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Il se rappelait Basil, vieilli et confiant, il revoyait Livia en pensée, se souvenant de leur nuit d'adieux et ne savait s'il pleurait d'amour ou de compassion.

Chancelant, il s'est approché du petit cabinet où le vieux se livrait à ses études habituelles et après avoir consulté certains passages de lecture, il a trouvé des annotations évangéliques de l'accordeur qui dénonçaient ses prédilections religieuses.

Certaines notes autobiographiques étaient alignées, révélatrices.

Basil n'était pas chrétien depuis longtemps.

À Chypre, il se vouait encore au culte de Sérapis, le dieu guérisseur.

Ce n'est qu'à Massilia, plusieurs mois avant leur transfert à Lyon qu'il avait connu l'Évangile se prenant d'affection pour Jésus.

Des ordonnances et des instructions aux malades du temps où il vénérait l'ancien dieu égyptien, alors transformé en compagnon d'Esculape, se mêlaient à de précieuses annotations faisant allusion au Nouveau Testament. Des poésies de louanges aux anciennes divinités et des notes apostoliques du christianisme naissant étaient collectionnées révélant son chemin spirituel.

Et finalement, Tatien s'est attardé à consulter admiratif un curieux travail de Basil, intitulé « de Sérapis à Christ », qui marquait sa transition définitive.

Le gendre de Veturius a examiné la documentation avec un respect qu'il n'avait jamais manifesté à un sujet quel qu'il soit lié à la personnalité du Messie galiléen.

Ensuite, il s'est senti profondément partagé...

Pourquoi était-il, ainsi, poursuivi de toute part par le Christ ?

Il s'est souvenu de son premier contact avec son père ébranlé par le martyre en un suprême témoignage de foi.

Il s'est rappelé la lointaine fête à la Villa Veturius où le petit Sylvain avait perdu la

vie...

Le sacrifice de Rufus lui est revenu en mémoire, l'esclave déterminé et fidèle à son propre idéal, et en larmes il a réfléchi aux derniers jours de sa mère isolée dans le foyer domestique.

Les réminiscences de la pendaison de Subrius sont repassées, claires, dans son imagination...

Néanmoins, il ne cessait d'haïr les principes nazaréens.

Il ne pouvait concevoir une terre où les maîtres seraient au même niveau que les esclaves, il refusait la théorie du pardon sans restriction, jamais il ne serait d'accord avec la solidarité entre patriciens et plébéiens...

Les dieux anciens, les épopées romaines, les conquêtes des empereurs et les paroles des philosophes qui avaient construit le droit de la République et de l'Empire dominaient son cœur avec une excessive vigueur pour qu'il puisse se défaire facilement du monde moral sur lequel il fondait sa propre raison d'être depuis sa lointaine enfance...

Il s'était consacré à Cybèle et portait en lui le sceau ardent de la foi qui avait guidé ses ancêtres et avec ces convictions, il prétendait mourir.

Comment comparer Apollon le bienfaiteur triomphant de la nature, avec Jésus ce triste juif crucifié parmi les malfaiteurs ? Pourquoi se séparer du culte de la joie et de l'abondance pour se soumettre aux sinistres banquets du sang dans les cirques ? Pour quelle raison Basil et Livia avaient-ils adhéré au mouvement qu'il considérait comme l'idéologie détestable d'esprits infernaux ?

Et pourtant, il les aimait malgré tout, bien qu'étant chrétiens.

Chez ce vieux libéré, il avait trouvé la vie émotionnelle d'une âme paternelle et chez la jeune fille il avait découvert un cœur semblable au sien capable de le rendre heureux en tant que compagne ou comme une sœur.

Caressé par le vent froid du crépuscule, le patricien s'est attardé à l'une des fenêtres, à méditer... à méditer...

Il faisait presque nuit noire quand il s'est décidé à rentrer, et voilà que Blandine est apparue à sa recherche.

La turbulente créature le cherchait angoissée dans tous les coins de l'exploitation agricole et la embrassé prise d'une longue crise de larmes.

Son père taciturne est retourné au foyer la reconduisant en pleurs...

Le lendemain, il s'est mis d'accord avec le propriétaire de la chaumière que l'accordeur avait louée pour une durée indéterminée.

Tatien se proposait de la conserver pour le culte de ses propres souvenirs.

Retrouverait-il LMa ?

Il avait pensé s'entretenir avec le légat d'Auguste mais Egnas Valérien après un court séjour en Aquitaine était retourné au siège de l'Empire.

Après avoir acquis l'humble nid où Basil était resté si peu de temps, tous les jours, il y passait quelques heures après avoir accompli les tâches habituelles, presque toujours en compagnie de Blandine qui n'oubliait pas les chers absents.

Applaudie par son père qui se distrayait de voir son habileté, les mains infantiles minuscules et fragiles faisaient vibrer l'instrument cherchant à imiter l'amie qui était partie vers un destin incertain. Plus sa mère lui interdisait de telles promenades, plus elle s'efforçait de tromper la surveillance des employés afin de retrouver son père dans leurs réflexions isolées.

L'amitié pour le philosophe et pour l'enseignante exilée était chaque fois plus intense et plus vive dans son imagination d'enfant.

Très souvent, elle demandait à son père si Livia avait été enlevée par Pluton et parfois, elle affirmait fermant les yeux que le grand père Basil se trouvait souriant à ses côtés à l'embrasser.

Une certaine nuit où Tatien s'était attardé dans la hutte plus longtemps qu'à l'ordinaire, Blandine à la porte contemplait le firmament constellé, quand d'un seul coup, elle a poussé une exclamation de joie, s'écriant étonnée :

Grand père ! Grand père Basil, papa ! Vois ! Il arrive!...

Elle a fait un geste comme si elle étreignait quelqu'un de très cher et a ajouté, enthousiaste :

Papa, grand père est à tes côtés ! À tes côtés !...

Tatien ne voyait rien, mais l'expression de bonheur de sa fille résonnait au fond de son

cœur.

Il s'est souvenu des anciennes histoires où les morts revenaient vivre avec les vivants, pris d'émotion pour les paroles de sa fillette, il admit que l'ombre de leur ami planait réellement dans l'air.

Et comme s'il pouvait sentir son haleine chaude sur son visage, il eut l'impression que le cher compagnon était là invisible.

Les yeux brillants animés par la flamme de sentiments latents, il a demandé à sa petite interlocutrice :

Blandine, si tu vois vraiment grand père pourquoi ne nous dit-il pas quand nous retrouverons Livia ?

La petite a obéi et avec le plus grand naturel, elle s'est adressée à l'ancien ressuscité et le questionna :

Grand père, vous n'avez pas entendu la question de papa ?

Quelques secondes d'attente se sont écoulées dans l'étroite enceinte.

Qu'est-ce qu'il a répondu, ma fille ?

Blandine a posé son regard tendre et confiant dans celui de son père et lui a dit :

Grand père a répondu que nous serons tous ensemble quand nous écouterons l'Hymne aux Étoiles une nouvelle fois...

Tatien a ressenti une angoisse indéfinissable envahir sa voix et son cœur. Muet, il prit la main droite de la petite pour retourner à la maison où seul dans son cabinet particulier il s'est plongé dans des pensées obsédantes et affligeantes...

La vie à Lyon a continué dans l'attente, routinière, monotone...

Au printemps de l'année 256, néanmoins, la Villa Veturius était décorée pour le mariage de Galba et de Lucile avec toute la majesté caractéristique aux familles aisées de l'époque.

Le fiancé prématurément vieilli et sa jeune compagne belle et futile semblaient rayonner d'optimisme, heureux.

Remerciant son gendre de sa visite à Rome, bien qu'infirme et fatigué, Opilius accompagnait son fils à la cérémonie du mariage.

Son retour après tant d'années avait suscité un grand intérêt dans la capitale de la Gaule lugdunienne. Le somptueux palais rural s'était à nouveau converti en un centre important d'intrigues politiques pendant des nuits fulgurantes et joyeuses.