Septime, désirant rendre service à son compagnon, n'a pas perdu de temps. L'attirant avec un sourire accueillant, il lui a offert une place à leur table.
Teodul et l'arrivant se sont lancés dans une conversation animée sur les gladiateurs et les arènes et vérifiant qu'une certaine intimité s'était spontanément installée entre eux, Sabin s'est justement retiré lorsque les premiers verres de vin ont commencé à arriver et qui furent suivis de nombreux autres.
Une fois seul avec le jeune homme, l'envoyé d'Hélène qui devinait sa peine, après avoir bu pendant quelques minutes, a manifesté une plus grande avidité pour le vin et s'exclama :
Que serait le monde si les dieux ne nous donnaient pas à boire ? Changer notre état d'âme dans un verre, voilà le secret du bonheur ! Buvons du vin pour que le vin nous abreuve!
Marcel a trouvé ce dicton intéressant et a montré un sourire forcé tout en soulignant :
C'est la pure réalité. Par une nuit noire comme celle-ci, boire c'est fuir, s'isoler, oublier...
Il a. plongé ses lèvres dans le verre débordant et voyant son regard grisé, Teodul a osé faire une remarque subtile :
Moi aussi, je cherche à me fuir... Il n'existe rien de plus pénible qu'un amour malheuraK..
Un amour malheureux ! — a considéré l'interlocuteur pris de surprise — il ne peut être plus malchanceux que le mien... Je me trouve dans un sombre labyrinthe, à me débattre seul, complètement seul...
Si je peux faire quelque chose, dispose de moi.
Et déguisant l'angoisse qui le dominait, l'intendant de Veturius a demandé :
Vous habitez à Rome depuis longtemps ?
Loin de se sentir interrogé, Volusianus, éprouvant peut-être le besoin insupportable d'associer quelqu'un aux problèmes qui le torturaient, s'est soulagé :
Je suis romain, néanmoins, j'ai été éloigné de la capitale pendant longtemps. J'ai croisé la Méditerranée dans plusieurs directions et je suis arrivé de Gaule narbonnaise il y a quelques mois. Je suis venu dans l'intention de donner un nouveau sens à mon existence, cependant, les immortels ne m'ont pas permis la transformation à laquelle j'aspirais...
Marcel a avalé une gorgée de plus et a continué :
Une beauté irrésistible m'a fasciné le cœur. Je n'ai pas été assez fort et je l'ai aimée frénétiquement... Mais ma diva vit si haut, si haut qu'aussi longtemps que je l'attendrais, elle n'arriverait pas à descendre pour réchauffer mes bras froids...
Il s'agit, alors, d'une Vénus bien rare ?
Oui — a soupiré le jeune homme emporté par l'ivresse —, c'est une beauté qui noie ma conscience et consomme mon cœur.
D'ici même ?
Oh ! Qui pourrait connaître l'origine exacte d'une déesse ? C'est une colombe timide. Elle parle peu d'elle-même, craignant probablement que l'on détruise notre bonheur. Je sais seulement qu'elle habite à Lyon et passe actuellement un séjour prolongé auprès de son grand-père.
Ah ! — lui fit Teodul sagace —justement de Lyon ? Je vis aussi là-bas, je me trouve en ville pour affaires...
Volusianus a montré de l'étonnement dans son regard où étincelait encore un peu de lucidité et lui dit retenant sa spontanéité :
Quelle coïncidence ! Je m'y suis attardé quelques heures avant mon retour à Rome.
Et comme s'il était en présence de quelqu'un ayant la possibilité de connaître ses aventures passées, il a manifesté le désir de préparer sa propre défense face à toute éventualité et commenté :
Imagine-toi que la malchance est une aile noire posée sur mes jours. J'étais fiancé à Massilia à une jeune fille qui a remonté le Rhône et qui s'est installée à Lyon avec son vieux père. Quand mon cœur fut pris de nostalgie, je suis allé à sa rencontre, mais avec surprise, j'ai découvert qu'elle avait de nouveaux engagements. Un fourbe du nom de Tatien l'a complètement dominée.
Teodul, qui ignorait l'expérience conjugale de Livia, prit les mensonges de Marcel pour des vérités et, avec la volupté d'un chasseur devant sa proie, il fit d'un ton admiratif :
Tatien ? Je le connais bien. Et d'après ce que tu dis, je pense identifier ta fiancée gauloise, la belle Livia qui le distrait dans ses moments d'oisiveté actuellement.
Il a souri avec l'air d'un ami affectueux et a ajouté :
Que notre monde est petit ! De toute part, nous vivons liés les uns aux autres.
L'interlocuteur, étonné, a voulu se retirer de la conversation mais craignant les conséquences d'une évasion inopportune, il a confirmé, désappointé :
C'est lui-même. Tu connais, alors, l'espèce de femme à qui j'ai voué toute ma confiance?
Superficiellement. Je n'ai fait qu'observer le couple lors de rencontres et d'ententes interminables en passant la porte du vieil accordeur.
Se considérant face à une occasion précieuse de faire des recherches, Teodul en a immédiatement profité pour demander :
Et l'étrange philosophe qui est presque ton beau-père, serait-il grec, égyptien, romain?...
Aucune idée ! — a répondu le jeune homme se maintenant sur ses gardes — je sais à peine que c'est un ancien affranchi de la maison de Jubellius Carpus, vis-à-vis duquel il est toujours engagé vu ses lourdes dettes. Un beau jour, il m'a ennuyé à l'extrême avec son autobiographie soporifique et sans intérêt dont je n'ai conservé que ce détail.
Notant que Marcel commençait à se répéter, le compagnon a diminué la pression de son interrogatoire et lui fit remarquer :
Jeune ami, oublie le passé ! Buvons au présent !... Si nos vies hier se sont croisées, qui sait si aujourd'hui je ne pourrais t'aider d'une manière ou d'une autre ?
Le jeune homme a semblé moins méfiant après le harcèlement ressenti et dit en soupirant :
Mais comment est-ce possible ! J'ai eu le malheur de tomber amoureux de la petite-fille du richissime Veturius...
Opilius Veturius ? — a coupé l'interlocuteur, feignant la perplexité.
Oui, oui...
Faisant semblant d'être pris de joie, Teodul a souligné :
Je le connais aussi. Tu te rapportes, naturellement, à la charmante
Lucile.
Émerveillé par le hasard, Marcel lui a alors fait une longue confidence, expliquant qu'il avait l'habitude de retrouver quotidiennement la jeune fille dans un petit pavillon du jardin, mais brusquement sans raison, ce soir, Lucile n'est pas apparue à leur rencontre de tous les jours.
Pour cela, il se sentait découragé et angoissé.
Teodul l'a consolé avec des phrases réconfortantes et lui a conseillé d'insister et d'être au rendez-vous le lendemain.
N'était pas aussi l'ami du vieux Veturius depuis l'enfance ? Et affirmant jouir d'une certaine intimité auprès d'Hélène, il se dit disposé à l'orienter dans ses démarches susceptibles de l'aider.
Il promit de s'entendre avec la famille de la jeune fille et recommanda à Marcel d'attendre dans le jardin, à l'heure habituelle, où il viendrait en personne lui apporter de bonnes nouvelles.
Volusianus ne contenait plus sa joie.
Ému, il a serré les mains de son protecteur avec une débordante satisfaction et l'a regardé, extasié, comme s'il était devant un demi-dieu.
Tous deux satisfaits se sont approchés de quelques femmes joyeuses, admirant leurs ballets exotiques.
Puis, ils se sont quittés entre de francs éclats de rire comme de vieux amis.
Tôt le matin, Teodul est allé voir Hélène pour lui donner les informations recueillies.
Elle a écouté son rapport verbal prise de curiosité et d'indignation.
À la fin de ces minutieux éclaircissements, elle lui dit enragée :
Mais alors c'est le fiancé de la femme qui a envahi ma maison !... Triste paire de criminels nés ! Elle me vole mon mari, il pervertit ma fille. Encore heureux que je suis vivante et saine d'esprit pour empêcher de nouvelles victimes!...
Elle a esquissé un sourire ironique sur son visage et a demandé à son compagnon :