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L'envoyé impérial avait réalisé de minutieuses enquêtes et les nazaréens avaient souffert des sévérités de la loi. Beaucoup étaient en fuite, d'autres avaient été tués.

Tatien, abattu, écoutait les informations précipitées des domestiques...

Quelques heures après leur arrivée à la villa, Hélène a provoqué une rencontre plus intime avec son mari, le criblant de questions concernant la santé de son père tout en expliquant les raisons qui l'avaient obligée à s'absenter, précipitamment, de Rome.

Elle l'attendait inquiète quand leur médecin de confiance lui avait conseillé le retour immédiat au climat gaulois. Lucile était si fragile qu'elle ressemblait à une fleur prête à faner. Elle n'avait donc pas hésité à revenir sans plus tarder.

Son mari l'écoutait, absorbé, il avait de toute évidence l'esprit ailleurs.

La fille de Veturius connaissait les raisons d'une telle distraction. Elle avait laissé Blandine dans sa chambre, choquée et en pleurs, et à l'attitude de sa fille, elle ne pouvait ignorer que son mari en son for intérieur à cet instant, était un homme spirituellement confus.

Elle l'a fixé des yeux avec plus d'attention et sur un ton mêlé d'outrage et d'audace, elle

lui dit :

Tatien, je ne peux taire la juste révolte qui me vient à l'esprit face au désenchantement auquel tu nous contrains à la maison. J'attendais sincèrement ton retour, non seulement comme une femme qui attend son compagnon, mais aussi en tant que mère angoissée de retrouver son enfant éloignée...Mais, je me rends compte au fond que l'absence des chrétiens indignes qui n'ont souffert que du traitement mérité par la loi, t'incline à une terrible expression de surprise et de douleur avec pour facteur aggravant d'avoir permis que Blandine soit séduite par la fascination de ces sorciers. Notre fille est malade et souffre de ta négligence. À quoi a bien pu servir un si long sacrifice pour notre aînée quand tu relègues notre plus petite aux superstitions et aux délires car je ne crois pas Blandine exemptée de la folie galiléenne. Encore que, si nous étions devant des personnes respectables...

Hélène ! — l'a interrompu son compagnon visiblement contrarié — fais attention à ce que tu dis ! Basil et sa fille étaient des amis qui nous étaient chers. S'ils avaient adopté le christianisme pour règle de foi, jamais ils n'y ont fait référence lors de nos conversations. Notre relation a toujours été des plus dignes.

Ça n'en a pas l'air — lui fit sa femme ironiquement — ; ta réaction parle pour tes sentiments. À mon retour, j'ai bien été informée que la fille du libéré de Carpus avait l'intention de me remplacer. Dominé par une telle femme, tout homme imprudent, ne voit rien naturellement..

C'est une calomnie ! — s'est exclamé Tatien, commençant à s'exaspérer. — Livia était mariée et aurait été incapable de vouloir se soustraire à l'engagement assumé.

Le patricien aurait souhaité lui lancer au visage tout ce qu'il savait de sa propre expérience, de sa façon de faire en étroite liaison avec Teodul, mais il a jugé plus prudent de se taire.

Après une courte pause, il a continué :

Encore, à Rome, lors d'un court entretien avec Claude Licius à qui par amitié je lui avais recommandé son mari, j'ai appris son veuvage... Le malheur d'une pauvre femme désarmée ne te fait pas mal au cœur ?

Ah ! Alors elle était mariée ?

Oui, j'ai eu l'occasion de connaître son mari, Marcel Volusianus qui désirait recommencer sa vie à Rome où il est apparu mort dans les eaux du Tibre. J'attendais de revoir notre amie pour lui transmettre la nouvelle, mais...

Hélène a pâli de surprise comprenant que le séducteur de Lucile avait menti jusqu'au

bout.

Elle s'est mise à réfléchir à la trame obscure des destins de son groupe familial, mais désireuse de retrouver sa propre tranquillité, elle décida de tout oublier et pris l'expression d'un joli masque sur son visage, feignant la dignité blessée, elle s'exclama :

Chéri, parlons sans irritation. De toute évidence, je ne pouvais accepter que notre maison soit envahie par des influences étrangères sans réagir et d'une certaine manière, néanmoins, j'ai tout fait pour ne pas démériter de ta confiance concernant les amis de ton cercle personnel. Le vieil accordeur et sa fille ont été arrêtés lors d'une réunion secrète du culte interdit chez un vieux misérable manifestement fou qui répondait au nom de Lucain Vestinus. Egnas Valérien et sa femme, maintenant absents, sont des romains d'une excellente famille. Ils ont voyagé jusqu'ici en ma compagnie. Nous avons donc tissé des liens affectifs forts. Comprenant la dangereuse situation des détenus, sans oublier que la jeune femme avait exercé la fonction d'enseignante de notre fille, et conformément aux recommandations de Teodul, j'ai supplié le pardon des autorités pour eux deux... Le légat d'Auguste, néanmoins, nous a expliqué que Basil avait été si singulièrement audacieux en insultant nos traditions et nos lois que, bien qu'à contrecœuer, il s'est vu contraint de lui faire subir le supplice du chevalet, sur lequel, comme nous le supposons, il est mort de panique, de sorte qu'il n'a pas été exécuté. Je n'ai cessé d'œuvrer pour la libération de la jeune femme mais toutes mes tentatives furent vaines car d'après la rumeur publique, le représentant de César est tombé amoureux d'elle, la séparant des autres femmes incarcérées. LMa, d'après les informations que j'ai pu obtenir, vivait dans un cabinet isolé où Valérien allait la voir quotidiennement. D'après ce que l'on sait, la femme d'Egnas, Climène, prise de jalousie a ordonné de lui faire appliquer du vitriol sur les yeux par l'intermédiaire d'une domestique, du nom de Sinésia ; mais la prisonnière, on ne se sait comment, assistée par on ne sait qui, a réussi à s'échapper peu après profitant de l'obscurité de la nuit. Je n'ai pas pu savoir si la pauvre fille s'en était tirée indemne ou si ses yeux avaient été victimes de la perversité de Climène. Je suis allée voir la seule personne capable de nous donner des explications sûres, la servante Sinésia ; mais quand Egnas Valérien eut pris connaissance de l'évasion, il fut pris d'une étrange démence. Il appelait la femme aimée d'une voix de stentor, et après avoir barbarement roué de coups la domestique essayant de lui arracher quelque confession, il a fait ordonné qu'elle soit menottée pour un interrogatoire le lendemain, mais à l'aube le cadavre de la malheureuse a été trouvé dans la prison, rigide et froid. Sinésia a été assassinée par quelqu'un qui a su se cacher dans la toile d'un impénétrable mystère.

Comme tout cela est pénible ! — a déploré Tatien, le regard lugubre.

Hélène a perçu la différence qui s'était opérée en lui et a continué avec une plus grande inflexion de tendresse :

Imaginant bien que ces déplorables événements t'affligeraient, j'ai pris des mesures pour que la maisonnette de Basil soit bien gardée de toute dégradation de la part des autorités. J'espère que tu pourras trouver l'humble résidence dans les mêmes conditions que le vieil homme l'a laissée. Sans aucun changement...

Et devant son compagnon prostré par la douleur, elle a complété la version mensongère des faits, en ajoutant :

— Toutefois, je ne me suis pas seulement inquiétée de cet aspect de la situation. Convaincue que tu arriverais d'un moment à l'autre, j'ai chargé Teodul de visiter le port de Massilia dans l'espoir de recueillir quelques informations sur un possible embarquement de la jeune femme pour quelque destination.

Tatien, angoissé, a prononcé de brèves paroles de reconnaissance. La supposée bienveillance de sa femme d'une certaine manière la rachetait à ses yeux.

En fin de journée, il est allé à l'humble domicile.

À seul dans l'étroite pièce, il a laissé exploser l'émotion qui affligeait son âme...

Il a regardé la harpe, maintenant muette, s'est assis dans le fauteuil qui lui était familier et loin des yeux étrangers, il a cédé à des sanglots violents.