de constellations, nous retrouvons Basil parlant à Tatien admiratif :

Pour nous, la vie est encore un impénétrable secret céleste. Nous ne sommes que des animaux pensants. Entre les mains de l'homme, le pouvoir est une fantaisie, tout comme la beauté est un leurre dans le cœur de la femme. J'ai visité l'Egypte, en compagnie de deux prêtres d'Amathus, et là, nous avons trouvé différents souvenirs de la sagesse immortelle. Dans les pyramides de Gizeh, j'ai étudié minutieusement, les problèmes de la vie et de la mort me plongeant dans des réflexions profondes sur la transmigration des âmes. Ce que nous apprenons dans nos cultes tangibles n'est que l'ombre de la réalité. De toute part, la truculence politique de ces derniers siècles a porté préjudice au service de la révélation divine. Je pense que nous approchons de temps nouveaux. Le monde a soif d'une foi vivante pour être heureux. Je n'admets pas que nous soyons limités à l'existence physique et l'Olympe doit s'ouvrir pour répondre à nos aspirations...

Ne croyez-vous pas, par hasard — intervint son interlocuteur inquiet —, que la confiance pure et simple en la protection des dieux suffit au bonheur collectif, conformément au culte de nos ancêtres ?

Oui, oui — lui fit l'ancien —, la simplicité est aussi l'un des aspects de l'énigme, cependant, mon cher, dans le cas présent, en ces temps d'incommensurables déséquilibres moraux, le problème de l'homme ne cesse de grandir. Nous ne sommes pas des marionnettes prisonnières des tentacules de la fatalité. Nous sommes des âmes portant l'habit de la chair en transit vers une vie plus élevée. J'ai parcouru les grandes routes de la foi et cherché dans les archives de l'Inde védique, de l'Egypte, de Perse et de Grèce et chez tous les vénérables instructeurs, j'ai observé la même vision de la gloire éternelle à laquelle nous sommes destinés. Personnellement, je considère que nous sommes un temple vivant en construction dont les autels à l'infini expriment la grandeur divine. Lors de nos expériences sur terre, nous ne réussissons à construire que les fondations du sanctuaire poursuivant au-delà de la mort du corps cette initiation complétant l'œuvre sublime. Dans les luttes de l'existence animale, nous développons le potentiel de l'esprit permettant notre élévation aux sommets de la vie.

Et, après une pause pendant laquelle il semblait réfléchir aux concepts qu'il venait d'énoncer, il a ajouté :

Donc, le problème est bien plus vaste. Il est fondamental que nous sachions mettre en valeur la dignité humaine inhérente à toutes les créatures. Les esclaves et les maîtres sont les fils du même Père.

L'ami, qui enregistrait attentivement ses paroles, objecta immédiatement :

Égalité ? Cela viendrait contrarier la structure de notre organisation sociale. Comment niveler les classes, sans bousculer les traditions ?

Le vieil homme a alors souri calmement et lui a fait remarquer :

Mon fils, je ne me réfère pas à l'égalité par la violence qui classerait dans la même catégorie les bons et les mauvais, les justes et les injustes. Je me reporte à l'impératif de fraternité et d'éducation. Je veux dire que la vie est comme une grande machine dont les pièces vivantes, que nous sommes, doivent fonctionner harmonieusement. Il y a ceux qui naissent pour une tâche déterminée, distante de la nôtre, comme il y a ceux qui voient le chemin d'une manière différente avec d'autres yeux que les nôtres. Gardant la certitude que notre esprit peut vivre d'innombrables fois sur terre, nous modifions le cours de notre évolution, d'une existence à l'autre, comme l'élève apprend à écrire, petit à petit, pour arriver aux plus hautes expressions de la culture. En conséquence, nous ne voyons pas comment niveler les classes, ce serait impraticable. L'effort personnel et le mérite qui en résulte sont les frontières naturelles entre les âmes, ici et dans l'au-delà. La hiérarchie existera toujours comme appui inévitable de l'ordre. Chaque arbre produit selon l'espèce à laquelle il s'apparente et chacun mérite plus ou moins d'estime selon la qualité de sa propre production. Substituons, ainsi, les mots « maîtres» et « esclaves » par « administrateurs » et « coopérateurs » et peut-être atteindrons-nous l'équilibre nécessaire à notre entendement.