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Et si ta mère te volait ton mari, ton père et ta santé même, en te condamnant au dédain public ?

Même comme cela... — a confirmé Livia sans hésiter — ça ne ferait pas de différence pour moi ... Qui parmi nous en ce monde peut juger avec assurance ?... Ma mère... bien que m'ayant voulue avec amour... à peut-être été obligée de me blesser... pour mon propre bien... Je crois qu'en... tout... nous devons rendre grâce à Dieu...

Devant le mutisme consterné d'Hélène, Anaclette s'est avancée vers l'agonisante avec un fervent intérêt.

Ta mère ne t'a-t-elle pas laissé un souvenir ? — a demandé la gouvernante anxieuse.

Livia s'est tue un instant comme si elle cherchait des forces pour parler et lui répondit affirmativement :

Je pense que ma mère... avait l'intention de me retrouver... parce qu'elle m'a laissé dans les broderies du,berceau un camée que mon père m'a enseigné à porter sur mon cœur...

Anaclette, devant Tatien stupéfait, a regardé son thorax et lui a retiré le bijou d'ivoire où brillait l'image de Cybèle magnifiquement sculptée dont Hélène ne se séparait jamais pendant ses promenades avec Émilien.

La pâleur de la fille de Veturius se fit livide.

Elle avait découvert sa propre fille sur qui elle avait fait peser tout le poids de sa frénétique persécution.

Cette femme était la fleur séchée de ses premiers rêves... Elle entendait à nouveau dans la miraculeuse résonnance de sa mémoire, les paroles que l'homme inoubliable de ses idéaux féminins lui avait dites pour la première fois... Ils avaient, lui et elle, projeté pour le rejeton de leurs espoirs le plus beau des destins.

Pourquoi ce paradis imaginé s'était-il métamorphosé en enfer ?

Immobilisée par la terreur, les yeux écarquillés, elle a remarqué que les souvenirs matérialisaient le passé au fond de son âme.

Les murs de la chambre ont disparu à ses yeux.

Elle se voyait encore jeune prise dans le tourbillon des banalités où l'amour d'Émilien avait éveillé son cœur...

Ses idées s'obscurcirent. Où était-elle ?

Elle a remarqué qu'au beau milieu des ombres qui l'entouraient, un homme marchait à sa rencontre... C'était lui, Secondin, comme dans l'ancienne vision d'Orosius et comme lors du rêve qu'elle avait fait sur l'île de Chypre, il portait toujours ses vêtements de cérémonie militaires, la main droite sur sa poitrine sanglante et l'appelait en criant :

Hélène ! Hélène !... qu'as-tu fait de la fille que je t'ai donnée ?

Ces paroles torturaient son âme infiniment répétées par les monstres du remords dans l'abîme profond qui s'ouvrait sous ses pieds...

Elle s'est souvenu que sa fille abandonnée se trouvait là à portée de mains, et pourtant, bien que tendant les bras, elle ne réussissait pas à la trouver pour l'arracher des ténèbres qui s'intensifiaient tout autour...

Seul le visage d'Émilien grandissait, démesuré, devant sa vision épouvantée et seule son inquiétante interrogation parvenait à ses oreilles :

Hélène ! Hélène !... qu'as-tu fait de la fille que je t'ai donnée ?

Devant Tatien et Anaclette pétrifiés d'étonnements, avec une expression de folie dans le regard, la matrone a poussé un horrible éclat de rire puis a tourné les talons et s'est élancée sur la voie publique. Elle prit les rênes du véhicule qui l'avait amenée et partit en trombe en direction de la villa lointaine ...

Le mari d'Hélène a sollicité l'assistance d'Agrippa pour la patiente et s'isolant avec la gouvernante dans un coin du jardin, il a entendu, pendant plus de deux heures, les tristes confidences sur le passé et le présent.

Tatien, terrassé, semblait ivre de colère.

Quand Anaclette eut fini ses arriéres révélations, informé de la cruelle vérité, l'interlocuteur serra ses poings et s'est écrié d'une voix de stentor :

Hélène est indigne de respirer parmi les mortels. Elle sera étranglée par mes propres mains... Elle descendra, aujourd'hui même, dans les horribles régions infernales où elle supportera des peines bien méritées !...

Tatien ! Tatien ! — pleurait la vieille amie l'empêchant de bouger. — Attends ! Attends ! Le temps aide à la réflexion !...

Le patricien cherchait à se dégager quand Lucius Agrippa, avec une expression fatiguée, s'est approché d'eux et leur a dit :

Mes amis, notre malade repose finalement en paix.

Blessé doublement au cœur, le père de Blandine a accouru dans l'humble pièce et a regardé le visage de Livia, mortifié et livide dans le halo de la mort.

Une sérénité angélique s'exprimait sur son visage. Un sourire mystérieux que personne n'aurait pu définir comme étant de la joie ou de la résignation, était figé sur ses lèvres comme un dernier message de sa courte vie à ceux qui restaient.

Son compagnon qui l'avait tant aimée s'est incliné sur son cadavre, en pleurs, pendant quelques instants ; mais comme si une force étrange subitement le levait, il se mit à hurler d'une douleur sauvage et a imploré.

Fermement soutenu par Lucius, il lui supplia de l'aide. Il devait se rendre d'urgence à la villa Veturius.

En quelques minutes, une charrette de service le transportait de retour à la demeure en compagnie d'Anaclette.

De tout le chemin, ils n'ont pas échangé un mot.

Les lumières matinales commençaient à apparaître par une belle aurore.

Suivi de la gouvernante soucieuse d'éviter toute attitude de violence, le patricien a appelé sa femme d'une voix stridente tel un aliéné mental.

Hélène, cependant, ne se trouvait pas comme d'habitude dans sa chambre.

Après quelques instants d'anxieuses recherches, elle fut trouvée dans une flaque de sang dans la salle de bain de la maison.

La malheureuse matrone, bouleversée par les scènes terrifiantes de sa conscience coupable, s'était ouvert les veines des mains.

Anaclette a éclaté en de bruyantes exclamations.

Tous les serviteurs ont accouru pressés d'offrir leur secours qui n'avait plus de raison

d'être.

C'est alors que le vieil Opilius, tremblant et angoissé, s'est approché et trouvant le cadavre de sa fille qui avait toujours dominé son cœur, il voulut crier mais ne le put.

Sa poitrine s'est comprimée et son cerveau a éclaté comme une harpe dont les cordes se seraient cassées, le vieil homme est tombé à la renverse sur les marches en marbre, gémissant d'angoisses.

La nuit tragique est passée comme un ouragan impitoyable et hululant.

Opilius Veturius, le dirigeant que Rome avait admiré pendant tant d'années, en raison du choc, était alité abattu et hémiplégique.

Le don de la parole chez lui s'était éteint.

Malgré d'immenses efforts mis en œuvre pour le soigner, il n'arrivait plus qu'à émettre des sons gutturaux avec des expressions grimaçantes.

Des jours et des jours se sont écoulés...

Puis un beau matin, une magnifique trirème le conduisait assisté d'Anaclette en route vers Ostie, alors que Tatien et Blandine accompagnés de Celse Quint, retournaient en Gaule lugdunienne, remplis de nostalgie et de douleur...

Le fils orgueilleux de Varrus Quint qui depuis sa jeunesse dédaignait la plèbe et se rabaissait à peine superficiellement au culte des dieux des victoires impériales, commençait à courber l'échiné. Étreint par les deux enfants qui étaient désormais sa raison de vivre portant des rides profondes qui défiguraient son visage déjà garni de cheveux blancs qui se

multipliaient rapidement, il ne savait plus qu'interroger en silence l'horizon lointain s'attardant muet à réfléchir et à pleurer...

SOLITUDE ET RÉAJUSTEMENT

L'automne 256 commençait entre les luttes et les expectatives.

Dans l'Empire gouverné à cette époque par Publius Aurélien Licinius Valérien élevé à la pourpre du pouvoir pour ses brillants faits militaires, la décadence continuait...

Malgré les victoires sur les goths, l'Empereur n'arrivait pas à arrêter la dégradation morale qui se développait de toute part.