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Que suggères-tu ?

Hélène, hier déjà le sujet aurait pu être éliminé. Nous avons traversé ensemble le Tibre. Désorienté par l'ivresse, il aurait tout aussi bien pu tomber dans les eaux et y dormir pour toujours. Nul ne l'aurait su. C'est une canaille qui n'apporte rien à personne. Toutes les informations récoltées dans l'amphithéâtre coïncident et le dépeignent parfaitement. C'est un vagabond, un paresseux et un voleur des jeux faciles. Personne ne sait pourquoi il a mérité l'intérêt de Claude Licius. Sans nom, sans argent, sans provenance, comment pourrait-il concourir avec notre Galba dans un mariage d'un tel niveau ? Néanmoins, je ne souhaitais pas assumer de responsabilité sans t'avoir entendue. Je l'ai encouragé à venir aujourd'hui pour l'informer des décisions prises. Naturellement, j'agirai selon ta volonté.

Son interlocutrice a beaucoup réfléchi et, après une longue pause, elle lui fit résolue :

Tu as bien fait. L'assurance de ta fidélité me réjouit. Je viens de penser à un plan efficace qui éliminera nos ennemis et dont l'exécution obligera Tatien à me rendre des comptes. Un vieillard sordide tel que ce Basil dont tu m'as parlé ne devrait pas être l'objet de tant de considération, mais pour que nous puissions avancer sans embûches, allons voir la famille de Carpus pour connaître de sa bouche la vraie situation. Avant tout, cependant, il est indispensable d'atteindre l'objectif le plus proche. Volusianus mourra aujourd'hui même dans le pavillon. J'ai le produit adéquat à mettre dans le verre avec lequel tu pourras le saluer à son arrivée.

Et votre fille ? — demanda Teodul impressionné par l'audace du projet.

Voyons, voyons — s'exprima la matrone sans affectation —, la voiture ne choisit pas son passager. Lucile, pour l'instant, n'est qu'une poupée ingénue. Elle oubliera la folie commise et acceptera la réalité bénissant plus tard notre interférence. Le mariage est avant tout une affaire. Je n'admets pas qu'elle préfère un vagabond à un homme de la lignée de mon frère. Je me suis mariée pour obéir à mon père. Maintenant, je pense que c'est à mon tour d'être obéi.

Teodul s'est tu.

Il aurait été bien inutile de discuter avec elle face à sa volonté de fer.

Alors qu'Anaclette réconfortait la jeune fille, Hélène et son ami ont passé la journée à réfléchir aux événements qu'ils programmaient pour la soirée.

Marcel n'a pas manqué à sa parole.

À l'heure dite, élégant et fin prêt, il est entré dans le jardin y retrouvant le supposé bienfaiteur de la veille à l'attendre dans un coin isolé entouré de verdure où lui et Lucile avaient l'habitude de rêver.

Il a étreint Teodul, imperturbable.

Je viens le cœur palpitant — lui dit le jeune homme tremblant d'anxiété — ; les dieux me seraient-ils favorables par hasard ?

Et comment ! — a répondu cordialement l'intendant d'Opilius — les immortels ne méprisent jamais la jeunesse...

Et Lucile ? — a coupé l'arrivant impatient.

Elle et sa maman viendront nous voir. Le grand-père désire que le sujet du mariage soit examiné avec attention. Personne ne s'y opposera dès lors que les Jeunes tourtereaux se comprennent et sont heureux.

Marcel s'est frotté les mains, satisfait, et a commenté spontanément :

Oh ! La gloire enfin !... L'amour victorieux, un héritage juteux !...

Oui, réellement — a affirmé l'ami avec une indéfinissable inflexion de voix —, bien naturellement, tu recevras le juste héritage à attendre de la vie.

Le jeune homme a regardé les fenêtres illuminées de la grande maison magnifique et se tournant vers son interlocuteur s'est exclamé enchanté :

Oh ! Comme le temps passe lentement !... Teodul tu seras récompensé. Je te donnerai de bons chevaux et une bourse bien remplie ! Compte sur moi. Je suis l'homme le plus heureux sur terre'...

Enlacé par Marcel, qui débordait de joie, très calme, son compagnon acquiesça :

Oui, grâce aux dieux, je te vois à la place qui te revient.

Il a demandé au jeune homme d'attendre quelques instants et se dirigea à l'intérieur de la demeure prétextant le besoin de parler aux dames.

Après quelques minutes, Teodul est réapparu avec un plateau d'argent où deux verres raffinés se trouvaient placés à côté d'une belle jarre de vin, il s'exclama :

Célébrons notre triomphe ! La mère et sa fille ne vont pas tarder. Dans quelques minutes, les torches brilleront.

Le liquide alléchant a moussé et le jeune homme a accepté le verre que Teodul lui

offrait.

Par Dionysos ! Le protecteur du vin, de la nature et du bonheur ! — ivre d'espoir, l'aventurier de Massilia porta un toast.

Par Dionysos ! — a répété le compagnon sans hésiter.

Marcel a absorbé la boisson jusqu'à la dernière goutte, néanmoins, quand il essaya de remettre le verre à sa place initiale, il sentit un feu indéfinissable lui brûler la gorge. Il voulut crier mais il ne le put. Pendant quelques instants, il eut l'impression que sa tête tournait inexplicablement sur ses épaules. Il ne tenait plus sur ses jambes et finalement il est tombé à la renverse sur le marbre fleuri, se blessant la nuque.

Teodul s'est incliné, l'aidant à se mettre sur le dos.

Des gémissements roques lui échappaient de la poitrine.

Dans la pénombre, il a fixé ses yeux injectés de sang dans ceux de son empoisonneur le fusillant de haine et d'amertume, cherchant un moyen d'expulser la bave sanglante qui giclait de sa bouche, il a demandé d'une voix mourante :

Pourquoi me tuer... Lâche ?...

Tu t'attendais à la protection des dieux — a répliqué Teodul cynique —, la mort est l'héritage que les immortels réservent aux êtres de ton espèce.

Maudit !... Maudit !...

Ce furent ses dernières paroles car très rapidement ses membres se sont durcis et l'expression de son visage devenu cadavérique avait une triste mine.

L'assassin s'est rapidement éloigné allant à la rencontre de quelqu'un qui l'observait derrière les tilleuls touffus.

C'était Hélène qui a souri satisfaite de savoir que l'acte avait été consommé.

Elle a accompagné son ami jusqu'au minuscule pavillon que les plantes grimpantes étouffaient, et à la clarté d'une faible torche, elle a dévisagé le cadavre encore chaud.

— C'était un bel homme ! — a-t-elle commenté insensible — il aurait pu être aimé et heureux s'il avait su garder le rang de sa naissance.

Elle a échangé un inoubliable regard avec l'exécuteur de ses décisions comme si elle scellait, sans dire un mot, un sinistre pacte moral supplémentaire, et s'est éloignée.

Quand la nuit fut plus profonde, Teodul lui-même, vêtu des habits des esclaves de la maison de Veturius, a quitté le jardin transportant un fardeau dans une petite charrette communément utilisée pour des services d'hygiène.

Avec prudence, il s'est éloigné évitant tous contact avec des passants attardés et traversa, apparemment tranquille, une grande partie de la voie publique pour enfin atteindre les bords du fleuve.

La brise qui soufflait du Tibre caressait son esprit tourmenté.

Il s'est un peu reposé, inquiet et appréhensif.

La lune voilée ressemblait à une lanterne immobilisée dans le ciel, voulant épier sa conscience coupable...

Il a longuement réfléchi regardant contrarié la petite quantité de viande froide à laquelle Volusianus était réduit...

Les mystères de la vie et de la mort martelaient son âme. Finirait-il son existence dans la tombe ? Quelques heures auparavant, il parlait encore à Marcel fasciné par la joie de vivre. Ses mains, qu'il avait observées nerveuses et chaudes, étaient maintenant glacées et inertes. Sa bouche loquace était restée raide. Quelques gouttes de poison avaient éliminé un homme pour toujours ?

Une pénible inquiétude lui effleura l'esprit.

Y aurait-il une justice à la destruction de son prochain sans autre forme de procès ?

Seraient-ils, Hélène et lui, en condition de condamner qui que ce soit ?