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Où irait-elle ?

Si, au moins, elle pouvait travailler...

Mais elle se sentait inutile et aveugle.

Comment résoudrait-elle l'avenir ?

Elle rendit grâce à Dieu de pouvoir pleurer librement . . Depuis sa séparation de Basil, jamais elle ne s'était souvenue de la tendresse paternelle avec tant d'intensité qu'en cette heure.

Le vieux philosophe lui avait enseigné que la mort n'existe pas, que les âmes vivent au-delà de la terre dans des sphères compatibles avec l'amélioration morale dont ils sont porteurs. Jamais, elle n'avait mis en doute ses moindres leçons. L'affectueux protecteur continuait certainement à vivre quelque part... Mais pourrait-il par hasard l'accompagner dans sa douleur ?

Elle s'est rappelée des réunions évangéliques chez Vestinus et chercha à s'accrocher à

sa foi.

Elle était sûre que ses amis partis avant elle dans la mort ne l'oublieraient pas, alors qu'elle était reléguée à la solitude.

Des larmes coulaient sur son visage que le vent fort du crépuscule soufflait, impitoyable, et mentalement elle a supplié :

Père aimé, ne m'abandonne pas !... Où que tu sois, pose ton généreux regard sur moi. . . Souviens-toi du jour où tu m'as accueillie dans la lande déserte et protège-moi, à nouveau, de ton affection ! Je suis répudiée une fois de plus... Je ne sais quel destin contraire pèse sur mon âme, même si je crois comme tu me l'as enseigné que Jésus au ciel veille sur nous ! Maintenant que je me sens abattue et aveugle, ne me laisse pas perdre la lumière intérieure de l'espoir et aide-moi à retrouver mon enthousiasme!... Combien de fois m'as-tu dit que la souffrance nous purifie et nous élève à Dieu ! Laisse-moi comprendre cette réalité avec plus de force pour que la douleur ne me jette pas dans le précipice de la révolte !... Tu me disais toujours que notre vie ne s'arrête pas avec la mort, que l'âme s'élève aux cimes de l'éternité où règne la paix ! Tu croyais que les défunts sont plus vivants que les hommes vêtus du linceul de la chair et admettais avec assurance que nos êtres aimés au-delà de la tombe, peuvent nous assister et nous protéger !... Comment t'oublier alors, toi qui fus tous les jours un ami et un bienfaiteur constant ! Comme je serais heureuse de pouvoir suivre tes pas ! Mais je n'ai pas pu jouir du privilège de mourir pour Jésus dans les tourments de l'arène. Mon père, pourquoi ne m'a-t-on pas accordé la grâce de partir avec les nôtres ? Pourquoi m'a-t-on séparée du destin de mes compagnes qui ont trouvé le salut par le martyre ? Compatis de moi ! Explique-moi la vie comme dans le passé !... Guide mes pas dans ce labyrinthe ! Rappelle-toi que je ne suis qu'une enfant dans l'obscurité de la jungle humaine et sois mon protecteur à nouveau ! On m'a amenée jusqu'ici avec la promesse de retrouver nos amis qui sont je ne sais où ! Je ne serrerai certainement plus leurs mains en ce monde. Sur terre, la séparation est toujours plus froide vu les obstacles qui éloignent notre vision des personnes aimées mais dans la vie spirituelle, le cœur doit avoir d'autres recours pour fortifier l'amour et le secourir !

Livia aurait voulu crier, clamer au ciel, les paroles qui lui venaient à l'esprit supposant peut-être que le vent les emporterait, mais l'agitation des piétons lui imposait la prudence...

Elle continuait, donc, de pleurer en priant, mais soudain comme dans un rêve miraculeux, elle vit se dessiner un chemin lumineux dans les ténèbres dans lesquels étaient plongés ses yeux et sur cette voie fulgurante, elle reconnut Basil qui avançait à sa rencontre.

En extase, elle a essayé de prononcer son nom à haute voix, ivre de joie, mais l'inattendue allégresse semblait lui avoir paralysé les cordes vocales.

Le vieil ami enveloppé d'une clarté indicible qui le rajeunissait, s'est approché, a mis sa main droite sur son épaule comme dans le passé et lui suggéra :

Ma fille, les disciples de Jésus, tout comme lui, connaissent la solitude mais jamais l'abandon ! Ne déplore pas le brouillard où le ciel te met à l'épreuve !... Dans les nuits les plus sombres, il y a plus de lueur dans les étoiles... Nos espoirs brillent d'une plus grande intensité à l'hiver des grandes souffrances. Reprends courage et crois au pouvoir sublime de Notre Père.

L'esprit de Basil marqua une légère pause, lui caressa sa chevelure décoiffée par le souffle du vent et continua :

De fait, nous t'avons précédée dans l'inévitable voyage dans la tombe !... Pour nous, la lutte dans la chair a été provisoirement interrompue et comme tu l'as dit nous avons été investis de la prérogative de souffrir pour la propagation de l'Évangile dans le monde... Mais ne te crois pas exemptée du témoignage et de la flagellation. Cet incident aux yeux est le signe que tu n'as pas été oubliée... Bien sûr, ceux qui nous guident au plan supérieur ont confié à ta fidélité quelques tâches en ce monde, au-dessus des nôtres !... Le Seigneur ne donne pas de responsabilités d'une certaine nature à des cœurs encore fragiles, tout comme il n'accroche pas le fruit mûr à la branche tendre de l'arbre naissant... Aie du courage ! Parfois, il est nécessaire que nous nous plongions dans l'ombre pour assister ceux qui gisent dans les ténèbres !... Tu te joindras à nous, très bientôt ! Accroche-toi au bourdon de ta foi et ne fléchis pas !... Nous suivrons ton travail, pas à pas... Quand le sacrifice te semblera plus pénible et plus dur, remercie Jésus de l'occasion de ce précieux combat ! Si quelque chose existe en ce monde qui puisse exprimer notre service envers Dieu, c'est la complète réalisation de la noble tâche que la vie nous assigne. Et, parce que l'effort de la résignation n'est pas accessible à tous en même temps, reçois ton sacrifice progressif comme une bénédiction du ciel. Ne me demande pas les raisons qui t'ont imposé la cécité physique ! Ne te sens pas victime d'une injustice !... La vie est toujours le miraculeux tissu de la Divine Sagesse. Parfois, l'affliction est la veille du bonheur, tout comme le plaisir est souvent la production d'angoisses... N'oublie jamais l'Envoyé qui nous a recommandé le pardon soixante-dix fois sept pour chaque offense, qui nous incline à l'amour pour les ennemis et à la prière pour les persécuteurs... Le passage de notre esprit est court dans le bourbier de la vie terrestre... La douleur est l'envers de la joie, tout comme l'ombre est l'envers de la lumière.

Mais, dans l'économie des vérités éternelles, seules la joie et la lumière ne meurent jamais. Ténèbres et souffrance sont des états dans notre situation imparfaite devant le Très Haut... Rends-toi, donc, à la juste lutte avec sérénité et sans peur. Nous resterons près de toi, guidant ton chemin ardul..

Basil a passé un long moment évoquant des considérations enlacé de tendresse à sa fille qui exultait.

Livia a répondu à son geste d'affection comme si elle voulait le retenir dans son propre cœur. Néanmoins, bien qu'encouragée et heureuse, elle réfléchissait aux problèmes immédiats du monde.

Qu'adviendrait-il quand elle serait à nouveau seule ? La nuit était tombée... Où s'abriterait-elle ?

Était-elle condamnée à rester gelée sur la voie publique ?

Le bienfaiteur spirituel lut dans ses pensées et bientôt lui répondit :

— N'aie pas peur ! Le Père qui nourrit les oiseaux chaque matin, jamais ne nous oubliera. L'aide ne tardera pas... Ne ferme pas ton cœur à la bonté et à la confiance pour que le Seigneur n'ait pas de difficultés à t'aider. La cécité des yeux n'est pas inutile à l'âme... Rappelle-toi notre pauvreté laborieuse. N'avons-nous pas trouvé tous les deux dans la musique notre raison de vivre ?

À cet instant, Livia a écouté, non loin, une voix d'enfant qui chantait émouvante, accompagnée d'un luth mal accordé :