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La fillette a souri fière.

De douces mélodies berçaient les rêves de ces quatre âmes sœurs qui, si elles obéissaient à leur propre volonté, jamais ne se sépareraient.

Tatien demanda à Livia de chanter l'hymne aux étoiles qui était à l'origine de leur première rencontre et la jeune femme a immédiatement répondu à son désir, répétant la chanson avec émotion et beauté.

Il planait dans l'air une sensation d'enchantement mêlée, néanmoins, d'une infinie tristesse...

À l'exception de Blandine dont le rire facile dénonçait l'insouciance infantile, les autres semblaient plutôt vouloir porter sur leur visage le masque d'une tranquillité en complet désaccord avec les présages affligeants qui envahissaient leur cœur.

Le gendre de Veturius ne s'était jamais montré aussi sensible à faire ses adieux.

Il promit à Livia de revenir rapidement.

Il ne s'attarderait pas.

Puisque le voyage s'imposait, ne pouvant être repoussé, il partirait le lendemain avec la ferme intention de ne répondre qu'aux obligations strictement nécessaires.

Qu'elle ne craigne rien. Il prétendait étudier avec sa femme une séparation honorable. Bien qu'ils ne puissent pas jouir, Livia et lui, du bonheur nuptial, il désirait se consacrer à son bien-être et à celui de Basil qu'il estimait comme un père.

Un lopin de terre dans le voisinage serait l'idéal pour le moment.

Il était convaincu que dès qu'elle aurait réalisé le mariage de Lucile, au cas où la malade réussisse à guérir, Hélène préférerait le monde romain en compagnie de Teodul, de sorte que lui, Tatien, était décidé à changer sa propre situation familiale.

Il rendrait, alors, la propriété à son beau-père et déménagerait avec Blandine dans quelque recoin où ils pourraient vivre tous ensemble.

Il se sentait jeune et robuste.

Il pouvait travailler bien plus énergiquement.

Il n'avait jamais perdu sa brillante forme physique en raison des exercices auxquels il se consacrait avec les esclaves de la maison, pour certains d'entre eux d'excellents gladiateurs.

Pourquoi craindre l'avenir quand tout paraissait sourire à leurs désirs ?

Alors que Livia acquiesçait ses plans, découragée, Blandine suivait la conversation d'un regard fulgurant, croyant qu'aucune force ne réussirait à contrarier les affirmations paternelles.

Des accolades et des vœux affectueux ont été échangés.

Toutefois quand Livia eut remarqué que la silhouette de Tatien, enlacé à sa fillette, se perdait dans les ombres du bois voisin, elle a laissé des larmes chaudes et abondantes inonder ses yeux... Une angoisse insurmontable asphyxiait son cœur comme si elle était condamnée à s'éloigner d'eux pour toujours pour ne plus les revoir, jamais plus.

Les jours ont passé entre la nostalgie et l'espoir dans la maisonnette fleurie de Lyon, quand à l'immense surprise de la Villa Veturius, Hélène est arrivée avec sa fille et son frère, accompagnée d'Anaclette et par une petite suite de serviteurs.

Lucile était en pleine convalescence. Galba, le fiancé mûr, l'entourait d'attentions.

Au foyer de Basil, l'événement inattendu a été accueilli avec une grande étrangeté.

La maîtresse de maison avait rejoint la ville avec la suite d'Octave Ignace Valérien accompagné de sa femme Climène Auguste qui devaient séjourner en Gaules, en mission officielle.

Valérien était un soldat courageux et astucieux qui s'était distingué en Mésie où il avait perdu quatre doigts lors d'un combat avec les goths. C'est en tant qu'envoyé spécial qu'il avait été nommé pour arraisonner la ville et la libérer des éléments subversifs.

Le gouvernement de Trebonianus Gallus avait éparpillé des envoyés de cette nature dans plusieurs directions.

Les localités les plus importantes des Gaules devaient supporter leur présence.

Ils arrivaient, entourés de servilités par la majorité qui leur prodiguait des cadeaux particuliers en échange de faveurs politiques, commençant par des fêtes spectaculaires et finissant par de déplorables extorsions. Ils faisaient de longues enquêtes sous prétexte d'assainir l'Empire des infiltrations révolutionnaires, gardant néanmoins pour objectif occulte de poursuivre les chrétiens et de les dépouiller de leurs petites ou grandes économies.

Les enfants de l'Évangile étaient, alors, durement éprouvés dans leur foi. Nombreux furent ceux qui, encore attachés à leurs biens matériels, abandonnaient la Bonne Nouvelle, payant des quotas élevés pour leur salut, changeant de domicile. Mais les moins favorisés par la chance ou ceux qui réaffirmaient leur confiance en Jésus se rendaient à la mort ou à la prison, désistant ainsi de tous leurs biens personnels.

Un ambassadeur de cette espèce était donc admirablement doté de larges recours, s'enrichissant de l'argent qu'il recevait pour accuser ou exiler, pour condamner ou faire taire, devenant tout naturellement le centre de la haine et de l'intrigue, de la perversité et de la délation.

Gallus avait choisi ce mode d'action pour aider, sans scrupules, ses camarades de campagne militaire, considérant qu'à Rome les coffres vides n'offraient plus aucune perspective de butin facile.

La société lugdunienne percevait cela et craignant des complications avec l'empereur, accourait en masse afin de louer son représentant.

Plusieurs jours de fête commémoraient son arrivée, et Hélène, qui avait su attirer l'attention de Climène pendant le voyage, fut la première dame de la ville à offrir un riche banquet à l'illustre couple.

Les salons de l'aristocratique résidence se sont ouverts, lumineux, comme par le passé, ayant un vif succès.

Basil, inquiet, n'arrivait pas à s'expliquer les événements en cours.

Pour quelle raison la femme de Tatien avait écrit une lettre qui semblait démentie par les faits ?

Le vieil homme et sa fille en vain ont cherché la clé de l'énigme.

En marge de la villa Veturius depuis que Blandine et son père s'étaient absentés, ils ne se sont pas dérobés aux règles de bienséance et une fois les cérémonies du palais terminées, ils ont essayé de faire une visite respectueuse et cordiale à la maîtresse de maison qui se refusa à les recevoir.

Teodul, un peu déconcerté, a présenté des excuses au nom d'Hélène, les informant qu'il viendrait voir le père et sa fille, le lendemain pour leur parler.

L'accordeur et la jeune femme sont repartis, intrigués, pris d'une inquiétante déception.

Qu'avaient-ils fait pour mériter un tel mépris ?

Entre eux, la mère de Blandine avait toujours été citée comme une personne digne de la plus haute considération. Jamais ils n'avaient offensé son nom, ni même dans leurs pensées.

Pour quelle raison, leur imposait-elle une si incompréhensible hostilité ?

Mais, le matin suivant, le philosophe et sa fille ont été encore plus péniblement surpris.

L'intendant d'Opilius venait à leur rencontre pour exhiber la documentation de la dette achetée, alléguant que les Charles étaient apparentés à la famille de Veturius et qu'Hélène, ayant appris que la petite Blandine prenait des leçons chez l'accordeur, n'a pas hésité à payer l'énorme dette répondant à la demande de ses parents et dont elle exigeait pour autant le remboursement immédiat.

Basil est devenu pâle.

Ceci était une invitation à la servilité ou une annonce de captivité.

À quoi avaient donc servi, en cette heure, les luttes d'une existence aussi longue ? Pourquoi avait-il vécu tant d'années, se croyant libre, allant jusqu'au suprême dévouement pour la fille que le ciel lui avait confiée, pour finalement retrouver au bord de la tombe le fantôme de l'esclavage ?

Il avait cherché le meilleur moyen de garder son équilibre face au monde et à la vie en écoutant sa conscience et était devenu vieux.

Il avait souffert d'innombrables privations et de nombreuses difficultés dans le parcours de son long pèlerinage sur terre mais aucune aussi angoissante que celle de cette heure où il se présumait porteur de toutes les humiliations.