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Devant la pause qui s'imposa naturellement, Celse Quint, les yeux ravagés par les larmes, a abandonné sa harpe, a oublié les visites et a embrassé l'agonisante.

Ces phrases d'adieu lui faisaient revivre le souvenir des derniers instants de sa maman qui était partie.

Effrayé, il s'est mis à sangloter pris de douleur. Alors que la patiente le caressait avec des mots de tendresse, Tatien en a conclu que Livia était peut-être devenue folle de souffrance.

En cet instant, il ne pouvait entamer une discussion religieuse qui ferait du tort à tout le monde.

Toute altercation sur le Christ ne rendrait pas le moindre équilibre organique à la créature aimée que le destin avait étranglée.

Il s'est reconnu dans l'erreur.

Il lui a caressé le front inondé d'une pâteuse sueur et a supplié son pardon.

Livia, souriante, a demandé si Blandine avait progressé artistiquement parlant, et lui suggéra d'interpréter quelques vieilles musiques jouées dans la maisonnette de Lyon.

La fillette s'est immédiatement exécutée.

L'étroite pièce fut envahie par un baume béni irradié par la mélodie.

Des larmes sereines roulaient sur les joues amaigries de la malade qui après la musique évocatrice, tâtonna le visage en pleurs de Celse le remettant à ses amis avec humilité et confiance :

— Tatien, voici le fils de mon cœur, je te le confie ! Il s'appelle Celse Quint... Il a été mon sauveur en Thrinacrie. Là bas, nous avons chanté ensemble sur la voie publique... Il est courageux... Si la vie m'avait donné un fils, j'aurais souhaité qu'il fût comme Celse, amical, dévoué, travailleur... Je suis sûre que ce sera un enfant précieux sur ton chemin, tout comme il sera pour Blandine un frère dévoué.

Le garçon a regardé Tatien d'une étrange manière et le patricien magnétisé s'est efforcé de se rappeler où il avait bien pu voir ces yeux dans le caléidoscope de ses souvenirs.

N'était-ce pas le regard paternel qui l'observait en d'autre temps ? D'où venait cet enfant qui, en plus, portait le nom de l'apôtre qui l'avait engendré ?

Et comme s'il était mû intérieurement par une pulsion automatique, le garçon s'est détaché de Livia et s'est jeté dans ses bras.

Surpris Tatien se réjouit de ce geste de tendresse spontanée.

Celse ressemblait à un oiseau qui effleurait son être. Il pouvait même entendre son cœur battant effarouché.

Mais l'enfant ne se contenta pas d'une étreinte d'amour. Il lui baisa la tête où des fils grisonnants commençaient à apparaître et caressa son front, passant la main sur ses cheveux.

Le fils de Varrus Quint a ressenti une indicible émotion troublant ses sentiments les plus intimes. Il essaya de parler au garçon mais n'arrivait qu'à le caresser sans prononcer un mot.

C'est alors que LMa, par des phrases entrecoupées, a décrit à Tatien et Blandine la lutte qui avait ébranlé leur paix domestique à Lyon. Hélène n'avait jamais pu les recevoir à la résidence malgré toute l'insistance de Basil et la demande de recouvrement de la dette du Carpus, à travers la famille Veturius, qui avait déconcerté son père adoptif. Impérativement astreints, ils se sont installés à la résidence de Lucain Vestinus et après leur avoir relaté les dures persécutions vécues, elle s'est reportée aux difficultés de la prison, à sa soudaine cécité, et finalement à son évasion suivie du voyage en Sicile en compagnie de Teodul dont les promesses ne se réalisèrent jamais.

Son ami l'a écoutée avec effarement et s'est révolté.

Les pénibles souffrances de la jeune femme à Lyon et en Thrinacrie le lacéraient au plus profond de son âme.

Il soupçonna le sinistre complot qui l'avait menée au sacrifice.

Il lui affirma qu'il ignorait ce qui s'était passé.

Il n'avait jamais été sur cette île. Il avait fait un voyage normal à Rome, conformément au programme préétabli et était retourné chez lui sans altération.

Mais Hélène devait savoir ce qui s'était passé. Il ordonnerait de la faire venir.

Extrêmement bouleversé, il est allé dans la rue et malgré la nuit, il a envoyé un porteur à la villa distante suppliant son épouse et sa gouvernante de venir les rejoindre lui et Blandine à la maison d'Agrippa prétextant un motif urgent de santé.

Il exigerait le point de vue de sa femme devant la pauvre créature qui gisait à moitié

morte.

Après quelques minutes, Hélène et Anaclette arrivaient dans une voiture rapide et élégante.

Reçues par Tatien, il leur dit nerveusement après les questions qui lui furent posées :

Entrons ! C'est un cas de mort imminente.

Blandine ? — a interrogé la matrone affligée.

Non, non. Suivez-moi !

Quelques instants plus tard, le groupe entrait dans la pièce étroite.

Tatien a indiqué l'agonisante dont les yeux morts erraient sans expression dans ses orbites et l'a interpellée, ému :

Hélène, reconnais-tu la malade ?

La femme a frémi et comme elle esquissait un geste silencieux pour nier, son mari a

ajouté :

Voici LMa, la malheureuse fille de Basil.

À cet instant, Lucius Agrippa et sa femme qui étaient restés attentifs en silence dans la chambre, se sont dirigés vers leurs appartements emmenant les enfants pour qu'ils aillent se reposer.

Seules les quatre âmes, en proie à l'écrasant destin qui leur était commun, sont restées face à face comme si elles étaient convoquées par des forces invisibles à de suprêmes décisions.

Hélène et Anaclette semblaient galvanisées à la contemplation de ce visage animé par une intense vie intérieure.

La harpiste aveugle approchant de la mort portait les traits physionomiques d'Émilien Secondin, l'amour que le temps n'avait pas effacé dans le cœur de la fille de Veturius.

Livia — a dit Tatien compatissant —, je te présente ma femme et notre ami Anaclette.

Le visage de la malheureuse s'est illuminé d'une profonde joie.

Je remercie Dieu pour cette heure... — s'exclama-t-elle à voix basse avec humilité — j'ai toujours désiré vous demander des excuses pour la mauvaise impression que je vous avais causée... Plusieurs fois, j'ai désiré vous approcher pour vous dire tout mon respect et toute mon amitié... néanmoins... les circonstances ne l'ont pas permis...

Cette voix résonnait dans l'esprit d'Hélène avec une étrange résonance... Pourquoi ne s'était-elle pas intéressée davantage à cette femme ?

Son attitude s'est soudainement modifiée d'une manière inexplicable... Les réminiscences d'une phase obscure de sa vie émergeaient en couleurs vives du plus profond de sa mémoire. Elle eut l'impression qu'Émilien se trouvait là, en esprit à la réveiller à la terrible réalité ... Elle oublia la présence de Tatien, ne s'est pas souciée des convenances d'ordre personnel et le visage épouvanté, elle a demandé :

Où êtes-vous née ?

À Chypre, Madame.

Qui fut votre mère en ce monde ? L'agonisante a souri avec effort et a expliqué :

Je n'ai pas eu le bonheur de connaître ma mère. J'ai été trouvée par mon vieux père adoptif dans la lande...

Et tu excuserais celle qui t'a donné la vie si un jour tu la rencontrais ?

Comment non ?... J'ai toujours vénéré ce cœur maternel... dans mes prières quotidiennes...

La matrone, pâle, tremblante de terreur devant la face nue de la vérité, a poursuivi son interrogatoire :