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Une fois la base du crâne rompue ainsi que plusieurs veines entre les os cassés et la chair dilacérée, le sang en jets successifs ruisselait de sa bouche entrouverte.

Sa mort fut rapide.

Une étrange pâleur s'est imprimée sur les deux visages auparavant torturés.

La perplexité des impies et le muet héroïsme des fils de l'Évangile laissaient tout le monde choqué dans la salle.

Le plus jeune des chrétiens présents, Lucius Aurèle, le visage imberbe, presque un garçon s'est avancé vers les chevalets plein de sang et affrontant la stupéfaction des bourreaux, a prié à voix haute :

Seigneur aie la bonté de recevoir avec amour tes serviteurs et nos inoubliables amis ! Soutiens-les dans la gloire de ton Règne ! Ils nous ont orientés dans la difficulté, nous ont encouragés dans la tristesse, ils furent notre lumière dans l'ombre ! Oh Maître, permettez que nous puissions imiter leur exemple de vertu et de courage avec la même bravoure dans la foi ! Vestinus ! Basil !

Admirables bienfaiteurs ! Où que vous soyez, ne nous abandonnez pas ! Enseignez- nous toujours que seul le sacrifice nous permettra de construire avec Jésus un inonde meilleur!...

Aurèle s'est tu.

La prière s'était étouffée dans sa gorge noyée par de brûlantes larmes, meurtri dans son

cœur.

Mettant fin au silence qui se faisait pesant, Valérien s'est écrié, enragé :

En prison ! Conduisez ces hommes en prison ! Je ne veux pas de sorcelleries nazaréennes. Continuons notre chasse ! Il est indispensable que nous détenions tous les impliqués... Mobilisons les moyens dont nous pouvons disposer ! Ma patience est épuisée, j'ai attendu inutilement !...

Les partisans de la Bonne Nouvelle ont lancé un dernier regard aux restes sanglants et ont été emmenés dans les cellules immondes qui leur étaient destinées.

La persécution a continué, implacable.

Pendant la nuit, d'autres groupes ont été emprisonnés.

Une garde turbulente était constituée en grande partie d'éléments inférieurs dominés par la cruauté et la sauvagerie.

Le lendemain, très tôt, le représentant de Gallus était présent à l'inspection.

Il a émis de nombreux ordres, fait des plans, imaginé des rapports qu'il devait envoyer à la ville impériale de sorte à s'affirmer dans sa condition légitime de défenseur de l'État et de compagnon fidèle de l'empereur. Pour cela, Egnas a visité des dizaines d'incarcérés préparant d'habiles interrogatoires.

À la demande de Libérât comme dernière activité de la matinée, il est descendu jusqu'à la pièce où les jeunes femmes étaient entassées.

Dix jeunes filles abattues se sont identifiées à lui, affligées et apeurées.

Valérien les a regardées avec la méchanceté d'un loup maître du troupeau et s'arrêtant à Livia, il a demandé à l'assesseur :

D'où vient cette beauté singulière ? Libérât lui répondit à voix basse :

C'est la fille de l'un des vieillards exécutés hier.

Oh ! Oh !... Pourquoi ne l'ai-je pas su avant ? — a dit Egnas se grattant la tête intrigué — elle vaut plus que de nombreux vieux réunis.

Il a concentré toute son attention sur la jeune femme qui s'est sentie gênée par un tel privilège, et a demandé qu'elle soit transférée dans une cellule plus confortable, non loin de son cabinet particulier d'audiences.

Après quelques heures, la fille adoptive de l'accordeur, inquiète et découragée, s'est retrouvée dans une grande chambre agréablement meublée où le représentant de Gallus vint dans la soirée la voir de près.

Livia reçut sa visite effrayée.

Belle gauloise — a-t-il commencé, étrangement affectueux —, sais-tu qu'un dignitaire impérial est excusé de toutes demandes. Néanmoins, il me plait d'oublier les titres dont je me trouve investi pour me présenter à toi comme le plus commun des mortels.

La jeune femme a levé sur lui des yeux suppliants dont les larmes étaient prêtes à

couler.

Valérien a senti naître en lui un sentiment nouveau... Il a remarqué qu'une compassion inattendue atténuait sa cruauté virile. Surpris, il fit appel à sa mémoire pour se rappeler où il avait connu cette jeune femme, mais ce fut en vain.

Où pouvait-il l'avoir déjà croisée ? Il se sentait touché par des réminiscences qu'il n'arrivait pas à préciser.

Ton nom ? — a-t-il demandé avec une inflexion de voix proche de la tendresse.

Livia, Mon Seigneur.

Livia — a-t-il continué d'un ton presque familier —, m'as-tu déjà rencontré quelque part ?

Je ne m'en souviens pas, Mon Seigneur.

Cependant, pourrais-tu comprendre la soudaine passion d'un homme ? Sais-tu, par hasard, le type de sentiment que tu m'inspires ? Serais-tu disposée à accepter mes propositions de bonheur et d'affection ?

Mon Seigneur, je suis mariée...

Egnas a ressenti un grand malaise et lui fit :

Le mariage peut être un frein à nos égarements, mais jamais un empêchement insurmontable au véritable amour.

Il a marché, nerveusement, d'un côté à l'autre de la pièce et lui a demandé :

Où se trouve le chanceux qui te possède ?

Mon mari est absent...

D'autant mieux — a insisté le légat à nouveau calme —, notre affection pourra être, dès aujourd'hui, si tu le veux une belle romance... Accepterais-tu mon invitation ?

Mon Seigneur, en plus d'être mariée, je suis aussi chrétienne...

Oh ! Le christianisme est la folie de Jérusalem qui prétend asphyxier la santé et la joie de Rome. Tu es suffisamment jeune pour renoncer à cette peste ! J'ai les moyens de suppléer à tes besoins. Un palais entouré de jardins et rempli d'esclaves sera tout naturellement le cadre riche et mérité avec lequel j'améliorerai ta beauté.

Remarquant que la brillante promesse ne modifiait pas l'expression physionomique de la prisonnière, il a ajouté, mordant :

T'es-tu déjà imaginée morte dans l'amphithéâtre ? Les vêtements déchirés, le corps éventré, les seins devenus des trous sanglants, les cheveux traînés dans l'arène, les dents arrachées, le visage foulé par les fauves !... et par-dessus tout, les mains brutales des gladiateurs ivres à rassembler tes restes !... Franchement, je ne peux comprendre les notions de pudeur des familles nazaréennes. Ils s'esquivent de la glorieuse exaltation de la chair comme si la nature était maudite, ils allèguent des impératifs de pureté et prêchent la régénération des coutumes, mais n'ont pas honte de la nudité dans l'amphithéâtre !... Tu n'as jamais réfléchi à une telle contradiction ?

Mon Seigneur, je crois que nous devons accepter ces spectacles comme des sacrifices que l'ignorance du monde nous impose...

Il me semble, néanmoins — assura Egnas, ironique —, que les femmes « galiléennes », en fuyant les délices de l'amour bien vivant, sous prétexte de conserver leur vertu, gardent en elle la volupté de se dénuder sur la place publique. Je ne vois en cela qu'un inqualifiable désordre mental !...

Mon Seigneur — dit Livia méfiante avec modération mais calme —, ne serait-il pas plus digne que la femme s'expose devant les animaux qui dévorent son corps que de s'offrir aux banquets déshonorables de la criminalité des hommes ? À Massilia, j'ai vu des matrones et des jeunes filles de la ville impériale s'offrant à des exhibitions déprimantes et, même de loin je n'ai pas pressenti en elle d'idéal de grandeur... Je demande donc-la permission d'être en désaccord avec votre point de vue.

Je considère qu'en se livrant au supplice de Jésus, le cœur féminin coopère à la construction de la nouvelle humanité...

Valérien comprit toute la force de l'argument qui contestait ses dires mais ne s'avoua pas vaincu pour autant.

Il a ricané avec une évidente bonne humeur et s'est exclamé en souriant :

Quelle calamité ! Un enchantement de femme souffrant de la manie des philosophes ! Minerve n'est pas la conseillère indiquée pour ton âge. Écoute l'inspiration de Vénus et tu comprendras mes paroles plus clairement.