Les remords cherchaient à lui ronger l'esprit mais il s'y opposa avec résistance.
Voulant se fuir lui-même, il a marché vers le Tibre concentrant son attention sur les eaux agitées et pendant de longues minutes, il a attendu l'occasion de se défaire de son chargement.
Quand une immense masse de nuages a couvert la lune affaiblie, augmentant les ombres alentours, il s'est levé lestement et découvrant le cadavre l'a précipité dans le courant.
Ensuite, soulagé, il a pris le chemin du retour à la demeure.
Le lendemain, la victime a été trouvée. Mais, dans les coulisses de l'amphithéâtre, là où il avait laissé de nombreux amis, qui ne se souvenait pas que Marcel vivait dominé par le vin et les aventures ? Sa mort a donc été interprétée comme un accident sans grande importance, d'ailleurs sa dépouille a été trouvée à une courte distance de la propriété d'Aprigia dont il était un fervent admirateur de sa jeunesse et de ses attraits.
La nouvelle s'est répandue rapidement, ne tardant pas à arriver au domicile de Veturius où la jeune Lucile a été prise d'un intraduisible chagrin.
Hélène, qui avait imaginé les effets causés par cette annonce, l'a isolée dans une pièce où la jeune femme affligée, désorientée, s'est rendue à une pénible dépression.
Pendant trois jours, soutenue par sa mère et par Anaclette, elle est restée presque inconsciente, frôlant la mort.
Peu à peu, néanmoins, elle a émergé de sa prostration.
La vigueur juvénile a surmonté l'abattement profond.
Bien que triste et désenchantée, Lucile s'est remise à s'alimenter récupérant les couleurs de la santé qui embellissaient son visage.
Percevant de nettes améliorations, la fille de Veturius s'est remise à la tâche voulant mettre graduellement à exécution le plan qu'occultait cet être cruel.
Prétextant le besoin de répondre à diverses sollicitations venant d'amis gaulois, elle a informé Opilius de son souhait de faire quelques visites pour demander des nouvelles de la famille de Jubellius Carpus.
Le vieil homme s'est dit sans illusion.
Il a expliqué qu'il s'agissait d'un ancien propriétaire agricole dont la solide maison se trouvait depuis de nombreuses années sur la voie Pinciana.
Il avait connu Jubellius dans sa jeunesse, mais il l'avait perdu de vue. Il ignorait ce qu'il était devenu et croyait que sa fille devait abandonner de telles recherches.
Toutefois, Hélène était bien trop déterminée pour se décourager. Et prenant une voiture en compagnie de Teodul, elle est allée à sa résidence, conformément aux indications données.
Accueillis poliment, les visiteurs ont été conduits par un jeune homme imberbe dans un énorme salon où le chef de famille leur fit une agréable réception.
L'administrateur de Veturius, prenant la parole, a exposé la raison qui les amenait jusque là. Mêlant cette présentation de questions respectueuses, il s'est reporté à la magnanimité de Jubellius qui s'était transformé en bienfaiteur à l'égard d'un ami.
L'hôte, qui exhibait le visage rougi d'un homme mûr habitué à l'abus de consommation de vin, l'a écouté aimablement et a expliqué :
Je dois dire, avant tout, que mes parents sont décédés voilà plus de dix ans maintenant. Je suis Saturnin, l'aine et l'actuel responsable des affaires de la famille.
Quant au court commentaire de Teodul soulignant la bonté de ses parents, sur un ton sarcastique, il leur fit :
Mes parents ont vraiment été les champions de l'émancipation indue. S'ils avaient été amenés à gouverner, ils auraient appauvri l'Empire romain. D'ailleurs, à plusieurs reprises, ils ont été accusés de nazaréens car la bienveillance chez eux frisait la folie.
Les arrivants ont immédiatement compris à quelle espèce de commerçant ils avaient à
faire.
L'employé d'Opilius a osé une question sur le vieil accordeur de Lyon, ce à quoi Saturnin a souligné empressé :
Selon les registres en notre pouvoir, je sais que Basil, esclave de notre maison, a été dispensé des obligations habituelles moyennant certains engagements comme quelques autres serviteurs dont nous n'avons pas les coordonnés.
Il a affiché un sourire énigmatique et a ajouté :
Nos intérêts ont été vilement explorés. Voilà plus de dix ans que je cherche à corriger de graves erreurs et à arrêter d'aberrantes usurpations.
Exprimant une grande douceur dans sa voix, très calme, Hélène lui dit :
Je suis sûre que nous n'aurons pas de difficulté à trouver un bon accord. Il se trouve que Basil, aujourd'hui très vieux, est notre précieux coopérateur en Gaule lugdunienne. Il nous rend de grands services et notre admirable collaborateur est tellement affligé de ses dettes du passé que nous proposons d'effectuer le transfert de la somme due.
Les yeux de Saturnin se sont soudainement illuminés.
Avec des signes évidents d'avidité et de joie, il a répondu enthousiaste :
Par Jupiter ! L'honnêteté existe encore sur terre ! C'est la première fois que je rencontre un débiteur soucieux de nous aider. — Nous ne nous opposerons pas à cette transaction. Basil sera définitivement libéré.
Il s'est excusé et s'est éloigné quelques instants. Juste après, il apportait la documentation existante.
Les visiteurs n'ont pas marchandé.
Saturnin a ajouté à la somme légale le juste montant des intérêts et Teodul, avec l'assentiment de sa compagne, a tout payé sans hésiter.
En possession des éléments prouvant le paiement, tous deux se sont retirés et, en chemin, Hélène s'est dirigée à son compagnon lui expliquant :
Maintenant, nous tenons la vieille canaille entre nos mains. Lui et sa fille ne nous échapperont pas. Mon plan progresse régulièrement. Avançons dans de nouvelles démarches. J'arrangerai avec mon père ton retour immédiat à la colonie. Tu seras l'émissaire d'une lettre venant de moi pour Tatien, implorant sa venue en urgence à Rome en compagnie de Blandine. Je prendrai pour excuse la maladie de Lucile que tu dépeindras à son imagination comme approchant progressivement de la mort. Je suis convaincue que mon mari répondra à mon appel. Nous calculerons le temps nécessaire pour retourner à Lyon avant qu'il n'ait pu croiser les eaux. En arrivant ici, il ne nous y trouvera plus, j'instruirai mon père afin de justifier notre retour précipité suivant les conseils du médecin, dans une tentative suprême de sauver la malade. Nous nous retrouverons, ainsi à Lyon, suffisamment libres pour entamer le travail punitif. J'obtiendrai quelques lettres importantes pour stimuler la persécution des nazaréens et nous pourrons présenter l'accordeur comme étant un esclave en fuite et un dangereux révolutionnaire. Nous soumettrons le cas aux autorités gouvernementales. Avec la documentation en notre possession, le philosophe et sa fille seront tout naturellement éliminés.
Elle a réfléchi quelques instants, la tête basse, et a conclu :
Ainsi, quand Tatien et Blandine seront de retour à la maison, ils seront surpris par le service déjà achevé.
L'ami, étonné, fut immédiatement d'accord : — Effectivement, le plan est parfait. Hélène s'est tue.
Teodul l'a dévisagée les yeux perplexes sans savoir s'il était envahi par l'admiration ou par la peur.
Quelques minutes plus tard, la voiture s'est garée devant les jardins de Veturius.
La nuit tombait...
Le crépuscule était maculé d'une épaisse brume comme si un brouillard moral enveloppait ces âmes dans l'ombre.
SACRIFICE
A Lyon, la paix était inaltérable.
L'absence d'Hélène durait déjà depuis plus de douze mois alors que Tatien, à son propre étonnement, se sentait bien disposé, heureux.
Des événements significatifs avaient changé la face de l'Empire.
Dèce était mort et le sceptre impérial avait été empoigné par Gallus qui commença par gouverner le monde romain en ordonnant de déplorables spectacles d'inconscience et de débauche. Les conseillers et les magistrats, les guerriers et les hommes politiques semblaient dominés par la décadence morale qui se propageait destructrice.